Le Majordome (The Butler) : Quiet Black Power ?

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En 2012, Lee Daniels réalisait l’excellent ‘Paperboy‘ : une enquête menée par 2 frères journalistes sur des crimes sordides dans la Floride des années 60. Il revient cette année armé d’un ‘Majordome’ (The Butler) dont l’histoire, s’étendant des années 30 à aujourd’hui, retrace à travers la carrière d’un majordome à la Maison Blanche l’évolution de la condition des personnes de couleur aux États-Unis au XXème siècle. Vaste programme.

Pour ce faire, Daniels exploite à fond le concept du conflit de génération pour placer ses protagonistes dans les organisations clé dans la société et l’Histoire : la Maison Blanche évidemment, mais aussi le mouvement pour les Droits Civiques, l’armée, les Black Panthers… Ainsi, le film prend rapidement la forme d’une fresque historique plus que d’un biopic – d’autant que, comme l’apprend bien vite Cecil Gaines /Forest Whitaker, dès lors qu’un majordome digne de ce nom est dans une pièce, « c’est comme si elle était vide« .

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Alors, ‘Le Majordome‘ finalement, qu’est-ce que c’est ? Peut-être bien la juxtaposition de deux mondes qui jouent à cache-cache en permanence : celui, feutré et mesuré, où se jouent les grandes décisions du siècle, entre deux tasses de thé servies par des fantômes noirs aux gants blancs ; et celui, exubérant et agité, des activistes et des étudiants qui mouillent le maillot de sueur et de sang pour exiger et affirmer des droits aussi réels pour eux qu’ils sont insignifiants et (pourtant) prestigieux pour celui qui, dans son bureau pas tout à fait rond, les signe, plein d’une compassion électoraliste toute calculée. La mesure et l’excès ; l’âge et la jeunesse. C’est avoir à démêler dans la société contrastée des sixties ce qui est ingérence des excès du passé, et ce qui relève du futur idéal, ou du moins meilleur, rêvé par Martin Luther King. Le film s’offre même une délocalisation de son propos, dédoublement malin mais facile dans l’évocation de l’Apartheid en Afrique du Sud ; manière de calmer le débat en amorçant le twist final du film – twist assez étonnant d’ailleurs, dans la mesure où il semble tout à coup choisir son camp, ce qu’il se refusait à faire auparavant, tandis qu’il retraçait avec minutie des éléments d’Histoire si connus qu’ils sont parfois livrés sans rappeler qui est qui. On s’adresse à des fans, à des gens pour qui les Présidents de États-Unis et leurs familles n’ont plus guère de secrets ; on est dans l’intimité d’Ike Eisenhower, JFK, Lyndon Johnson, Nixon, Reagan, et une kyrielle de First Ladies. Les spécialistes du carnet rose et des bans présidentiel apprécieront.

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Au-delà, je trouve dommage qu’on survole ce qui se veut en fin de compte le vrai sujet du film, à savoir le combat pour les droits civiques et contre la ségrégation. Abordés par le biais d’un personage attachant mais néanmoins secondaire, ils sont à peine profonds comme des polaroïds, avec leurs grandes figures habillées de cuir et leurs coiffures afro – un peu comme si la lutte était essentiellement vestimentaire. Sinon, ça reste une bonne excuse pour voir défiler, pêle-mêle et dans le désordre, Forest Whitaker (un de ses rôles les plus ternes, à mon avis), John Cusack (un Nixon assez convaincant), Cuba Gooding Jr… Mais aussi Oprah Winfrey (une nouvelle ‘american woman’, comme aurait dit…) Lenny Kravitz, en majordome lui aussi, et même Robin Williams incarnant un Dwight Eisenhower dix ans plus âgé que lui.

Un résultat un peu décevant tout de même pour un sujet qui promettait beaucoup ; il aurait fallu peut-être 1h de plus (ou des coupes judicieuses) mais, surtout, plus d’ambition pour faire de ce film une vraie rétrospective sur les aspects, ma foi, variés du militantisme noir aux États Unis. Sinon, on reste sur la vision, certes prémonitoire, d’une révolution cliché aperçue au-travers de la fenêtre de la Maison Banche par un majordome effacé, une force tranquille…en retrait, impersonnel. En spectateur du monde réel.

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La bande-annonce :

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