Entretien avec Riz Ahmed et l’équipe de « Sound of Metal »

Il est 19h, c’est une froide soirée de décembre 2020 et je m’apprête à rencontrer l’équipe de Sound of Metal.

Grâce à Mathieu de la société de distribution Tandem Films, j’ai pu voir en avant-première ce film dont le héros Ruben est un batteur qui devient sourd. À la fois intense et délicat, c’est une petite pépite avec un casting merveilleux composé en partie d’acteurs mal-entendants. Encore sous le coup de l’émotion, nous sommes plusieurs blogueurs à avoir préparé nos questions. Nous interviendrons à tour de rôle via Zoom.

« Ton micro est coupé ! » : c’est la phrase de l’année, non ?

Tout de suite, le réalisateur & scénariste Darius Marder donne le ton d’un échange qui s’annonçait un peu frustrant (marre des réunions à distance) mais se révèlera vite vivant et passionnant. On a tellement hâte que les salles rouvrent afin que vous viviez le parcours de Ruben avec le meilleur son possible. « C’est la pire période pour sortir mon premier film de fiction », ajoute Darius.

Mais à l’image de son héros, l’équipe va de l’avant et compte sur le soutien du public français. Justement, Nicolas Becker est français lui aussi et sa contribution est ici essentielle. Gravity, Premier contact … : il est l’un des ingénieurs du son les plus demandés au monde.

Quant à Riz Ahmed, il est bien ce caméléon révélé dans son Angleterre natale par la série Dead Set et le film Four Lions. En 2014, il tient tête à Jake Gyllenhaal dans un second rôle très remarqué (Night Call) qui marque son entrée à Hollywood. Dès lors il enchaîne les blockbusters (Jason Bourne, Star Wars : Rogue One, Venom) et les séries (Girls, The OA). Pour la mini-série The Night Of, il remporte un Emmy Award, le tout premier pour un comédien d’origine asiatique (ses parents viennent du Pakistan). Ajoutez à cela sa carrière de rappeur : d’abord sous le nom de Riz MC, puis avec The Long Goodbye sorti début 2020 sous son vrai nom.

Vous obtenez un trio de haut vol, sensible à la marche du monde et concentré sur le parcours de Ruben qui noue une relation nouvelle avec son environnement. Morceaux choisis :

Charlie : Merci à tous pour ce film plein d’émotions brutes. Nicolas, j’ai été bluffé par l’ambiance sonore où l’on ressent la perte progressive de l’audition de Ruben. Je me demandais dans quelle mesure vous aviez pu la créer pendant les répétitions ou pendant le tournage ? 

Nicolas Becker Nous savions dès le départ que le son du film devait être supra-diégétique, que tout soit réel ou le plus proche possible du réel. J’ai pensé très vite à des procédés et, avant même qu’il me rencontre, Darius avait en tête que les acteurs devaient jouer pour de vrai, leur musique, leur propre musique. Olivia Cooke et Riz Ahmed se sont beaucoup entraînés pour pouvoir jouer vraiment et d’une manière cinématographique.

C’était très important d’instiller l’idée que tout ce que l’on écoute est brut et vrai. 

Après, nous avons essayé de tout enregistrer par « échantillons ». Même si le son est parfois reconstruit, cela part d’un original, de ce qui avait été enregistré pendant le tournage. Tout est très contextuel car j’ai voulu être proche de l’idée de Darius d’avoir une approche documentaire. Même dans les effets que nous avons fait avec Riz, quand le son est étouffé, nous avons enregistré ces sons avec Riz, avec des appareils et des micros branchés sur son crâne, dans sa bouche. Nous avons essayé de créer une fiction d’une réalité. Tout ce qui allait dans cette direction était cool pour nous.

Au final, le mixage et montage sonore du film ont duré 6 fois plus longtemps que le tournage. Il y a peu de films autant portés par l’ambiance sonore. Un exemple qui me vient en tête est The Conversation (Conversation Secrète) de Francis Ford Coppola.

Sound of Metal
Nicolas & Darius sur le tournage du film

Mathieu : Et Riz devait jouer avec des choses dans les oreilles ? 

Nicolas : Oui, Darius a eu l’idée de simuler la surdité pour qu’il puisse vivre cette condition. Le film est puissant car il y a un engagement physique. Le son que Riz entend est un conglomérat de beaucoup de sons, mais tout le film est une expérience, une sorte de voyage. C’est quelque chose dans lequel il fallait être engagé physiquement. Et je pense que le film s’adresse aux sens et à l’esprit, mais aussi au corps.

Darius : J’adore cette manière de le dire. D’ailleurs nous ne laissions pas Riz entendre sa propre voix, ce qui est différent encore de ne plus rien entendre, ou d’avoir un bruit blanc ou un acouphène. Cela rend d’ailleurs les gens fous, les acouphènes.

Sound of Metal

Nicolas : J’ai travaillé sur beaucoup de films français avec des acteurs français et l’approche a été ici très différente. C’est la première fois de ma vie que je faisais du bruitage pour un acteur anglais. L’engagement a été beaucoup plus grand. En France, on a cette culture de parler, de transmettre des émotions sur le visage. Pour les acteurs anglais, le corps est beaucoup plus engagé dans le jeu. Cela a permis au film d’exister, du fait de cette culture du jeu.

Merci à toute l’équipe du film. On reparle de Sound of Metal d’ici les Oscars fin avril, je prends les paris.

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