Bosch : la conquête du petit écran

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Qu’à cela ne tienne, aujourd’hui j’avais envie de parler de livres et d’adaptation télé. Comme alibi, j’ai choisi Michael Connelly ; cet auteur américain de romans policiers à la production dense et de plus en plus variée est aux commandes des aventures noires et teintées de réalisme triste de plusieurs héros complexes qui, quasiment tous, orbitent autour de Los Angeles et de l’univers de la Justice, passages obligés du genre. Harry Bosch est un Inspecteur de la Criminelle, obstiné et à fleur de peau. Michael Haller est son demi-frère – ils ne se connaissent qu’à peine – et officie comme avocat de la défense. Intimement obsédé par l’idéal d’innocence (souvent toute relative dans le monde réel), il voit son métier comme un dernier rempart contre les conséquences de l’injustice sociale. Jack McEvoy est chroniqueur judiciaire, et Terry McCaleb, agent du FBI en retraite et greffé du cœur… Ces personnages parmi d’autres portent l’œuvre de Connelly, au sein d’un univers où  ils se croisent, s’affrontent et s’entraident autour du vaste incubateur qu’est Los Angeles. Ville de fantasme et de désespoir, les personnages parfois s’en éloignent, presque toujours y reviennent. On a vu Clint Eastwood dans le rôle de McCaleb en 2002 dans ‘Créance de sang‘, Matthew McConaughey dans celui de Mickey Haller en 2001 avec ‘La Défense Lincoln‘ ; Connelly souvent s’en amuse, et il intègre volontiers des références en clin-d’oeil à ces films dans ses romans.

C’est maintenant Harry Bosch, principal personnage de Connelly (19 romans et quelques apparitions) qui fait l’objet d’une adaptation télé par Amazon Studios fin 2013, sortie en février 2014. Homonyme de Hieronymus Bosch, ce peintre du XVième siècle qui savait s’y prendre pour dépeindre l’Enfer et les tourments des Damnés, Harry est un policier quadragénaire taciturne et passionné de jazz, ancien soldat persuadé que sa mission est de tâcher d’endiguer le Mal qui submerge sa ville (Los Angeles) et par extension, le monde. Tout est sombre chez Bosch, à l’image des tunnels où il combattit dans sa jeunesse et des nuits qu’il passe plus volontiers à travailler où à boire qu’à rêver des femmes qui ont traversé sa vie comme des éclairs, intenses mais toujours éphémères. Sa vie n’est pour lui qu’une (en)quête permanente, un lent exorcisme qui imprègne autant son travail que celui ci dévore sans merci sa vie privée. Pour l’incarner, la chaîne a choisi Titus Welliver, que je connaissais plutôt pour des rôles de ‘bad guy’ et qui vient finalement avec à-propos souligner la double nature du personnage, justicier parfois tenté par les méthodes expéditives face à la frustration de l’impunité, à cause d’une Justice dont la mécanique peine à satisfaire ses convictions d’enquêteur instinctif. Alors il se contient, il aligne les bières sur son balcon et grogne contre son collègue, Jerry Edgar/Jamie Hector et contre la hiérarchie, sa supérieure le Lieutenant Grace Billets/Amy Aquino et le patron des Affaires Internes Irvin Irving/Lance Reddick. Deux anciens réguliers de The Wire dans la liste, en plus du co-scénariste Eric Overmyer qui travaille avec l’auteur au scénario de ce pilote – Lance Reddick vient de Fringe, aussi – c’est déjà bon signe.

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Le pilote donc, proposé à l’essai en streaming gratuit, permet d’avoir un aperçu de ce que sera la série si l’enthousiasme qu’elle soulève parmi le public internaute arrive à convaincre les producteurs – méthode étonnante qui met aux prises les pilotes de 10 séries potentielles pour gagner l’accès à la production…l’idée peut sembler juste, même si elle brisera certainement le cœur des amateurs de séries confidentielles ou au succès tardif. On y découvre un Harry Bosch rugueux, chatouilleux, obsessionnel – comme on pouvait l’espérer. En plein procès pour une accusation de bavure prétendument maquillée en légitime défense, tiraillé entre l’image du Protecteur et du Monstre, il se réfugie dans ce qu’il sait faire de mieux pour étouffer ses doutes : enquêter.

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Forcément l’affaire qu’il déniche sera dure, douloureusement personnelle aussi, avec la découverte des os d’un petit garçon dans les collines. Constant aller-retour entre présent et passé, conviction et réalité, au milieu duquel Bosch sur la corde raide se précipite en avant comme pour éviter d’avoir à se retourner sur ce qu’il pensait révolu, acquis, un statut de héros dont il se passerait bien et qu’il paye au prix fort – l’avocat de l’accusation est surnommé ‘Money‘, tout un symbole. Sur les 50 minutes de l’épisode, on a tout juste le temps de voir les pièces se mettre en place sur l’échiquier, au tribunal et dans le dossier d’une affaire qui s’annonce nébuleuse. Mais déjà, l’ambiance se dessine, lourde, lente, comme l’irrémédiable avancée du Destin. Sans surfaite complaisance – les légistes qui cassent la croûte en discutant le bout de gras devant des restes humains sans que personne se sente obligé de faire la grimace, ça change. Si nausée il y a, elle reste à discrétion du spectateur. Tout ceci laisse espérer une série qui prend son temps, ne bâcle pas ses affaires en 3/4 d’heure de procédure marathon formatée comme une publicité pour les forces de l’ordre. Bosch, c’est un perpétuel questionnement entre le but, inaccessible idéal, et les moyens, dans la mesure ou la disproportion. C’est ce que la série semble amener ; peut-être est-ce seulement « l’effet pilote » (ces séries qui commencent sur un double épisode pour installer le cadre). Ou peut-être a-t-on le pendant de The Wire, centrée sur l’approche personnelle, intime d’un personnage fort, qui n’a jamais totalement révélé ce qu’il cache au plus profond et qui ne cesse pourtant de remonter à la surface. On verra…avec un peu de chance. Il est peut-être toujours temps d’aller regarder et, si vous aussi vous voulez voir la suite, de faire la différence. A vous de voir.

(moi, je suis pour)

Pas de bande annonce, mais de courts extraits en VO :

1 Comment

  • Gatrasz
    Gatrasz

    Au passage, je signale que la série, qui tient toutes ses promesses, est à présent accessible en entier (mais pas encore en France).

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