Tout le monde est unique

Quand j’avais quinze ans, j’imaginais ma vie comme une aventure. Un peu comme Indiana Jones mais en plus urbain, et aussi en plus féminin. Un peu comme Lara Croft mais en plus réelle et avec un peu moins de poitrine, et surtout moins polygonée. Je ne dirais pas que j’en ai le double aujourd’hui, mais je me rapproche plus des trente que des quinze.

Ma vie aujourd’hui se résume à la même tristesse que la tienne. Un travail monotone qui trompe un peu l’ennui du quotidien. Des « deadlines », des « briefs », des « confcall ». Tous ces mots insortables hors monde professionnel, qu’on utilise pour se donner une contenance. Comme si ton costume-tailleur-cravate ne suffisait pas déjà à te faire ressembler à Pingu. On te parle de la culture du travail comme d’un avantage, comme d’une médaille que tu devrais afficher fièrement sur ton torse Weight Watchers/Amazonia. Alors que tout n’est que du vent. Tu ne sais rien faire de tes mains sauf pondre des termes techniques abstraits, inventés par des gens qui s’ennuyaient encore plus que toi.

Chacun son remède aux ennuis quotidiens. Certains voient leur psychologue/chiatre comme si c’était une relation extra-conjugale, à coups d’appels caché au travail et de phrases énigmatiques type « je me fais suivre ». D’autres ont pris l’habitude d’avoir, dans le coin inférieur droit de la porte du réfrigérateur, une bouteille de pinard, plus ou moins bonne, ça dépend du nombre de tickets restos qu’il reste à la fin du mois. Doucement mais sûrement, on remplace l’amour par la résignation, on trompe l’ennui avec les RTT et on flirte avec la mélancolie – ou l’alcoolisme.

La pauvreté et la misère se comptent par le nombre de marques Repère dans le frigo, par le nombre de congés maladie que tu vas devoir prendre pour soigner ta dépression que tu t’es toi-même infligée. Elle ne t’est pas tombé dessus comme une grande, tu y as bien contribué. A coups de « projets » et grâce à ta « force de proposition », tu as gagné un aller simple pour Xanax City.

Ne t’en fais pas, plus que quelques décennies et tu seras à la retraite. Tu auras tout juste économisé pour payer pour cinq ans d’appart’ étudiant pour le dernier, c’est calculé attention, pas un jour de plus ni de moins. Peut-être que tu pourras faire des folies quand il sera marié et qu’il vivra en banlieue, et tu pourras même gratter un ticket de Cash tous les matins avant de regarder Scènes de ménage sur la 6.

Les jours se suivent et se ressemblent, et chaque matin on te sert la même bouillie grisâtre que tu avales sans piper mot. Tu essaies alors de compter les jours avant… avant quoi, d’ailleurs? Depuis combien de temps n’as-tu plus de rêve ?

Mais moi je suis comme toi, alors je te comprends. Il sont loin Indiana Jones et Lara Croft, d’ailleurs, en y repensant, ils sont probablement vieux, aigris et gros maintenant. Un peu comme nous.

art by T. HANUKA

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