Les Rougon Macquart #8 Une page d’amour

Ah, une page d’amour, voila qui va faire du bien pour se sortir de ce cloaque misérable et puant que fut la lecture de l’Assommoir…ça va être mignon, romantique, touchant, langoureux et doux, cette page d’amour. Erreur. On est chez Zola et cette page d’amour, ça va plutôt être un tue l’amour!

Tu croyais qu’on allait passer quelques pages au pays des Bisounours, ou quoi? Mais mon ami, quand Emile Zola parle de page d’amour, c’est un piège, parce que s’il est un peu question d’amour dans ce roman méconnu, il rime toujours avec quelque chose de triste, de pas assumé et de néfaste. L’amour chez Zola, ça donne pas trop envie. Mais à bien y réfléchir, rien dans ce roman ne donne vraiment envie…c’est aussi le roman de l’oisiveté, du désœuvrement et de la bêtise d’ailleurs. Celui qui parle de la condition des femmes, un peu…une condition pas très enviables quand lesdites femmes étaient seules, sans ressources ni éducation. Une page d’amour, c’est un roman qui gagne à être connu, surtout que c’est un des plus courts de la série.

une page d'amour

Le Lieu

Paris, quartier de Passy. L’histoire se déroule dans le triangle formé par les rues Raynouard, Passy et Vineuse. Passy est un quartier édifié sur une colline à l’ouest de Paris. Des fenêtres de la maison où habite Hélène, on a une vue sur toute la ville. C’est de ce point de vue panoramique que les deux héroïnes du roman vivent Paris. Les descriptions de la ville vue du ciel ont une place importante dans le roman, servant de transition ou de vecteur pour faire passer les émotions et non dits des protagonistes. Mais toute belle et attirante que soit la ville depuis ce point de vue en hauteur, les protagonistes limitent leur pérégrinations aux strictes limites du quartier, comme si des murs invisibles leur interdisait de s’en échapper.

Les personnages

Hélène Grandjean, née Mouret, est la fille d’Ursule Macquart, fille cadette d’Adelaïde Fouque mariée à un négociant marseillais du nom de Mouret. Romanesque, sans éducation, oisive mais pleine de convictions et dénuée de la moindre once d’imagination, Hélène a épousé à 17 ans Grandjean, un fils de famille tombé éperdument amoureux d’elle. Vivant sans passion, elle a eu de Grandjean une fille, Jeanne, petite chose fragile, nerveuse et d’une jalousie pathologique. La famille monte à Paris où Grandjean décède brutalement laissant Hélène et Jeanne seules dans la grande ville inconnue. Elles sont recueillies par un prêtre ami de la famille qui les place dans un appartement à Passy. Vivant recluses avec leur bonne, Hélène alors âgée de 30 ans et Jeanne âgée de 11 ans se complaisent dans l’oisiveté, recevant chaque mardi à dîner le prêtre bienfaiteur et son frère, un vieux garçon du nom de Rambaud qui tombe éperdument amoureux de Hélène et la demande en mariage. Mais la jeune veuve s’y refuse, d’abord parce qu’elle n’aime pas l’homme et parce que sa fille s’oppose à cette union, ne voulant partager sa mère avec personne. Et puis Hélène est secrètement amoureuse de son voisin, le beau docteur Deberle (un amour réciproque).
Chez les Deberle, il y a Henri, le beau docteur, sa femme Juliette, une petite dinde écervelée mais attachante par sa bêtise bourgeoise et leur fils.
Le roman se déroule dans cette bonne vieille bourgeoisie parisienne si chère à Balzac. On est bien loin des faubourgs de l’Assommoir. Ici on va au théâtre, on a des amants, on se pâme à l’église pendant la semaine de Marie, on passe l’été à Trouville. C’est un autre univers!

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Le contexte historique

La grande histoire ne croise pas la petite dans ce roman totalement centré sur des femmes oisives.
Le roman révèle en revanche la situation de misère intellectuelle dans laquelle étaient laissées les femmes, totalement dépendantes du bon vouloir de leur mari ou des hommes en général. Une page d’amour est aussi une étude fine sur les troubles de l’adolescence, les conflits intérieurs et les réactions extrêmes auxquelles peuvent conduire les déceptions, comme se laisser mourir parce qu’on pense que sa maman ne nous aime plus parce qu’elle aime un monsieur.

Hélène et les garçons

Hélène est heureuse dans son oisiveté. Elle passe ses journées dans son petit appartement à coudre, rire avec sa fille et contempler Paris par sa fenêtre. Jusqu’à 30 ans, Hélène a eu l’existence résignée et pragmatique d’une fille sans éducations, veillant à donner le change, être digne, être droite…mais quand l’amour frappe à la porte sous la figure du docteur Deberle, Hélène s’éveille aux sentiments et avec une naïveté toute adolescente, elle se pose des questions existentielles et rêve d’un amour platonique. Elle méprise les romans et voudrait pourtant que sa passion amoureuse soit romanesques : l’amour passe par des regards appuyés, des sous-entendus subtils, un frôlement…dès qu’on commence à lui dire les choses ou à vouloir passer à l’acte, ça devient sale. Eveillée à l’amour et ne pouvant s’accomplir dans le pêché véniel avec un homme marié, elle est un temps tentée par la passion religieuse, comme sa cousine Marthe Rougon dans La conquête de Plassans. Mais c’est finalement la révélation que Mme Deberle a elle-même un amant qui la décide à sauter le pas avec le bon docteur. Malheureusement, l’amour est interdit à certains et la consommation de leur passion par les deux amants conduit Jeanne, à se laisser mourir en attrapant bêtement une tuberculose galopante et en cachant à sa mère sa maladie jusqu’à ce qu’elle soit devenue incurable. Pour se punir d’avoir laissé mourir sa fille en aimant le mauvais homme, Hélène accepte d’épouser Rambaud, un homme terne qu’elle n’aime pas. Parce que la vie, c’est une chienne!

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Les liens du sang

On se régale avec les liens du sang, voyez plutôt : Jeanne, arrière petite fille d’Adelaïde Fouque, est complètement frappadingue et épileptique, comme son aïeule. Elle meurt terrassée par une tuberculose qu’elle s’est elle-même infligée car elle ne supporte pas de savoir que sa mère en aime un autre…tuberculose qui a également tué sa grand mère, Ursule Mouret et sa tante, Marthe Rougon. On peut donc dire sans crainte que dans cette branche Mouret, le gène de la folie est vivace puisque c’est aussi lui qui conduit François Mouret à incendier sa maison dans la conquête de Plassans…
Quant à Hélène, elle a plutôt la fragilité des Mouret, à la fois très terre à terre, opiniâtre et pragmatiques et de ce fait très vulnérables aux passions amoureuses dévorantes, comme Serge dans la faute de l’abbé Mouret, Octave dans Le bonheur des dames et Silvère dans La Fortune des Rougon.

La cerise sur le gâteau

C’est le plus balzacien des romans de la série et toutes les scènes de vie de la bourgeoisie parisienne sont formidables de cruauté mesquine. Ainsi le dîner de septembre chez les Deberle ou bien le bal masqué des enfants, tant de scènes où sous le vernis des bonnes manières se cachent les petites villainies, les petites mesquineries, les petites coucheries de ce bon peuple honnête et droit.

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