WHISKY OR NOT WHISKY #19 / BARBARA (CESARS 2018)

Tandis que le printemps se fait attendre en 2018, le mois de Mars reste chaque année la période des films primés aux Césars et aux Oscars. L’occasion est idéale pour présenter un « Whisky pur malt » qui n’a pas eu le succès qu’il mérite lors des Césars 2018 : Barbara de Mathieu Amalric. Au détriment des nombreuses récompenses raflées par 120 battements par minute et Au revoir là-haut, le réalisateur revisite pourtant le genre cinématographique du « biopic » de manière audacieuse.

En effet, Barbara n’est pas qu’un simple hommage « classique » sur l’artiste-interprète de L’Aigle Noir ou encore Göttingen. C’est avant tout un film sur Mathieu Amalric en train de réaliser un film sur Barbara. Nous sommes loin des biopics traditionnels tels La Môme et Gainsbourg, vie héroïque. Avec une certaine habileté, Mathieu Amalric multiplie les strates et mélange les diégèses (cf. les « univers »).

Nous avons trois niveaux de récit évidents : le tournage du film (où Amalric a de nombreux têtes-à-têtes avec Jeanne Balibar), la fiction (où Jeanne Balibar interprète Barbara sur ses tournées) et les images d’archive (des moments de vie de Barbara elle-même).

Avec un tel parti-pris de réalisation formelle, Amalric s’échine à perdre intentionnellement le spectateur ; un spectateur averti qui se questionne sur ce qu’il visionne. Nous ne savons plus dans quel monde nous évoluons, et les frontières sont troubles entre la fiction et les images d’archive (tant dans le grain d’image comme dans l’enchaînement des séquences). Sommes-nous en train d’assister à de véritables instants d’intimité avec Barbara ? Regardons-nous à l’inverse Jeanne Balibar qui interprète avec talent Barbara au piano ?

Au-delà des nombreux niveaux de lecture, le réalisateur rend à la fois un hommage à la chanteuse (qu’il semble admirer) comme à l’actrice (qui en incarne les traits). L’argument cinématographique demeure fort et osé. Quid de l’œil derrière la caméra ? Mathieu Amalric nous perd pour mieux rendre compte de l’exhaustivité d’une Grande Dame.

Comprenez : Barbara était une artiste insaisissable et mystérieuse. De la même manière, ce film joue avec ses propres limites et sa fiction qu’il ne parvient pas à définir.

Pour toutes ces raisons, nous sommes en face d’un long métrage ambitieux et savamment construit. Véritable clin d’oeil (technique) au cinéma, il s’agit d’un biopic touchant qui s’assume dans la mise en abyme constante. Barbara est un pari original et abouti, tant dans la forme comme dans le fond.

Une nouvelle fois, qu’est-ce qui empêche Barbara de gagner autant de trophées que 120 battements par minute dans les cérémonies prestigieuses ? Le film de Robin Campillo mérite sa domination incontestable en qualité de témoignage militant et politique. Toutefois, Barbara de Mathieu Amalric mérite tout autant le détour pour des raisons plus poétiques et esthétiques.

La sélection subjective et codifiée de l’Académie des Arts et du Cinéma oublie trop souvent les partis-pris qui sortent du conformisme. Peut-on alors parler d' »élitisme » culturel ? Pour pallier à cette image qui lui colle à la peau, l’Académie a crée cette année un nouvelle catégorie : le César du Public. Le prix a ainsi récompensé Raid Dingue de Dany Boon pour son record d’entrées dans les salles…

Or, et si les Césars récompensent désormais la « comédie populaire », ils doivent tout autant primer une comédie décalée et intelligente comme Le Redoutable de Michel Hazanavicius . Quelque part, nos ronronnants Césars ont symboliquement primé la « beaufitude franchouillarde » – pleine de stéréotypes navrants – en récompensant Raid Dingue…

De la même manière, pourquoi Grave de Julia Ducournau repart bredouille alors qu’il n’est pas qu’un simple film d’horreur pour « adulescents » ? Derrière le côté trash, ce film est une réflexion avant-gardiste sur la psychologie carnassière de l’être humain et sur nos habitudes (écologiques) de consommation.

Regardez Barbara. C’est une perle de Lagavulin qui brise les codes classiques d’un genre. Vous ne verrez pas un grand film plein de sentimentalisme et de romantisme à la française. Ici, pas de captation sublimée – mais en play-back – de Dis, quand reviendras-tu ?

Vous y verrez avant tout un film personnel à l’esthétique confuse. Confuse à l’image de l’esprit humain qui demeure vaste et complexe. Ce 35 mm nous vient avant tout de l’âme et du cœur d’un créateur. C’est un film d’auteur et d’artiste, où Mathieu Amalric rend un hommage pudique et sincère à Barbara et Balibar.

J.M

 

 

 

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