True detective, tuerie en série

Avant d’entrer dans le vif du sujet, si vous ne l’avez pas encore vu, jetez donc un œil au fantastique générique d’ouverture de cette saison, la série étant une anthologie, les personnages et intrigues changeront après le huitième épisode, à la manière d’American Horror Story, en mieux :


Générique réalisé par Patrick Clair, pas manchot pour un sou.

Louisiane, 1995

Des affaires comme ça, on en a une par carrière, et encore, faut manquer de pot. Meurtre ritualisé, ça sent la secte à plein nez. A ce stade de l’enquête, on ignore encore quel est le barjot qui drogue, viole, tatoue puis attache des femmes nues en position de prière, des bois couronnant leurs têtes, mais c’est trop codifié pour une première fois. Ce timbré a déjà perpétré ce type de crime, je vous fiche mon billet qu’il en commettra d’autres.

Dora Lange, le crime par lequel tout commence.
Dora Lange, le crime par lequel tout commence.

C’est dans une Louisiane rurale que se déroulent les faits. Chrétienne, donc, et pas qu’un peu. Rust Cohle (Matthew McConnaughey) , un flic débarqué du Texas, aussi doué pour la parlotte que Ray Charles pour la carabine, risque moyen d’y trouver sa place, surtout s’il ne croit pas en Dieu, d’autant plus s’il ne croit en rien. Il s’en fout un peu remarque, ça fait longtemps qu’il fricote avec sœur solitude. Il est de ces types que le sort n’a pas voulu préserver, ni le sort ni ses supérieurs, collègues ou femme ; tous ont participé à sa décrépitude. A Baltimore ou Los Angeles, on le qualifierait sans peine de « Real police », il en a le flair et l’œil malgré les séquelles psychologiques, sensorielles et physiques. Ici, on l’appelle « The Taxman », le percepteur; on a connu au fisc des types plus appréciés.

On l’a flanqué à la CID (Criminal Investigation Division) avec un type du coin, Martin Hart (Woody Harrelson), résilient à sa morbidité. Quoique, leurs premiers échanges ne sont pas pour lui plaire, mais quand ça merde, vaut mieux garder les talents sous le coude, peu importe l’animosité qu’on éprouve à leur égard. Dans cette traque, poisseuse comme elle s’annonce, de vrais flics ne seront pas de trop.

Louisiane, 2012

L’affaire était résolue, le givré hors d’état de nuire, la série de meurtres enrayée. Dix-sept ans plus tard, ça recommence, la mise en scène comporte de troublantes similitudes avec celles de naguère, incluant des détails qui n’avaient jamais été rendus publics.  L’ancien duo de détectives n’est qu’un lointain souvenir, une autre équipe en charge de l’enquête les convoque séparément pour relater leur longue traque. Ces nouveaux inspecteurs semblent plus  intéressés par les méthodes et caractères de ceux à qui ils ont succédé que par les faits bruts.

« Means I’m bad at parties – Let me tell you, you ain’t great outside of parties either.”

Rust Cohle et Martin Hart sont des personnages, ils transpirent la fiction par leurs dégaines et leurs réparties, leur opposition comme clef de voûte des enjeux dramatiques aurait pu rendre l’ensemble artificiel mais Harrelson et McConaughey portent leurs personnages à la perfection, ils en imposent.

Cohle et Hart dans l'un des très nombreux plan voiture. Message reçu : Permis B obligatoire pour intégrer la Crim'.
Cohle et Hart dans l’un des très nombreux plan voiture. Message reçu : Permis B obligatoire pour intégrer la Crim’.

Et pas qu’un peu, chez ce dernier, le passage du temps est joué remarquablement. L’asocial tourmenté et acide de 1995 fait place un Cohle plus détaché, qui ajoute de l’amusement au cynisme, une aisance qui lui faisait défaut malgré l’indéniable talent pour faire cracher des suspects. McConaughey livre une superbe performance ; il m’a fallu mater Killer Joe et Mud pour m’assurer que son époque playboy de rom com était révolue, la transformation est totale. C’est un plaisir d’entendre les diatribes de son personnage, sa hargne contre le monde qui l’entoure, l’enfantement et surtout la religion. Il n’épargne personne, surtout pas lui-même.

Harrelson quant à lui, joue comme d’habitude. Faut dire qu’il a la gueule du mec qui suinte la virilité crasse et il l’incarne à la perfection. Fidèle à Dieu, plus qu’à sa femme – mais, selon le bonhomme, c’est sain pour la famille alors pourquoi se priver ? – Marty est un pourri sympathique, valeureux, sensible même, qui a moins d’emprise sur l’enquête que son partner in Crime malgré son poste de responsable d’équipe. C’est qu’il a à cœur la séparation du travail et de la famille, mais les signes sont nombreux qu‘il se retrouvera tôt ou tard mouillé plus qu’il ne l’aurait voulu. La poisse déjà insinuée chez ses proches n’attend que de se répandre dans un monde déliquescent.

C’est un endroit qui ressemble à la Louisiane…

et le temps y dure longtemps, surtout dans le scénar lambinant de Pizzolatto, mais ce n’est ni le bayou ni la Nouvelle Orléans, on s’attarde dans le portrait dressé d’une campagne louisianaise dans laquelle il y a plus que de la justesse mais une forme de tendresse dans ces paysages superbement capturés. On croit à ces patelins, champs et industries qui jonchent le Mississipi – ou quelque autre fleuve, je suis à peu près aussi familier de la topologie en Louisiane que de celle du Kirghizstan. Alors qu’elle ressemble à partout et nulle part, la Louisiane de True Detective est mise en valeur dès le générique, où décors et personnages fusionnent pour devenir des hybrides urbanohumanoïdes, jusqu’à la manière de capturer les caractères modelés par leur environnement.

Je vous remets un peu de générique pour le plaisir des yeux.
Je vous remets un peu de générique pour le plaisir des yeux.

Film noir oblige, lieux et acteurs sont touchés par le drame, le mystère et l’occulte. La synesthésie de Cohle, charmante affliction qui associe des impressions à des goûts, et quatre années de consommation régulière de drogues en HIDTA (High Intensity Drug Trafficking Area, littéralement Zone de Trafic de drogue à haute intensité) au service de quelques prises policières participent à marquer le coin du sceau de l’étrange en illustrant à l’écran sa perception modifiée, teintant de surnaturel une enquête pas banale.

La signature du tueur aperçue dans un vol d'oiseaux
La signature du tueur aperçue dans un vol d’oiseaux

Des références ésotériques sont d’ailleurs disséminées subtilement. On y retrouve des allusions au Roi en Jaune, de Chambers, recueil de nouvelles qui inspira à H.P Lovecraft son Necronomicon, de quoi s’inquiéter pour la santé mentale déjà pas très stable des divers protagonistes. Entre les mômes qui reproduisent des scènes morbides avec leurs jouets, les faibles d’esprits qui rejoignent les rangs de prêcheurs charismatiques et Marty, dont la jalousie maladive l’entraîne dans des rages destructrices, il y a de quoi glisser vers la folie pure.

Deux temps, trois mouvements (ou à peine plus)

Les épisodes sont traités par le biais du témoignage et du souvenir, c’est ce dernier qui doit expliquer les indispensables scènes « It’s not porn, it’s HBO » parce que, sérieusement, raconter ses gaudrioles ou ses altercations familiales à des flics qui, certes, veulent en savoir plus mais peuvent sûrement se passer des détails salaces, c’est pas franchement professionnel. Toutes les scènes ne sont pas là pour faire avancer l’enquête, la majorité se concentre sur les personnages et leurs interactions, ajoutant détails signifiants et traits de caractère à ce beau monde pourri.

A ce stade du récit, les liens sont encore indistincts entre 1995 et 2012, on en discerne surtout les ruptures. Cohle et Hart ont rendu leurs badges, dans la foulée, l’alliance de ce dernier y est passée, tout comme toute forme de relation entre le louisianais et le texan. La forme n’est pas nouvelle, How I met your mother, dont l’appartenance à un genre pour le moins différent rend l’analogie maladroite, a fait sa marque de fabriques des souvenirs relatés.

Cela dit, la forme de l’anthologie permet d’affirmer qu’on n’aura pas à attendre des années un dénouement sans cesse repoussé mais c’est vrai qu’on se marre moins souvent. Le sourire est franc, quand même, malgré la pesanteur, le glauque et l’obscur, le show n’est pas sans humour, notamment dans la dynamique du duo policier aux punchlines grinçantes à souhait, efficaces. « Is shitting on any moment of decency part of your job description? » de Marty me restera en tête longtemps.

Sans surprise, sur Reddit et imdb, les méninges deviennent feux de joie, plans et séquences sont disséqués et l’on rivalise d’imagination et d’observation pour soutenir diverses théories. Il est fascinant, le monde des possibles mais, comme on s’habitue vite à la qualité, on peut espérer que ce film en huit épisodes gardera la barre aussi haute qu’il l’a placée jusqu’à présent.

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