Les Rougon Macquart #7 L’Assommoir

T’as voulu la misère, voila la misère. T’as voulu la bassesse, voila la bassesse. T’as voulu le sordide, voila le sordide. Rompant net avec les six premiers romans de la saga, l’Assommoir est le plus dur, le plus sordide, le plus impitoyable épisode des Rougon Macquart. C’est aussi l’un des plus émouvants. Un grand moment de littérature naturaliste qui se déguste comme un dernier petit verre de tord boyau

Car dans l’assommoir, c’est bien d’alcoolisme qu’il est question. D’ailleurs l’assommoir désigne un établissement qui fabrique son propre alcool avec un alambic. Et c’est pas de la roupie de sansonnet, plutôt le genre que dégustent Lino Ventura, Francis Blanche et toute la clique dans les tontons flingueurs. Du brut pour les brutes…. Mais si l’alcool est coupable de bien des maux, c’est aussi du monde ouvrier qu’il est pour la première fois question. Si on avait un peu cohabité avec le petit peuple dans le ventre de Paris, c’est avec l’Assommoir que Zola s’intéresse vraiment aux ouvriers. Les plus misérables des travailleurs, et les plus vulnérable aussi. Car à cette époque, la protection sociale n’était qu’un embryon de fantasme dans la tête de quelques doux rêveurs qui n’avaient de toute manière pas voie au chapitre. Donc l’ouvrier devait mettre un peu de côté pour espérer une retraite au soleil, ou au moins une retraite tout court. Si n’avait pas eu cette prévenance, il crevait comme un chien dans une soupente, comme meurt Gervaise, l’héroïne maudite de ce beau roman.

Le Lieu

Paris, quartier de la Chapelle, entre la rue de la Goutte d’Or, la rue Marcadet, la rue des poissonniers et le boulevard de Rochechouard. Pas loin des fortifs, à l’orée de la ville. L’action se déroule dans ce bout de Paris avant qu’on y perce les boulevards (sujet abordé dans La Curée). C’est le quartier ouvrier par excellence. Des immeubles sordides, des hôtels borgnes, des petits commerces et des assommoirs…
L’action est plus particulièrement centrée sur un immense taudis de la rue de la goutte d’or où Gervaise installe sa boutique et son logis. Un immeuble de 4 escaliers et six étages, qui grouille de vie, de misère et de très rares petites joies.

l'assommoir

Les personnages

L’assommoir, c’est le roman de Gervaise. Née Macquart, Gervaise a fui un père violent et feignant, s’est fait engrosser par un chapelier roublard avec lequel elle embarque à Paris, espérant y couler des jours meilleurs. Touchante, émouvante car tellement humaine, Gervaise arrive de Plassans avec un amant de pacotille attaché au bras (Lantier) et deux lardons à gérer, Etienne, 8 ans qui sera plus tard le héros malgré lui de Germinal et Claude, 4 ans, qui devient quant à lui le peintre qu’on croise dans Le ventre de Paris et surtout l’Oeuvre.
Lantier, bon vivant et profiteur vivant aux crochets des bonnes âmes bien trop naïves pour détecter le parasite sous l’enjôleur est un peu l’ange de la discorde, celui par lequel le mal arrive. Il arrive à Paris avec Gervaise, l’abandonne dès qu’elle n’a plus le sou, puis revient cohabiter avec elle quand la fortune semble à nouveau lui sourire, pour l’abandonner à nouveau quand elle se retrouve dans la merde. Une crème, ce Lantier!
Coupeau, zingueur et mari de Gervaise, jure par tous ses saints qu’il ne touchera jamais à l’alcool et finit à Sainte-Anne, terrassé par une ultime crise de delirium tremens.
Nana, la délurée, future héroïne du roman éponyme, fille de Gervaise et Coupeau qui abandonne le logis pour aller jeter son slip par dessus les moulins…
Roman populaire, se déroulant dans un quartier lui aussi populaire, l’Assommoir réunit une galerie de tronches pas croyables, dont une bonne poignée de pipelettes comme on en avait déjà croisé quelques spécimen dans le Ventre de Paris. Ici, c’est un festival de jalousies, bassesses, mots de travers, jugements à l’emporte pièce, fâcheries et réconciliations, un moment assez jouissif de médiocrité.

l'assommoir

Le contexte historique

L’action de l’Assommoir se déroule sur vingt ans, entre l’arrivée de la famille à Paris vers 1850 et la mort de Gervaise et Coupeau, autour de 1868. Mais d’histoire, d’actualité ou d’empire, il n’est pas vraiment question. Tout au plus assiste-t-on à l’arrivée de la mécanisation qui tue l’emploi ouvrier. S’il est par contre un fait notable qui ne manque pas de sauter aux yeux, c’est qu’il n’existait à cette époque aucun régime de sauvegarde ou de prévoyance pour prémunir de la misère la plus totale. Etre en-dessous du seuil de pauvreté au XIXème siècle, c’était mourir de faim, devoir mendier de petits sous pour survivre et danser le soir devant un buffet vide.

l'assommoir

Tout est en place, le rideau se lève sur…

« J’ai voulu peindre la déchéance d’une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l’ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l’oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénouement la honte et la mort. C’est la morale en action, simplement. » Emile Zola.

Tout est dit, le reste n’est que littérature, mais de la bonne…

Les liens du sang

Fille d’alcoolique, Gervaise est condamnée à périr par l’alcool. Grosse travailleuse comme sa mère, c’est à cause de la fainéantise de son mari qu’elle se laisse aller à une douce langueur qui la ruine petit à petit.

La cerise sur le gâteau

Du mariage de Gervaise et Coupeau à un dîner mémorable dans sa boutique en passant par l’enterrement de la mère Coupeau avec le propriétaire de Gervaise qui vient présenter ses condoléances et en profite pour réclamer un arriéré, le roman est bourré de grands moments de méchante littérature, mais c’est certainement l’ultime paragraphe, qui raconte la fin de Gervaise, qui m’a le plus marqué. Je l’ai repris là :

« Gervaise dura ainsi pendant des mois. Elle dégringolait plus bas encore, acceptait les dernières avanies, mourait un peu de faim tous les jours. Dès qu’elle possédait quatre sous, elle buvait et battait les murs. On la chargeait des sales commissions du quartier. Un soir, on avait parié qu’elle ne mangerait pas quelque chose de dégoûtant ; elle l’avait mangé pour gagner dix sous. M. Marescot s’était décidé à l’expulser de la chambre du sixième. Mais, comme on venait de trouver le père Bru mort dans son trou, sous l’escalier, le propriétaire avait bien voulu lui laisser cette niche. Maintenant, elle habitait la niche du père Bru. C’était là dedans, sur de la vieille paille, qu’elle claquait du bec, le ventre vide et les os glacés. La terre ne voulait pas d’elle, apparemment. Elle devenait idiote, elle ne songeait seulement pas à se jeter du sixième sur le pavé de la cour, pour en finir. La mort devait la prendre petit à petit, morceau par morceau, en la traînant ainsi jusqu’au bout de la sacrée existence qu’elle s’était faite. Même on ne sut jamais au juste de quoi elle était morte. On parla d’un froid et chaud. Mais la vérité était qu’elle s’en allait de misère, des ordures et des fatigues de sa vie gâtée. Elle creva d’avachissement, selon le mot des Lorilleux. Un matin, comme ça sentait mauvais dans le corridor, on se rappela qu’on ne l’avait pas vue depuis deux jours ; et on la découvrit déjà verte, dans sa niche. »

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