Eloge des périphéries // Le Collège de Juilly

Après 450 ans d’existence, le Collège de Juilly a fermé ses portes en 2012. Etablissement propriété de l’Oratoire, il tombe aujourd’hui en ruine, pour de sombres raisons religioso-politico-financiaro-idéologiques. Petite présentation du lieu, de son histoire récente et des dessous de ce projet avorté

Fondé en 1638, le Collège de Juilly était un établissement éducatif religieux administré par les Oratoriens. Vu que c’était situé au cul du loup (à Juilly, au fin fonds de la Seine-Et-Marne), le collège était un pensionnat de garçons (jusqu’au début des années 2000 où des filles ont également été admises). En 450 ans, le Collège a eu plusieurs périodes d’apogée, mais dernièrement, c’est dans les années 90 qu’il a connu une espèce d’âge d’or avec une jauge maximale de pensionnaire autour de 700, des résultats au bac autour de 99% et des caisses pleines. La situation dépendait en grande partie du directeur de l’établissement, Daniel Chapellier.

Lorsque le directeur est parti, le collège a lentement mais sûrement dévissé, les résultats se sont affaissés, les inscriptions aussi et le Collège a finalement été déclaré en faillite en 2012.
Collège de JuillySi vous voulez une histoire complète et détaillée du Collège, je vous renvoie vers la page Wikipédia bien documentée et l’abondante bibliographie qui y est associée.

Un ordre religieux éducatif, qu’est-ce que c’est ?

L’Oratoire est un ordre religieux voué à l’éducation, c’est cet ordre qui est propriétaire des murs et qui définissait la politique pédagogique en vigueur. Cela dit, le Collège de Juilly étant un établissement sous contrat, il fallait bien entendu tenir également compte des directives de l’Education Nationale. Les ordres religieux rassemblent des religieux de la même obédience qui se donnent une mission. Cette mission peut-être martiale (les Templiers), sociale (Les Petits Frères des Pauvres), éducative (l’Oratoire) etc. Elle est généralement confortée par une philosophie et une éthique, un genre de crédo qui unit les membres de la congrégation et dicte leurs actions. Et il arrive parfois que la philosophie de l’ordre religieux évolue (c’est une bonne chose en fait) et qu’il décide d’infléchir son action ou d’en changer le sens.

C’est ce qui s’est passé avec l’Oratoire vers la fin du siècle précédent.

Ils ont décidé qu’ils ne voulaient plus d’une éducation élitiste. Ils voulaient dispenser leur savoir équitablement à tout le monde et ne plus le réserver aux nantis qui avaient les moyens de se payer la scolarité d’un pensionnat. Les oratoriens n’avaient pas que Juilly dans leur escarcelle, il y avait aussi un autre pensionnat, à Pontoise (Saint Martin de Pontoise). C’est là bas que Daniel Chapellier avait été muté après avoir quitté Juilly.

Les Oratoriens ont donc expliqué leur nouveau crédo à Daniel Chapellier et comme ce dernier n’était pas d’accord, il a été remercié et les oratoriens ont nommé à la tête de leurs établissements des directeurs plus coopératifs.

Collège de Juilly

Le projet de renaissance du Collège de Juilly

La déconfiture et l’abandon du Collège a beaucoup touché les élèves qui ont usé leurs fonds de culotte sur les bancs de l’école et plusieurs tentatives de rachat des murs et de réhabilitation du Collège ont été lancées, mais les écueils étaient nombreux, à commencer par le prix de rachat de la propriété comptant plusieurs corps de bâtiment, une piscine, un étang et un immense parc, sans parler du défi consistant à recréer une école, à une époque où on aurait plutôt tendance à les fermer.

S’y ajoutait bien sûr la frilosité de l’Education Nationale vis-à-vis de l’enseignement privé en général, religieux en particulier ainsi que la crédibilité des personnes ayant porté les différents projets.Collège de Juilly
Mais en 2014-2015, un groupe d’anciens plus déterminés que les autres sont parvenus à obtenir une aide de poids : ils ont convaincu Daniel Chapellier de les rejoindre en devenant le directeur d’un Collège de Juilly réhabilité. Tout d’un coup, les écueils s’émoussent.

Car qui mieux que le directeur ayant amené le Collège à son apogée dans les années 1990 pourrait tenter un doublé gagnant en remettant, à nouveau, le Collège sur les rails du succès. En plus, Daniel Chapellier est formel. Ce mode d’éducation (le pensionnat) est le plus à même de conduire nos chères têtes blondes de l’échec à la réussite. Blanchi sous les harnais et proche de la retraite, Daniel Chapellier accepte cette mission et il accepte en outre de le faire bénévolement (un salaire de directeur d’établissement privé = 350 k€ par an).

Une fois cet atout dans son jeu, le collectif d’anciens entreprend de négocier avec l’Oratoire d’une part, et de rassembler la communauté des anciens d’autre part.

On crée une page facebook, on ouvre même un site communautaire pour les anciens (http://alumni.college-de-juilly.fr/) et on commence à communiquer autour de la réouverture (car il va falloir récolter de l’argent pour financer le rachat, la réhabilitation des bâtiments et la réouverture du Collège).

Et les propriétaires du Collège n’ont pas très envie de voir celui qu’ils ont remercié réussir à remonter un projet éducatif à Juilly.

D’abord, parce qu’ils ne partagent toujours pas la même conception de l’éducation religieuse. Ensuite parce qu’ils ne voudraient pas que Juilly vienne piquer des élèves à Saint-Martin de Pontoise. Enfin parce qu’ils n’ont pas besoin de l’argent de la vente dans l’immédiat. Et comme d’autres parties viennent mettre des bâtons dans les roues, le projet finit par échouer une fois de plus.

Le Collège de Juilly, fermé depuis 2012, continue de se délabrer dans l’air humide de la Seine-Et-Marne. Il ne pourra de toute manière pas devenir autre chose qu’une école, un hôpital psychiatrique ou une maison de repos pour fonctionnaires dépressifs…situé sous le couloir aérien de l’aéroport de Roissy, la zone n’est pas adaptée à un hôtel casino, un nouveau Center Park ou une zone pavillonnaire.

NDLR : La rédaction vient de comprendre pourquoi nous avions un afflux de visiteurs sur cet article. Celui-ci a été écrit il y a plus de quatre ans et ne prends donc pas en compte les faits révélés en février 2021. Nous donnons toute la force possible aux victimes. Courage à vous.

Collège de Juilly

juilly

14 commentaires

  • Rémi
    Rémi

    Pour avoir travaillé sous les ordres de D Chapellier, à Juilly… je peux assurer qu’il n’est pas la star ni l’icône que vous en faites, loin de là.

    Peut-être bon gestionnaire. Sûrement pas bon éducateur, ni bon meneur d’hommes. Au contraire: manipulations, mensonges, etc.

    Et j’ai rencontré bon nombre d’adultes, et d’élèves, ayant eu la même expérience.

    Enfin, vous écrivez: « un salaire de directeur d’établissement privé = 350 k€ par an ». Je n’en connais pas qui gagne un tel pactole. Peut-être Chapellier… ce qui serait assez honteux.

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    • Hank
      Hank

      Bonjour Rémi, pour avoir participé au projet de réouverture de Juilly, je ne peux que vous rejoindre. Il y a eu lors de ce projet une forme d’engouement autour de la personnalité de Daniel Chapelier, perçu comme la personne essentielle à la réussite du projet. Il s’est en fait avéré que c’était tout le contraire puisque les oratoriens ne voulaient absolument pas confier le collège à leur ancien collaborateur dont ils désapprouvaient les méthodes. Je suis moi-même assez amer vis-à-vis de ce projet car je m’y suis beaucoup investi sans avoir aucune reconnaissance, ni remerciement que ce soit de Daniel Chapellier, de l’équipe projet ni même des anciens élèves…. mais si le projet a échoué, outre la participation éliminatoire de Daniel Chapellier, c’est aussi parce qu’il a été piloté n’importe comment.

      Concernant Daniel Chapellier, ayant moi-même été pensionnaire pendant trois ans à l’époque où il était directeur, je vous trouve un petit peu injuste. Peut-être avez-vous pu échangé avec des adultes et anciens ayant le même ressenti que vous, mais il y en a beaucoup d’autres qui ont plutôt apprécié Juilly à l’époque Chapellier. Sur ce sujet, il faut juste savoir prendre un peu de recul et ne pas juger l’ancien directeur comme un saint homme ou son opposé.

      Concernant le salaire, c’est une déclaration de M. de l’Anglade à propos de la difficulté de trouver un directeur d’institution… je ne suis pas allé vérifier, mais on parle quand même du gérant d’une entreprise de 400 salariés…le salaire ne me paraît pas totalement délirant.

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      • HARB
        HARB

        Bonjour,
        Est ce que quelqu’un peut me dire ou je peux me procurer une attestation scolaire de 1975 à 1977 (6ème et 5ème).
        Je me renseigne partout mais pour l’instant aucune réponse positive.

        Merci beaucoup

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        • Hank
          Hank

          Bonjour, le collège est fermé et ses archives sont soit perdues, soit détruites, vous ne pourrez donc pas obtenir d’attestation de ce côté-ci. Toutefois, comme il s’agissait d’un établissement sous contrat, vous devriez pouvoir obtenir une attestation auprès du rectorat (à mon avis, je ne mettrai pas ma main au feu mais c’est une piste).

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      • Rémi
        Rémi

        Parmi les « méthodes » qu’on peut reprocher à Chapellier: celle de protéger des adultes ayant commis des agressions sexuelles sur des élèves.
        Par exemple, un prof de karaté. Chapellier, interrogé sur ce plan, a simplement répondu: « le prof a promis qu’il en recommencerait pas ».
        Il avait aussi dans son équipe des alcooliques notoires, et des gens violents qui giflaient à tour de bras leurs élèves.

        Il y a aussi la manière de manager les gens: manipulations, menaces, critiques infondées faites publiquement, etc. et même la fouille des appartements de fonction… quand les cadres sont absents de chez eux.
        Quant un salarié lui disait ses 4 vérités, il se vengeait en faisant tout pour lui pourrir sa carrière, appelant les employeurs suivants pour cracher sur la personne autant qu’il pouvait.

        Quant aux élèves: humiliation permanente devant toute la classe, à chaque remise de notes. Chapellier ne lisait en public que les mauvaises notes, jamais les bonnes.

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        • nathalie sapena
          nathalie sapena

          Bonjour à tous, je suis journaliste à l’émission Complément d’enquête sur France 2 et je travaille sur une enquête sur l’enseignement privé. Je découvre vos commentaires, rédigés avant que l’actualité ne mette ce sujet en lumière et que certaines informations deviennent publiques, en particulier les méthodes pédagogiques autoritaires et humiliantes, et les affaires d’adressions sexuelles étouffées.
          Accepteriez-vous de me contacter par mail pour échanger de façon informelle dans un premier temps sur vos expériences respectives, en particulier Rémi, Hank et M. de Monredon? voici mon adresse email : nathalie.sapena@francetv.fr

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    • de Monredon
      de Monredon

      vous dites n’importe quoi ,enseignant remarquable .il a soutenu d’une façon etonnante mon fils ,qui n’a pas voulu rester à Juilly apres son départ.
      Mon fils avait été tenu à bout de bras par Mr Chapelier
      Tristan s’est suicidé en 2006;
      J’ai tous les témoignages de ses anciens de Juilly.Tous estimaient Mr Chapelier:ferme mais juste ,connaissant tous ses élèves

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      • Rémi
        Rémi

        « Tous estimaient Mr Chapelier:ferme mais juste ,connaissant tous ses élèves »

        J’ai rencontré nombre de gens, adultes et ados, qui ne diraient pas cela, loin de là.

        Ferme, oui. Juste, non. Il a humilié de très nombreux élèves en public, en ne lisant que leurs mauvaises notes devant les classes.
        Pas juste non plus, en maintenant en poste des adultes ayant commis des agressions sexuelles sur les jeunes.

        Connaissant tous ses élèves? Peut-être… et au prix d’interrogatoires fouillant leur intimité… j’ai entendu diverses plaintes d’adolescents concernés, disant: « est-ce normal qu’un directeur pose des questions sur ma sexualité? ».

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      • Guitton
        Guitton

        Je suis désolé pour vous.
        A coté de cela, je suis frappé de la prise de parole des parents d’élèves tel que la votre, le plus souvent péremptoire à l’image de l’aveuglement qui était nécessairement le votre sur le comportement de Chapelier à l’égard des élèves: en tout état de cause, derrière les murs où vous laissiez chaque semaine votre enfant, vous n’étiez pas là, donc vous ne savez pas.
        Certains élèves ont apprécié ce personnage.
        D’autre tel que moi, nombreux, en ont souffert.

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  • DJERMAG YVES
    DJERMAG YVES

    Ancien élève de Juilly de la 5eme à la terminale de 1965 à 1971, cette période de ma vie m’a profondément marqué. Je n’ai pu résister à l’envie de revisiter le collège il y a deux ans. J’y ai trouvé un désastre, un abandon d’un site historique magnifique. Classes et salle des bustes éventrées, envahissement végétal et un silence pesant là où l’animation était autrefois constante. Je ne souhaite plus à aucun enfant la pension que j’ai connue, l’absence de chaleur familiale le soir et les coups de cafard en attendant le court week-end tous les quinze jours à la maison, la sévérité de certain censeurs. Il n’empêche que j’ai des souvenirs formidables qui ont marqué ma personnalité. En 3 eme mr Lhomme organisait chaque année une pièce de théâtre. Dans une immense cave voutée il avait installé un théâtre très professionnel. Nous avons travaillé dur toute l’année pour présenter la pièce mer libre d’Emmanuel Roblès où je jouais un rôle principal en costume d’époque loué. Ce fût un succès et une merveilleuse expérience pédagogique. Quand j’ai revisité le collège, il y avait des migrants qui s’entassaient en masse porte de la chapelle à 30 km de Juilly. J’ai prévenu l’Oratoire, la mairie de Paris, de Juilly (où le collège n’existe même pas dans l’historique du village!) car il y avait là une opportunité de réhabilitation et une solution transitoire d’hébergement. Aucune réponse. Tôt ou tard le bâtiment sera si dégradé qu’il faudra le détruire pour laisser la place aux promoteurs et à la construction de zones pavillonnaires. Dommage.

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    • Simon Jean-Luc
      Simon Jean-Luc

      Je suis très étonné de votre commentaire laudatif concernant Lhomme. Pour l’avoir subi pendant mon année de 4ème en 1963, je peux vous certifier que cet individu, à son poste de censeur, était un grand malade, sadique à l’encontre des enfants. Pour donner un exemple il faisait mettre les garçons en rang, scrutant pendant de longues minutes l’alignement, prenant des notes sur son carnet sans dire un mot, et supprimant la sortie quinzainale pour ceux qui avaient eu le malheur de dévier de quelques centimètres l’alignement … Pour mémoire, ceux-ci ont été vengés quelques années plus tard : au cours d’une sortie en campagne, Lhomme s’est fait discrètement roué de coups lors d’un jeu en forêt !

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  • Luc Vaneret
    Luc Vaneret

    Pensionnaire de 1968 à 1972, pas forcément une époque que je souhaite évoquer. Mais bon. J’y suis repassé il y a peu, grille rouillée et cadenassée, herbes folles envahissant l’allée pavée de l’entrée. Le bâtiment à droite du porche d’entrée où se trouvait le studio de Melle Hellé, professeur de piano, est en triste état, le faisant de plus en plus ressembler à ce qu’il évoquait quand j’y retournais le dimanche soir, une prison.
    On ne devrait pas revisiter ses souvenirs, surtout quand ils sont mauvais.

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  • Seguin Sylvain
    Seguin Sylvain

    Je n’avais pas de très bon résultat à l’école. Mr Chappelier a demandé à ma mère de se mettre à genoux et de le supplier et peut-être à se moment-là il ferait l’effort de m’inscrire pour l’année suivante.

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  • Alexandre F.
    Alexandre F.

    Demi-pensionnaire de 1994 à 1998, je garde un bon souvenir de cette période. Oui, les méthodes éducatives pouvaient être discutables car elles tendaient à enfoncer et sortir les mauvais élèves. Néanmoins M. Chapelier savaient faire régner l’ordre au sein de cet établissement, en tout cas vis-à-vis des élèves. J’y ai personnellement appris le respect des règles, concept qui semble de plus en plus se perdre de nos jours. Je ne jugerai pas M. Chapelier sur les faits qui lui sont reprochés, n’ayant pour ma part jamais été concerné par de tels actes. Je garde en tout cas l’image d’un homme charismatique et sévère, mais juste. Et espère voir un jour ce collège sortir de l’état d’abandon dans lequel il se trouve.

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