WHISKY OR NOT WHISKY #8 / DETROIT

WHISKY…

Après le percutant Zero Dark Thirty, Kathryn Bigelow revient avec un nouveau long métrage choc et poignant : Detroit. Ce whisky « On The Rocks » est une plongée sans équivoque au cœur des émeutes de la ville éponyme en 1967. Entre images d’archive et fiction inspirée de faits réels, le film vous laissera le sentiment amer d’une profonde injustice qui racle la gorge et débouche les artères.

En premier lieu, Kathryn Bigelow installe un contexte historique de manière brute et efficace avant de nous amener au cœur d’un climax dramatique fort. La violence est d’une intensité rare, mais elle se fait le reflet d’une semaine de guerre civile et de toute une époque : en 1967, les tensions raciales sont exacerbées aux États-Unis ; et la ville de Détroit est le témoin privilégié d’émeutes insensées dans les quartiers Noir-Américains, où l’engrenage des événements conduit les forces armées à venir en soutien à la police locale.

Parallèlement à ce contexte, la narration plante rapidement des tranches de vie dont le destin va bientôt basculer. A priori, rien ne relie les personnages du film. Pourtant, un motel – le motel Algiers – changera leurs vies à jamais. Nous suivons ainsi un flic raciste du nom de Philip Krauss (interprété par Will Poulter), le leader du groupe The Dramatics, Larry Reed (tout proche de signer avec la Motown) ; deux jeunes étudiantes blanches Julie Ann et Karen, ainsi que divers autres protagonistes…

Dans ce chaos général, Melvin Dismukes (interprété par John Boyega, tête d’affiche de la nouvelle trilogie Star Wars) est un agent de sécurité privée afro-américain qui tente de survivre tout en protégeant ses semblables.

C’est donc à l’Algiers Motel que toutes ces tranches de vie se croisent, où le groupe de Philip Krauss décide d’intervenir suite à des coups de feux. Le motel deviendra alors le théâtre d’une tuerie sanglante sans précédent…

La grande force de ce 35 mm vient une nouvelle fois de son parti-pris éminemment politique. C’est d’ailleurs avec une immense satisfaction que je me réjouis à nouveau de cet argument important et vital :

« le cinéma ne peut s’absoudre de son devoir de mémoire incontournable, au même titre que les autres supports artistiques : toute œuvre, et tout film, se doivent d’être politiques ».

Hors des circuits de l’entertainment et du Hollywood à grand spectacle, Kathryn Bigelow rend hommage et rétablit la vérité : elle rend sa dignité à toute une majorité Noir-Américaine qui a tant souffert de la ségrégation raciale. De la même manière, elle dénonce l’infâme et l’injustice qui frappe tout un peuple et son histoire.

Au niveau cinématographique, le film est vif et haletant.

 

Caméra à l’épaule qui tremble, nous basculons peu à peu vers un huis-clos qui nous tient en haleine et maintient un état de tension permanent.

De même, le cadrage est relativement serré dans chacune des séquences, ce qui permet de mettre en avant les sentiments de peur ou de haine de chacun des protagonistes : dans le motel Algiers, la sueur qui suinte des fronts provoque la montée de sueur chez un spectateur averti qui se sent proche des personnages.

C’est donc avec brio que nous nous identifions aux protagonistes tout en accordant un intérêt particulier aux faits historiques. Ce qui réveille nos esprits endormis est notamment ce constat : Kathryn Bigelow nous parle d’un contexte social qui demeure d’actualité, et cela fait près de soixante ans que cela dure…

… NOT WHISKY

Bavures policières, flics qui dérapent dans la violence physique et les propos… Rien n’a changé en ce début de XXIème Siècle. Pourtant, et au-delà de l’uniforme, les hommes restent impunis dans la consternation générale et absurde malgré les crimes injustifiés.

Ce « Not Whisky » sera relativement court et bref. Il rejoint les intentions et le parti-pris de Kathryn Bigelow qui – à travers un film historique – n’a de cesse d’alerter le spectateur sur des phénomènes qui sont toujours présents.

DETROITEncore, et de nos jours, de trop nombreux policiers se prennent pour des cow-boys tout en multipliant les bavures. En Novembre 2005, je me souviens notamment des violences urbaines dans les banlieues françaises à la suite du double événement de Clichy-sous-Bois. D’abord, Zyed Benna et Bouna Traoré meurent électrocutés le 27 Octobre dans l’enceinte d’un poste électrique alors qu’ils cherchaient à échapper à un contrôle de police. Trois jours plus tard, le jet d’une grenade lacrymogène à l’entrée d’une mosquée de cette même ville (par des forces de l’ordre « caillassées ») provoque la révolte sociale contre la répression policière.

Plusieurs années après, les policiers – reconnus responsables de la mort des deux adolescents – seront étrangement acquittés.

Contrôles au faciès, abus de pouvoir, méthodes peu orthodoxes… L’an dernier, nous nous souvenons encore de l’affaire de la « matraque » avec le jeune Théo. Là encore, l’uniforme donne le sacro-saint pouvoir aux forces de l’ordre de ne pas être responsables de leur propre violence verbale et physique… La justice fonctionne donc à deux vitesses, et elle traite les faits de manière inégale selon les prévenus.

Il arrive des moments où je me questionne franchement sur ce qui a pu conduire certains hommes à devenir policiers. Vente de rêve ou d’adrénaline, le quotidien n’a rien des films d’action pour ces personnes en manque de sensations fortes.

Il se peut donc qu’une partie du problème vienne de ce constat : les hommes rêvent d’embrasser des carrières pleines de rebondissements et d’action. A la place, ils sont planqués dans des bagnoles durant de longues journées dans des quartiers laissés à l’abandon. Leur fiche de poste les conduit sur des faits divers anodins : aider la voisine à retrouver son chat, sanctionner des étudiants fêtards qui font du tapage nocturne dans leurs colocations… Ainsi, et dès qu’une occasion présente un lien relatif avec des jeunes « racailles » qui font du trafic de drogue, tout s’enchaine. Le ton monte et les flics endossent leur rôle théâtral de flics.

C’est le moment crucial où ils ne font que véhiculer l’image stéréotypée et clichée que les médias ne cessent de mettre en avant : l’image d’une répression dure et de nos métropoles en proie à « l’insécurité ». Ils ne font que renforcer l’image déjà ternie d’un métier qui n’a vraiment pas bonne presse.

Je vous entends déjà dire que ces arguments relèvent de la « philosophie de comptoir »… C’est le cas, effectivement, mais il me semble nécessaire d’en parler et de le contester autour de quelques Jameson et autres Jack Daniel’s.

J.M.

Detroit de Kathryn Bigelow (actuellement en salles)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *