Elementary : de la marmelade sur mon hamburger, please !

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Elementary est une série américaine lancée en 2012, et dont la saison 2 est actuellement en cours de diffusion. Il était temps d’y jeter un œil pour, au moins, voir sur la première saison ce que ça donnait et décider si, oui ou non, ça valait le coup de suivre la seconde.

Disons-le tout de suite, il ne s’agit pas de comparer cette série avec une autre, anglaise celle-là ; si quelqu’un veut s’en charger je lui laisse volontiers le créneau. Regardons simplement ce que les States ont fait du personnage et de son univers.

2012. Sherlock Holmes (Jonny Lee Miller), sur les conseils l’ordre de son riche paternel, émigre à New York au sortir d’une cure de désintox. Là, il se voit attribuer un ‘compagnon de sobriété‘ – sorte d’équivalent du parrain chez les Alcooliques Anonymes, mais à domicile – en la personne du Dr Joan Watson (Lucy Liu), ex-chirurgien en reconversion. C’est en gros ce que vous pourrez lire partout ; ça, et le fait qu’ils sont amenés par l’indécrottable ‘déductionniste’ à collaborer sur bon nombre d’enquêtes ardues en compagnies du Capitaine du N.Y.P.D. Tobias Gregson (Aidan Quinn). Et alors ?

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Hé bien, on sort un peu mitigé de la saison 1 ; je n’en ferai pas le résumé (autant la regarder si vous êtes tellement curieux) mais on peut toujours l’analyser un peu. On y assiste à une vingtaine d’enquêtes, effectivement, où notre anglais excentrique seconde efficacement les services de Police de la ville dans des affaires de meurtres, d’agressions, de kidnapping, de vols avec violence, etc… Et parallèlement, la cohabitation forcée entre Watson et Holmes fait son chemin, cherche une stabilité tandis que leur relation évolue entre accompagnement professionnel et…euh, disons ‘partenariat domestique’ pour parler en termes courants sur les réseaux sociaux – vu que c’est en général par cet intermédiaire que Joan Watson semble définir sa propre personnalité au fil des épisodes. Voilà, tiens, mon premier angle d’approche : la recherche de modernité.

Clairement, on est à une époque où l’on veut s’approprier le mythe, le rendre moderne et, finalement, lui restituer cette approche novatrice qu’il exprimait à l’époque où Arthur Conan Doyle rendit son personnage célèbre. Ainsi, Elementary choisit d’évacuer pour le moment la fonction de biographe de Watson pour insister sur le côté partenaire, laissant l’histoire à l’état de timeline : elle s’écrit toute seule finalement, au fur et à mesure qu’on y consigne dans son journal public les évènements marquants. De même, Internet est omniprésent, et c’est normal. Le passé et, globalement, le statut des personnages canoniques sont aussi sont la cible d’une volonté de dépoussiérage et de fantaisie ; Watson est une femme (pourquoi pas), Holmes est en conflit avec sa famille. Quant à Mme Hudson, elle a quasiment disparu de l’histoire, et Lestrade est à Londres. Cependant, c’est bien là tout l’effort ; il ne semble pas que les scénaristes aient tenu à faire de Holmes un personnage anticipateur. Au contraire même, il est assez majoritairement tourné vers le passé durant cette saison, hantée constemment par les spectres de sa vie londonienne, son ascension, sa chute, et sa lente reconstruction dans un ailleurs qui ne devient qu’à peine, avec le temps, un véritable ‘chez soi’ – thème récurrent de cette première saison.

A ce stade, il me paraît nécessaire de faire un arrêt sur un point, finalement crucial si l’on considère Sherlock Holmes comme ce qu’il est pour nous tous, à savoir l’archétype du Détective amateur qui a depuis nourri la littérature et le cinéma : son métier. Et c’est là, à mon avis, que la série nous gratifie du plus gros contresens de son adaptation. Comme on sait, Holmes est un détective ‘consultant’ ; c’est vrai dans les livres de Conan Doyle, c’est vrai aussi dans Elementary…sauf que. Ici, consultant est pris au sens qu’on lui attibue aujourd’hui pour tous ces individus extérieurs aux services de police qu’on emploie régulièrement sur les enquêtes, comme dans toutes les séries américaines du genre. De fait, Holmes et Watson sont appelés sur les scènes de crime pour pour participer en tant que collaborateurs (spéciaux, certes) à l’enquête officielle (ou plus librement, parfois, il faut bien le dire). Mais la notion de client payant, fondamentale dans les bouquins, est ici quasiment évacuée au profit d’une sorte de routine façon ‘enquête de la semaine’ – ce qu’il y a en général de plus ennuyeux dans une série qui comporte une mythologie forte. C’est un choix contestable, car il ramène Sherlock Holmes au rôle d’adjuvant de la Justice au même titre que nombre de médiums, écrivains, mentalistes ou anthropologues du monde de la fiction télé moderne, autant de rôles dont il est le modèle, le précurseur à ceci près qu’il est, lui, un indépendant forcené dont la mission est moins de punir des crimes que de démêler des mystères, en pointer du doigt les rouages et laisser, une fois la représentation terminée, la Loi faire son travail et en récolter le crédit.

Aidan Quinn, Jonny Lee Miller

Les personnages aussi, à mes yeux, sont un point faible de la série à l’exception (notable) d’un seul. C’est un peu comme si, en voulant à toute force les transposer dans des figures actuelles, on avait un peu négligé leur profondeur ; et, de fait, ils se cherchent. C’est une obsession dans la série, une obsession qui pourrait mieux passer si elle ne se doublait d’une volonté des scénaristes de psychanalyser Sherlock, de démonter, expliquer chacun de ses comportements (a)sociaux pour ne laisser d’ombre nulle part – quitte à en rajouter par ailleurs, un peu artificiellement, lorsqu’il s’agit de réintroduire les éléments incontournables du mythe (Moriarty, etc…). Pourtant, et c’est presque un paradoxe, la grande réussite de cette série reste Holmes lui-même. Jonny Lee Miller parvient à incarner et même à renouveler le personnage avec une justesse et une inventivité tout à fait impressionnantes ; on retrouve chez lui les travers et talents du locataire de Baker Street, mais avec quelque chose en plus qui rend pardonnables les errements de la série. Peut-être parce qu’il arrive à enrichir le rôle de touches toutes personnelles, et que ça fonctionne. Parce qu’il donne le sentiment de nous apprendre sur l’homme, l’individu Sherlock, des choses qu’on ignorait et pourtant sont ‘tout lui‘. Les tatouages, la brusquerie, les expressions du visage ; et ce caractère irrémédiablement buté, infantile, naïf dans les rapports humains lorsqu’ils sont dépourvus du machiavélisme et de la construction mentale habituels aux sphères où son esprit a pour habitude d’évoluer. La meilleure raison d’embarquer finalement pour une saison 2 qui pourrait (on l’espère) étoffer ce que le portrait a de juste et, pourquoi pas, corriger les erreurs de jeunesse d’un programme qui, à défaut de s’être rendu complètement indispensable, a déjà su rendre son héros légitime, et digne de son héritage.

A suivre donc.

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