Théâtre d’un désastre familial

« Elle n’avait pas du tout l’air de la femme indépendante et plus âgée qu’il avait imaginée, et un petit serrement d’estomac l’avertit de freiner un peu et de se demander s’il voulait vraiment qu’elle revienne. De ne pas confondre la douleur de la perdre avec un désir réel de l’avoir. »

N’a-t-on jamais rien appris en amour ? Il faut croire que non, et ce ne sont pas les discours moralisateurs des générations précédentes ni toutes ces fois ou nous nous sommes nous-mêmes cassés les dents qui viendront prouver le contraire. Jonathan Franzen nous dévoile avec Freedom (sorti  en 2011) un petit bijou de compréhension de l’âme « amoureuse » et de nos désirs contradictoires. Un roman complet, fini, auquel il est difficile d’ajouter quelque chose. Chercher à le résumer semble alors bien périlleux…

… Walter a rencontré Patty à la fac et il est tout de suite tombé fou amoureux d’elle. De son côté Patty a longtemps hésité entre ce Walter doux, intello, engagé et inoffensif et son meilleur ami, Richard, le typique musicos rebelle qui fait défiler les nanas dans son lit. Patty a eu peur, Patty a fait le choix « raisonnable ». Des années plus tard, le couple Patty-Walter est au bord de la rupture : une fois les enfants partis, Patty s’ennuie dans son rôle de femme au foyer et passe ses jours et ses nuits à rêver de l’autre vie qu’elle aurait eue avec Richard – elle lui a cédé quelques années plus tôt dans le plus grand secret. Pendant ce temps, Walter nourrit une colère infinie contre notre monde, nourrie des frustrations accumulées dans sa vie aux côtés d’une Patty de plus en plus triste, de plus en plus froide, de plus en plus lointaine.

Autour de ce triangle amoureux sont développées des idées concernant la surpopulation et les problèmes qu’elle engendre par petites touches socio-écolo bien étayées et passionnantes. La fracture parents / enfants est aussi mise sur la table, l’ingratitude systématique des enfants qu’on met au monde, qui nous ramène une fois adulte au principe même, que nous l’avons souvent été avec nos propres parents. Tous les adolescents se disent : « Jamais je ne ferai comme mes parents ! ». Tous les parents  se disent « tu n’as rien vécu, tu ne retiendras pas de leçons de mes propres galères et ne t’inquiète pas, tu vas mordre la poussière toi aussi, comme tout le monde ». Ce serait, parait-il, lorsqu’on a des enfants qu’on commence enfin à comprendre ses parents. C’est ce que Franzen nous explique en décortiquant notre processus de maturation d’humain borné qui se croit toujours être le premier Homme sur Terre.

Jonathan Franzen n’est pas un débutant dans l’art de faire ressortir nos sombres désirs et craintes : Auteur américain désormais largement reconnu par la critique, il est l’auteur entre autres des Corrections, roman qui a notamment reçu le National Book Award en 2011 (… l’équivalent de notre Goncourt). Franzen est un expert pour décrypter, à travers les fictions qu’il met en place, la vie des familles américaines, au delà des apparences.

Freedom est un roman universel. Il nous pose les questions suivantes : Sommes-nous justes avec notre famille ? Jusqu’où va notre engagement politique ? Est-il motivé par de bonnes raisons ? Et surtout, en amour, quel choix devons-nous faire, celui de nous lancer dans une histoire passionnelle qui nous fait vivre à nous tordre le ventre, et par ailleurs si destructrice, ou celui de vivre un amour raisonnable, durable mais parfois d’un ennui qui nous incite à envier toutes les autres vies ?

Rassurez-vous, après lecture de ce livre qui vous apprendra certainement beaucoup sur vous-même, vous continuerez de vous tromper, puisque c’est ainsi que nous sommes.

« Il laissa le téléphone lui glisser de la main et resta un moment allongé à pleurer, en silence, secouant le lit bon marché. Il ne savait pas quoi faire, il ne savait pas comment vivre. Chaque chose nouvelle qu’il rencontrait dans la vie le poussait dans une direction qui le convainquait de sa justesse, et puis la chose suivante apparaissait et le poussait dans la direction opposée, qui lui semblait tout aussi juste. Il n’y avait pas de récit dominant : il avait l’impression d’être une boule de flipper uniquement réactive, dont le seul objet était de rester en mouvement simplement pour rester en mouvement ».

 

Titre : Freedom

Auteur : Jonathan Franzen

Éditeur : Éditions de l’Olivier

ISBN : 978-2879296579

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