LA LITTERATURE DTC

Pour faire bien, je lisais un livre de Jean-Philippe Toussaint, un monsieur d’une cinquante d’années qui peut se vanter d’avoir eu le Médicis. Or donc j’étais plongé dans Faire l’amour, l’histoire d’un type et sa femme à l’autre bout du monde, quand soudain :

« Le jour se levait sur Tokyo, et je lui enfonçais un doigt dans le trou du cul. »

Légère angoisse dans ma rame de métro. Enfin, sur mon siège je veux dire.

Parce qu’à bien y réfléchir, on ne trouve pas beaucoup d’actes anaux hétérosexuels dans la littérature contemporaine de tous les jours (notez l’emphase sur « de tous les jours »). Si l’on s’est pas mal détendu au niveau des rapports sexuels dans l’art en général, après tout nous sommes français bordel, la sodomie et assimilé reste plus délicate à invoquer. Car si l’intercourse est anodine, son côté obscur l’est moins. Il répond en ce sens presque toujours à une logique de scénario, à une volonté de dire quelque chose de plus.

On peut penser tout le mal qu’on veut du Hell de Lolita Pille. Mais à la fin, l’héroïne choisit de se faire enculer par un prolétaire. Elle explique qu’elle veut se faire souiller par la souillure, pour se détruire et oublier ses drames. Au-delà du mépris de classe, la sodomie n’est là pas anodine, car chargée négativement niveau symbolisme. Se faire prendre par derrière, c’est se détruire.

Cette rentrée littéraire en France, on a enfin pu mettre la main sur une traduction du très bon Sunset Park de Paul Auster. Dans celui-ci, la très jeune petite amie du personnage principal, refuse la pénétration vaginale. Leur couple fonctionne sexuellement sur la sodomie. Ce choix de scénario les place dans une espèce de bulle. Cela renforce le côté spécial et unique de leur relation, une logique hors du reste du monde, qui n’appartient qu’à eux.

Et comme la littérature, c’est aussi les comics, c’est l’occasion de vous parler de la plus célèbre (et seule ?) sodomie de l’univers Marvel. Cela s’est déroulé dans le premier numéro de la série mature Alias, entre le super héros black Luke Cage et l’ancienne super héroïne maintenant dépressive Jessica Jones.

Ici la pénétration anale est vécue à plusieurs niveaux par Jessica. C’est une façon de ressentir quelque chose au milieu de l’anesthésie générale qu’est devenue sa vie. Tout comme c’est un moyen (croit-elle) de mieux plaire à Luke, en lui laissant faire ce qu’elle pense qu’il veut. Les deux pages sont dures, mais pas anodines. Elles servent le scénario.

Lors de l’écriture d’une scène de sexe, on peut se contenter d’écrire « Ils couchèrent ensemble ce soir-là » ou bien on peut détailler. Soixante-dix pour cent de la communication est non verbale. L’usage d’une pratique inhabituelle, voire taboue, est encore plus lourde de sens. En tout cas elle se doit de l’être.

Car en écriture plus qu’ailleurs, rien ne doit être gratuit.

 

5 commentaires

  • I Made This | -The Best Place-
    I Made This | -The Best Place-

    […] La Littérature DTC – De l’intérêt narratif de la sa sodomie hétérosexuelle dans la littérature contemporaine. Sur le blog Another Whisky. […]

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  • Roxy AshGolden
    Roxy AshGolden

    Wahou. J’aime bien quand toi aussi tu sors un peu des secrets battus, pour parler. Et c’est toujours aussi bluffant que tu cites des oeuvres en dissimulant pudiquement ton avis sur la question, je respecte.

    Merci donc une fois encore pour ces titres égrenés que je mettrai sur ma liste à lire, un jour, et merci pour m’avoir fait rêver quelques instants.

    (enfin, le contre coup de ta neutralité quasi-helvétique, c’est que c’est aux commentateurs de lancer le débat : la sodomie est-elle toujours humiliante ? Est-elle un choix « à défaut de vagin » ? Et qu’en est-il de l’enculage de mouche ? Pour mettre tout le monde d’accord, je préfère la DP.)

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  • Saint Gall
    Saint Gall

    Des sodomies ? y en a plein la littérature contemporaine : Jean Genet, James Joyce, George Bataille, Unica Zürn, Roberto Bolano, Swift, Pasolini, Artaud…
    Mais bon, quand on lit la fine fleure de la littérature contemporaine Auster et Pille (deux cadors !) faut pas trop en demander en terme de savoir littéraire.

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    • lereilly
      lereilly

      Tu cites des auteurs qui sont bien entendu un cran au dessus, mais tu noteras l’emploi de l’expression « la littérature contemporaine de tous les jours ».
      Je connais plus de lecteurs de pille et auster (qui n’est pas si mauvais) que d’Ulysses. 🙂

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  • 1211 – For Hire | -The Best Place-
    1211 – For Hire | -The Best Place-

    […] adoré le concept du comic Heroes For Hire. Au départ était Luke Cage (aka Power Man, aka le sodomite de l’univers Marvel), un super héros mineur et sans le sou. En plus de ses activités bénévoles de sauveteur du […]

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