WHISKY OR NOT WHISKY #9 / STRANGER THINGS (SANS SPOILERS)

WHISKY…

Produit par l’ogre américain Netflix, Stranger Things revient avec une seconde saison toujours aussi addictive. Traversée par de nombreuses influences, la série fantastique nous plonge au cœur des années 80 avec ses salles d’arcade, ses cassettes VHS et son atmosphère à mi-chemin entre John Carpenter, Donjons et Dragons et E.T. Tel un bourbon qui fait office de Madeleine de Proust, c’est tout un pan d’une culture commune qui agît comme un revival pour le trentenaire nostalgique de son enfance.

Créée par Matt et Ross Duffer, la série nous raconte les aventures de Mike, Lucas, Dustin et Will : quatre jeunes garçons qui fréquentent la collège d’une petite ville américaine du nom de Hawkins. Un soir, leur vie bascule lorsque Will disparaît mystérieusement à la suite d’une partie de jeu de rôle. Ce dernier est enlevé par le Démogorgon, une créature horrifique qui provient du jeu de rôle auquel les jeunes pré-adolescents jouent très souvent.

Parallèlement à cet enlèvement surnaturel, les trois autres garçons font la connaissance de Elfe/Onze, une jeune fille qui est le cobaye de nombreuses expériences classées secret défense dans un laboratoire d’état. Au début de la saison 1, Elfe/Onze s’échappe effectivement de ce laboratoire, tandis qu’un « monde de l’envers » s’installe petit à petit dans les contrées d’Hawkins : cet univers parallèle devient alors ce qui déclenche des événements surnaturels dans la ville et la réalité d’Hawkins.

Mike, Lucas, Dustin et Elfe décident de partir à la recherche de Will, aidés par la mère de ce dernier, Joyce Byers (interprétée par Winona Ryder). De nombreux protagonistes secondaires se joignent à cette quête : Jonathan Byers (le grand frère de Will), Jim Hopper (le shériff de la ville), Nancy Wheeler (la grande sœur de Mike)…

 

Dotée d’une réalisation classieuse, Stranger Things plonge littéralement le spectateur dans une diégèse digne des meilleurs films fantastiques des années 80. La BO, notamment, n’a rien à envier aux œuvres les plus célèbres de John Carpenter : à grands renforts de nappes de synthé, Giorgio Moroder (pour ne citer que lui) n’a qu’à bien se tenir.

Chacun des épisodes des deux saisons est truffé de références piochées sur toute une décennie. Nos héros, fans du film Ghostbusters, jouent à Donjons et Dragons tard le soir dans un décorum de chambre où ressortent la maquette du Faucon Millénium de Star Wars ou encore la figurine de E.T. La première séquence de la saison 2 nous emmène dans une salle d’arcade où les personnages principaux jouent à la borne de Dragon’s Lair…

Ainsi, le pari – qui est (entre autre) de rendre hommage à toute une génération des 80’s – est fortement réussi. Des costumes des personnages aux musiques choisies, c’est un véritable pari esthétique qui est abouti. La cerise sur le gâteau est de faire jouer le rôle de gamins des années 80 par des enfants issus des années 2000 : malgré les vingt ans d’écart entre les deux générations, nous n’y voyons que du feu.

 

Si vous êtes nés à cette époque, Stranger Things réveillera en vous la part d’enfance qui vous reste. C’est avec un écueil de nostalgie que vous accrocherez sans retenue à l’univers construit par les « Duffer Brothers » comme à ses personnages. Des pré-adolescents aux adultes, en passant par les lycéens qu’on croirait tous droit sortis de The Breakfast Club de John Hugues… Tout est réuni dans cette série pour rendre distinctive la génération des années 80, voire celle qui a grandi dans les 90’s…

… NOT WHISKY

Retro Gaming, collection de VHS, retour du Polaroïd et du Walk-Man, génération « Club Dorothée »… Nous sommes nombreux et nombreuses à vouer un culte aux années 80 et aux années 90 tels des fétichistes. Néanmoins, cette époque, marquée par la chute du Mur du Berlin, peut-elle égaler en termes de symboles nos légendaires années 60 et 70 ?

La génération issue des années 80 est certainement la plus désabusée en termes d’identité propre. Fruit de la crise économique due aux chocs pétroliers, nous nous battons encore pour des idéaux à l’instar de nos parents. Nous avons cette envie, et cet espoir, de changer le monde pour le rendre meilleur ; utopie que nous partageons avec nos aînés qui sont issus du « Flower Power », de Mai 68 et de Woodstock.

A contrario, la génération des 18-25 ans qui nous succède est celle que l’on surnomme la génération Y : une génération plus pragmatique qui est lasse de la guerre des idées ; et qui exige des résultats concrets, et très vite. Nous y voyons là une conséquence directe de la société de l’image qui a été démultipliée par l’essor gargantuesque d’internet : tout va très vite dans un monde où le « clic » peut faire le « buzz ». Cette génération Y n’est pas préoccupée par l’avenir ou par un futur proche. C’est une génération de l’instant.

En qualité de génération précédente (30-40 ans), nous avons subi de plein fouet les méfaits du début d’une longue crise économique. Nous restons les premières victimes des effets néfastes de la société de consommation et du début de la technologie. Pourtant, nous recherchons encore une identité par le biais du culte des objets de ces années-là.

Nous ne parvenons pas à choisir entre le CD et le MP3. Nous demeurons nostalgiques de la VHS tout en continuant de télécharger. Génération schizophrène ? Nous nous raccrochons à notre passé en collectionnant les vieilles consoles du type NES tandis que nous sommes à la fois des gamers férus de PS4.

Là ou le bas blesse est de voir que ce qui pourrait s’apparenter à de la collection de vide-grenier est devenu – en fin de compte – un pur commerce de masse. Comprenez : collectionner des consoles, par exemple, ne peut être comparé avec le fait de collectionner des vinyles.

En effet, nous voyons émerger ces derniers temps tout un commerce de masse en rapport à cette époque-là. Retour du walkman et du Polaroïd, sorties succesives de la « Classic NES » et de la « Classic SuperNES »… Ce véritable business du « retro » n’a plus grand chose à envier au fétichisme des collectionneurs tel le Joueur du Grenier (dont je recommande les vidéos sur YouTube). De la même manière, le look « retro » est devenu un véritable business à part entière. Dans les friperies, les Nike Air Jordan ou encore les StanSmith originales s’arrachent à prix d’or…

C’est donc avec la plus grande amertume que je constate la chose suivante : pour l’instant, les années 80 n’ont pas une empreinte aussi forte et aussi marquante que la portée symbolique des années 60 et 70. L’esprit « 8 Bit » et des objets de consommation de cette décennie n’est pas amené à durer comme le Rock traverse les époques. A mon sens, la toute puissance de l’ultralibéralisme a malheureusement raison du sens et du combat voulus par la fin du XXème Siècle ; une génération qui se cherche continuellement des repères.

Armé de ma « Classic Megadrive » et de mes cartes Magic, je continuerais néanmoins à prôner John Carpenter et David Cronenberg qui furent parmi les rares réalisateurs de cette époque à dénoncer la puanteur du capitalisme et les méfaits de l’individualisme. Visionnaires, ils resteront les pionniers dans l’art d’interroger l’identité des années 80 qui passe par la violence des images et de la technologie.

J’espère maintenant que la portée critique de cette société gardera l’essence d’un excellent Lagavulin et qu’elle ne cédera pas au goût éphémère d’un William Lawson cheap et bon marché

J.M.

 

1 Comment

  • Le Waw
    Le Waw

    Bon article… Du coup j’efface celui que j’étais en train d’écrire sur le même sujet.

    Répondre

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