WHISKY OR NOT WHISKY #1 / VIRGINIE DESPENTES

A lire en écoutant Black Star de David Bowie et You Want It Darker de Leonard Cohen

WHISKY…

Mon whisky du mois est pour Virginie Despentes et la sortie relativement fraîche du tome 3 de Vernon Subutex. Mon Lagavulin de ce début d’été. Le roman qu’il vous faudra emmener dans vos valises pour les vacances à venir si vous ne l’avez pas encore lu. On The Rocks et donc sans filtre, sans aucun glaçon.

En effet, l’auteure de Baise-Moi ou encore de Bye Bye Blondie, tous deux adaptés brillamment au cinéma, vient conclure avec classe et contestation sa série sur cet ancien disquaire, devenu SDF et pourtant véritable guru de communauté : Vernon.

Je parle bien de série puisque Canal Plus vient d’acquérir les droits appartenant à Despentes et aux éditions Grasset pour une future adaptation télévisuelle des deux premiers tomes.

Pour rappel, le pitch est le suivant : Subutex est donc un ancien propriétaire de magasin de disques, un DJ de l’époque glorieuse du vinyle. Chômeur de longue durée, victime de la crise certaine du support CD et – surtout – de l’essor du MP3 et du téléchargement illégal, il se clochardise tout au long du tome 1 pour finir à la rue dans les rues glacées d’un Paris morne même si intra-muros. C’est au Parc des Buttes Chaumont qu’il trouve un refuge de fortune.

Mais voilà, Vernon Subutex est le dernier individu à avoir fréquenté Alex Bleach, jeune pop-star du Rock indépendant. Il est le seul à avoir vu – via des cassettes qu’il a eu en mains – les dernières confessions d’une idole de la génération Y ; ses aveux avant son suicide. Une sorte de mythe 3.0 qui cherche piteusement à s’apparenter à un Jeff Buckley.

vernon subutex

Ce constat attire alors l’intérêt, la curiosité et la convoitise de nombreux protagonistes : Dopalet, producteur, Xavier, un ami de longue date et scénariste raté, La Hyène (apparaissant déjà dans Apocalypse Bébé par la même auteure), une « privée » lesbienne… Tous et toutes, artistes fauchés comme ex-star du porno, cherchent à retrouver Subutex.

Mieux, Vernon s’impose peu à peu dans le tome 2 comme leur leader de communauté, leur maître à penser alors qu’il n’en a pas le charisme. Tous le rejoignent au Parc des Buttes Chaumont pour fonder ce qu’ils appellent désormais un « camp », une sorte de rassemblement collectif et permanent qui s’apparente aux très actuelles Nuits Debout… Une expérience collective et consensuelle qui les unit par le biais de la musique des sets de Vernon.

despentes

Avec notamment cette idée majeure de la musique comme étant un symbole universel qui réunit les classes sociales, les générations et les cultures diverses, Virginie Despentes frappe d’emblée un grand coup et prouve ses qualités certaines d’écrivaine de lutte et de combat. Clochards, bobos parisiens, précaires… Vernon est ainsi la pièce centrale d’une utopie communautaire où la compétition n’existe plus et où la solidarité n’est autre que la valeur fondatrice d’un groupe d’individus. Vernon n’a pas besoin d’être un chef politique ; il rassemble malgré lui dans un pays fracturé. Il crée peu à peu des convergences, où différents groupes similaires se rencontrent.

Et la musique des sets de Vernon les embarque tous et toutes pendant de longues heures où ils débattent, échangent leurs visions de la vie et de la société. Ils ne font pas la Révolution mais ils trouvent un sens certain à se réunir et à se rassembler.

Vernon Subutex devient ainsi une drogue à laquelle tous ces personnages marginaux et hors de la norme s’accrochent ; un substitut médicamenteux qui les rend dépendants les uns des autres.

Clairement, et avec brio, Despentes rend alors hommage à tous ces protagonistes en marge que nous croisons pourtant tous les jours. Elle attire un regard vif sur notre réalité quotidienne, sur l’individualisme qui ferme nos yeux et notre compassion. Car elles sont pourtant nombreuses et par milliers ces personnes marginales dans les années 2010, à errer dans l’indifférence la plus totale des métropoles. A devoir faire face à l’égoïsme galopant de notre monde.

En ce sens, Virginie Despentes est bel et bien l’une de nos rares auteures à être – et encore de nos jours – une écrivaine à la critique acerbe et de combat pour les classes populaires. Une militante humaniste qui nous renvoie à la gueule un monde que nous avons créé de toutes pièces. Un monde qu’elle dénonce et qu’elle veut changer même si – tel qu’elle l’a déclaré dans une interview des Inrocks – sa « rage » est désormais celle d’une « vaincue ».

virginie despentes

En bref : au lieu de vous liquéfier le cerveau durant l’été 2017, lisez plutôt du Despentes. Son style vif, urbain et percutant. Lisez la trilogie Subutex si ce n’est pas encore fait. Cela vous permettra de ne pas oublier la cruelle réalité des uns et, surtout, de garder vos neurones éveillées et attentives afin de remettre en question votre société.

… NOT WHISKY

Mon Not Whisky ira pour ce mois-ci à Céline Minard et son dernier roman Le Grand Jeu. Plus globalement : j’adresse mon Not Whisky à la littérature mainstream de l’année 2016/2017.

A Yasmina Reza et à Leïla Slimani. Au Prix Renaudot et au Prix Goncourt.

Car si certes, et respectivement, Babylone et Chanson Douce ont une « relative » stylistique de qualité (comprenez : ils se lisent bien) ; ces deux romans prennent aussi un positionnement clair, celui de situer leur intrigue parmi des classes sociales bourgeoises et soi-disant bohèmes, dans de beaux immeubles parisiens au style haussmannien.

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Dans le cas de Chanson Douce, Leïla Slimani attire mollement notre regard sur la condition précaire d’une nounou qui craque en réalisant un infanticide ; et cela par le biais d’une rhétorique pseudo-bienveillante. En synthèse : à défaut de vouloir se revendiquer bien-pensant, ce roman dresse à contrario l’affligeant portrait de classes riches qui écrasent les plus pauvres en prétendant leur tendre la main. Et notamment par le biais du couple bon chic bon genre qui engage cette nounou. Leurs habitudes de vie, leurs vacances en Grèce, leurs métiers, leur style bobo et faussement écolo… Tout ce luxe apparent nous est jeté à la figure durant près de 300 pages. C’est ainsi qu’on comprend facilement qu’une nounou, travaillant à mi-temps et vivant en banlieue, ne peut qu’envier et baver devant une telle réussite et une telle représentation du bonheur.

En ce qui concerne Babylone, la narration prend place dans un autre bel appartement parisien, celui des Manoscrivi, couple sexagénaire à la retraite dorée. L’accent est mis du côté du polar puisque Babylone nous raconte l’histoire d’un meurtre : celui d’un voisin des Manoscrivi qui tue sur un coup de colère sa femme. La raison : ce voisin fait rejaillir trente ans Virginie Despentesde frustrations diverses à l’issue d’une soirée. Il s’en suit une dispute où son épouse lui reproche et moque son attitude en société parmi ses congénères (il a lui-même moqué l’attitude de sa femme pour se rendre intéressant pendant la soirée et faire rire les convives). Il craque, las d’entendre cette femme qu’il n’aime plus depuis de nombreuses années. Il l’étrangle sur le lit conjugal… Rien de bien passionnant en fin de compte, si ce n’est que ce roman s’adresse à une certaine catégorie de lecteurs qui l’apprécieront (peut-être à juste titre) mais qui, pour ma part, ne me créent ni chaud ni froid. Il se peut que Babylone veuille vainement attirer notre attention sur la condition des séniors et sur la solitude des personnes âgées. Ici, la solitude de ce tueur sexagénaire semble intérieure. Elle s’apparente plus au silence contraint et contenu d’un vieil homme qui dérape sur un coup de folie.

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Ce qui nous amène à parler du Grand Jeu de Céline Minard, fiction qui obtient la Palme du roman pseudo-écolo et le prix de l’écrit du genre : « le développement durable, c’est bien… Pensez-y ». L’histoire : une femme décide de se couper du monde et de la civilisation. Pour se faire, elle s’impose un entraînement extrêmement rude physiquement et spirituellement. Tout cela dans un environnement entièrement naturel : escalade, course, lecture intensive, bricolage, culture d’un potager bio, randonnées…

Sauf qu’en attendant, son refuge n’a rien de naturel : c’est une sorte de loft hyper moderne accroché à la paroi d’une montagne, qui est d’autant plus la création d’un architecte post-contemporain…

Etc…

En gros : cette femme, qui s’impose une solitude radicale, vit néanmoins dans un loft bien aménagé qui est alimenté par des énergies renouvelables. Un loft qui a dû coûter de nombreux millions d’euros en termes de construction… Elle n’est pas complètement livrée à elle-même à l’épreuve de la nature (comme dans Into The Wild ou encore Captain Fantastic par exemple).

Derrière une narration ampoulée et de longues descriptions inutiles, cette quête d’isolement total s’apparenterait plus à un projet financé par des mouvements et entreprises soi-disant écologiques et/ou européens…

Ce genre de mouvement politique qui a fait trop de concessions sur le simple fait qu’il faut d’abord changer notre manière de produire plutôt que notre manière de consommer…

Bref, Le Grand Jeu n’est autre qu’un manifeste « social-écologique » qui diffuse des idées sur la sauvegarde de la nature alors qu’il n’interroge même pas notre rapport à la production. De nouveau : le « bien-penser », la fausse bienveillance… Le roman tente de détourner notre jugement lorsque cette femme rencontre un ermite dans la montagne. Cela l’oblige alors à repenser son rapport au monde, à l’environnement et au besoin (ou non) de l’autre… En somme, rien de bien novateur. Une alerte (ou critique) globalement molle sur le réchauffement climatique et la nécessité de l’écocitoyenneté.

C’est la raison pour laquelle je ne comprendrais jamais pourquoi ce sont les « Babylone », « Chanson Douce » et autre « Le Grand Jeu » qui gagnent des prix prestigieux.

Pourquoi des romans soi-disant critiques en finissent par cautionner un système auxquels ils ne font que rendre hommage ?

Pourquoi des romans comme ceux de Despentes, qui ouvrent pourtant les yeux en restant bruts, ne gagnent-t-ils pas ces prix-là ?

Le but de la littérature ne se doit-il pas d’être critique ? Ne doit-il pas nous permettre de remettre en cause notre société en nous questionnant violemment ?

Ce sont autant de questions qui méritent un Aberlour, un quinze ans d’âge (de préférence) et une chronique.

J. M.

Vernon Subutex 3 de Virginie Despentes aux éditions Grasset (2017)

Chanson Douce de Leïla Slimani aux éditions Gallimard (2016), Prix Goncourt

Babylone de Yasmina Reza aux éditions Flammarion (2016), Prix Renaudot

Le Grand Jeu de Céline Minard aux éditions Payot et Rivages (2016), Prix Médicis

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