Incendie Icebergien



Quelle étrange sensation que celle qui vous prend au corps, en visionnant Un été brûlant, de Philippe Garrel. Cela faisait longtemps que j’étais curieux de voir à quoi ressemblait le cinéma de ce vieux routard, figure à part du paysage audiovisuel français. Garrel n’a jamais vraiment rempli les salles, mais a toujours suscité de la curiosité. Son nom est accolé au cinéma français depuis la fin des années 1960, et est rattaché à une véritable dynastie, car le père, Maurice, décédé cette année, fut un acteur sublime, notamment dans Rois et Reine, d’Arnaud Desplechin, décédé récemment, et le fils, Louis, que chacun d’entre vous connaît sûrement, est aujourd’hui une figure emblématique d’un jeune cinéma d’auteur.

Grand-père, père et fils sont donc réunis dans ce curieux film, qui ne ressemble en rien à ce à quoi l’on pouvait s’attendre initialement. Contredisant la promesse faite par son titre, cette œuvre, plus que solaire, est avant tout un film à idées, dans la veine des Godard tardifs (à partir des années 1970). Nous sommes face à un ensemble finalement assez complexe, où le romanesque n’est qu’un élément parmi d’autres. Donc si vous n’êtes pas un adepte du genre, si vous pensez que « Godard a cessé d’être un grand cinéaste lorsqu’il a commencé à se prendre pour un philosophe » , ou si tout simplement vous vous rendez au cinéma comme vous iriez à Leader Price, à choisir le film que vous allez voir en fonction de son potentiel divertissant, préférant tel film à tel film comme vous choisiriez une marque de crème pour visage plutôt qu’une autre, détournez votre chemin.

Dans cette histoire, Frederic (joué par Louis Garrel), peintre exilé à Rome, vit avec la belle Angèle (Monica Bellucci), actrice italienne et reçoit la visite d’un couple d’amis, Paul et Elisabeth. Le premier couple est au bord de l’implosion, notamment à cause de la jalousie de Frederic, et l’arrivée du couple de français ne fera rien pour arranger les choses. Il faut noter que ce film se démarque de la création française contemporaine, et ce tout d’abord par sa dimension éminemment politique, idéologique. Il est vrai que l’on a perdu l’habitude d’être confrontés de manière frontale à l’engagement, et ce dans toutes ses formes. Alors que Paul est représenté comme un révolutionnaire, un communiste prêt à tout pour en découdre avec le système, mais en même temps bien seul dans son combat (il vend trois exemplaires de son journal au marché), Fréderic, lui, qui dit préférer sa femme à la question politique, devient malgré lui le personnage le plus éminemment idéologique, engagé du film. L’homme, attaché de façon déraisonné à celle qu’il aime, mettra tout en œuvre pour ne jamais la perdre. Sa volonté restera intacte, il ne biaisera jamais de sa feuille de route. Comment ne pas penser à la malheureuse Ségolène Royal, qui il y a peu encore se disait « animée d’une flamme » qui jamais ne s’éteindra. Garrel nous montre ici à quel point celui qui agit pour son pays et celui qui aime se ressemblent, partageant la même flamme.

L’aspect le plus fascinant du film s’avère être le rapport qui est marqué avec le langage. Celui-ci est parfois utilisé de façon très économique, le réalisateur préférant mettre en avant les silences, les corps. Le jeu des regards, des attitudes, est mené de façon très minutieuse, et l’on vient à se demander pourquoi, de cette façon, le metteur en scène en vient à gâcher cette qualité rare, par la mise en place de dialogues pesants, véritables discours didactiques qui alourdissent le film dans son ensemble. Ainsi, le personnage du doux idéaliste de Paul agace dans son verbatim, geignant, grinçant comme une vieille chaise que l’on n’a pas envie d’entendre. Ce personnage ressemble à s’y méprendre à celui d’Emmanuel Mouret, acteur et réalisateur nunuche qui se donne un malin plaisir à intellectualiser à outrance le discours amoureux. On frôle parfois le mauvais pastiche de Rohmer. ( http://youtu.be/wKeRPn6cTq8)

Le film déroute, et ne cesse d’étonner, car on a du mal à le rattacher à des thématiques, à des esthétiques dominantes. On peut contester la finalité du film, son objectif parfois un peu appuyé de nous montrer une chronique bien particulière, un peu atemporelle (à part la mention de Sarkozy, l’action pourrait se dérouler à toute époque), avec des thématiques qui nous rappellent celles développées par un cinéma jadis foisonnant, mais aujourd’hui bien dégarni. En revanche, il faut louer l’incroyable élégance qui se dégage du film, dans sa composition visuelle, avec des plans à la fois sobres et entêtants, ou l’utilisation d’une palette de couleurs froides, qui effectivement, nous brûlent comme un oxymore. La caméra de Garrel sait saisir chaque émotion, chaque geste, chaque expression avec une belle finesse, une netteté à laquelle on est rarement confronté, et la direction d’acteur a été menée de façon impressionnante. Garrel devient un corps souffrant d’une beauté crépusculaire, et Bellucci apparaît à la fois si dominante et terriblement fragile. Cette dernière étonne, devient touchante, en laissant bien loin derrière elle son orgueil d’actrice qui agace parfois. Reste cette scène en tête, longtemps, très longtemps, de la danse de Monica sur « Truth begins » de Dirty Pretty Things. Pretty, pretty thing.

1 Comment

  • Héloïse
    Héloïse

    J’ai chaud extrême en endurant froidure ;

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