Des nouvelles de Raymond Carver

Mon père est un fan de littérature américaine et il m’a communiqué sa passion. Je le remercie notamment de m’avoir fait découvrir et aimer Raymond Carver, ce merveilleux novelliste. Dans la littérature américaine il y a un format que les auteurs font très bien, c’est les nouvelles. Nous on savait aussi en faire au 19ème siècle, mais aujourd’hui l’art de la nouvelle est un peu tombé en désuétude. On aurait plutôt tendance à écrire des romans à rallonge, comme si la taille était déterminante pour une bonne performance (alors que non, hein mesdames). La raison pour laquelle les américains et nos auteurs du 19ème faisaient bien les nouvelles est simple: ils vivaient au jour le jour, ils écrivaient pour des journaux qui publiaient leurs nouvelles et touchaient de quoi joindre les deux bouts jusqu’au lendemain. Aujourd’hui on en a rien à foutre, tu te vois lire une nouvelle dans ton 20 minutes en allant au boulot? non. Bon. Donc voila, Raymond Carver lui c’était un noveliste PARCE qu’il écrivait pour bouffer (mais c’est pas le seul, on peut dire pareil de Charles Bukowski (le vrai, pas le boss de ton blog culturel préféré), Philip K Dick et tous les auteurs de sf de sa génération, Conan Doyle (oui, tu sais, il n’y a que 4 romans de Sherlock Holmes et plus d’une centaine de nouvelles), Ernest Hemingway, John Cheever, Jim Harrison, Sommerset Maugham et Bret Easton Ellis (Zombies, son recueil de nouvelles est peut?être ce qu’il a écrit de plus fort)). Mais revenons à Carver. Un jour un journaliste lui demande pourquoi il écrit pas un roman, il lui a répondu qu’il n’avait pas les moyens de subsistances suffisants pour se concentrer sur un écrit pendant le temps nécessaire à l’écriture d’un livre.
Il faut ajouter à ça que Carver était un putain de génie de la nouvelle. Raymond avec ce talent de photographe pour capter une scène en deux phrases « tchac-tchac », tu lis le premier paragraphe de l’histoire, tu sais déjà de quoi on parle….

raymond carver 2
« Ce soir là Waine et Caroline étaient bien décidés à faire des folies. La première des extravagances qu’ils avaient programmées était un dîner chez Aldo’s, un restaurant très élégant qui venait d’ouvrir au fin fonds du quartier nord. Ils traversèrent un petit jardin clos parsemé de statuettes et furent accueillis par un homme en habit, dégingandé et grisonnant, qui les salua avec une extrême civilité et poussa devant eux la lourde porte de chêne » (Signes)

« Cet été là, Wes loua une maison meublée au nord d’Eureka, à un alcoolique repenti du nom de Chef. Puis il m’appela pour me demander de laisser tomber ce que je faisais et de venir emménager avec lui. Il me dit qu’il était au régime sec. Je le connaissais, son régime sec. Mais il a rien voulu savoir. Il a rappelé en disant, Edma, on voit l’océan de la fenêtre. L’air sent le sel. Je l’ai écouté. Il n’avait pas la voix pâteuse. J’ai dit, je vais réfléchir. Et j’ai réfléchi. Une semaine plus tard, il a rappelé en disant, alors, tu viens? J’ai dit que je réfléchissais toujours. Il a dit, on va repartir à zéro. J’ai dit, si je viens, je veux que tu fasse quelque chose pour moi. Tout ce que tu voudras a dit Wes. J’ai dit, je veux que tu essayes d’être le Wes du début. L’ancien Wes. Le Wes que j’ai épousé. Il s’est mis à pleurer, mais ça m’a paru bon signe. Alors j’ai dit, d’accord je viens. » (La maison de Chef).

« Ce matin là, voilà qu’elle me verse du Teacher sur le ventre et se met à le lécher. L’après midi, elle essaye de se jeter par la fenêtre. » (La gloriette)

« Un homme sans main vint frapper à ma porte pour me vendre une photographie de ma maison. A part les crochets chromés, c’était un homme comme tout le monde, âgé d’une cinquantaine d’années. » (Le chasseur d’images).

L’une des préférées de mon père, c’est Bingo. C’est l’histoire d’un couple qui va à sa soirée bingo du mercredi, sauf qu’il y a un autre couple qui s’est installé à leur place habituelle. Et ça leur gâche la soirée….

Et la mienne c’est Plumes. C’est une nouvelle plutôt longue pour du Carver. Elle fait une cinquantaine de pages, alors que la plupart de ses textes ne dépassent pas la dizaine. Plumes raconte un dîner entre deux couples. Les gars sont collègues et potes et les femmes ne se connaissent pas. Les hôtes habitent la campagne, ils ont un paon, la femme est une petite chose timide et soumise et ils ont un bébé très laid. Le dîner est une successions de moments d’anthologie comme celui où la femme, Olla explique qu’elle conserve sur la télé le moulage de ses dents avant d’être appareillée pour se souvenir en permanence que c’est à son mari qu’elle doit sa dentition parfaite ou celui où le mari, Bud, chambre sa femme au sujet du paon juste pour l’humilier et la faire passer pour une conne.
Plumes commence comme ça: « Un copain de travail, Bud, nous a invités à dîner, Fran et moi. Je ne connaissais pas sa femme et il ne connaissait pas la mienne. Comme ça, on était à égalité. Je savais qu’il y avait un petit bébé chez Bud. Il devait avoir dans les huit mois! Et ce que le temps a passé vite depuis, nom de dieu! Je me rappelle le jour où Bud est arrivé au boulot avec une boite de cigares. Il les a distribués après le déjeuner. C’était des cigares de bazar. Des Dutch Masters. Ils avaient tous une bague rouge et une enveloppe marquée dessus « c’est un garçon! » Moi, je ne fume pas le cigare, mais j’en ai pris un quand même. »

Il y a quelques années, les Editions de l’Olivier ont sorti une intégrale Carver qui reprenait les nouvelles dans leur version originale et certaines dans la version uncut. On y découvrait que l’agent littéraire de Carver avait pas mal taillé dans le gras. Personnellement, je préfère les textes originaux, car leur format ramassé fait leur force. Je te pose le lien là, tu peux y jeter un oeil: L’intégrale de Raymond Carver / Editions de l’Olivier

Tu peux trouver tous les recueils de Carver en Livre de Poche. Tu as la liste complète sur la page Wikipédia consacrée à l’auteur.

Raymond Carver

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