WHISKY OR NOT WHISKY #24 / MARGARET ATWOOD

Alors que la saison 2 de The Handmaid’s Tale connaît un succès vertigineux, l’occasion est idéale pour vous présenter le « malt » à l’origine de cette série. Adaptée d’un roman au titre éponyme, l’œuvre nous vient de l’auteure Margaret Atwood. De nationalité canadienne, il est temps de rendre à cette écrivaine (parfois) polémique ce qui appartient à un Whisky (légèrement) controversé. En effet, certains voient en La Servante Écarlate un manifeste « anti-chrétien » et « anti-islamiste« , dont le propos trahit au final les valeurs féministes…

C’est en 1987 que Margaret Atwood se fait connaître du grand public avec le best-seller La Servante Écarlate. Véritable roman d’anticipation, The Handmaid’s Tale (de son titre original) remporte notamment le prix Arthur C. Clarke. L’écrivaine est alors saluée par des critiques unanimes qui y voient la digne descendante de Georges Orwell (1984) ou encore de Aldous Huxley (Le meilleur des mondes). Servi par une narration efficace et inquiétante, Margaret Atwood décrit dans ce livre un monde qui a privé les femmes de leurs droits les plus élémentaires. L’objectif de la République de Gilead est de faire perdurer l’espèce humaine, le taux de natalité ayant chuté de 61%. Écologie, sectarisme, répression, gouvernance par la peur, propagande… Les thématiques traitées sont nombreuses dans La Servante Écarlate. Pendant ce temps, les Yeux et les Anges nous surveillent dans une société dystopique à la hiérarchie pyramidale parfaitement rodée : Servantes, Tantes, Épouses, Martha et Anti-Femmes ne peuvent échapper à leur condition sociale et à leur rôle sociétal pour faire fonctionner la logique mécanique de Gilead.

Toujours vivante, Margaret Atwood est également une militante politique. Lors de l’élection fédérale canadienne de 2008, elle apporte son soutien au Bloc Québécois, parti prônant la souveraineté du Québec. Cette prise de position nationaliste, comme sa vision du féminisme, lui valent entre autre d’être une écrivaine à l’opinion ambigüe et sujette à de certaines critiques…

En effet, et au delà de la société dystopique que Margaret Atwood nous dépeint, qu’en est-il de l’avis de l’auteure sur le monde fasciste de The Handmaid’s Tale ? Un livre prend généralement toute son ampleur symbolique lorsque nous y trouvons des sens de lecture multiples. Dans le cas du genre anticipatif, les frontières sont souvent fines dans la bascule d’une démocratie (avec ses libertés) vers un monde totalitaire.

 

Tout est histoire d’interprétation dans la caution ou non de l’autocratie : et si Margaret Atwood prônait au final la rigueur et l’ordre des castes sociales de la République de Gilead ? Cette société, dont les principes identitaires semblent liés à la religion, pourrait effectivement s’apparenter à la mauvaise représentation d’un bloc souverain comme celui d’un Québec « libre »…

Quel est l’argument avancé par Margaret Atwood ? La survie de l’espèce humaine semble être une préoccupation essentielle dans le roman ; et notre « salut » passerait notamment par la Foi. Ce sont ici les raisons majeures qui ont conduit Gilead à classer les femmes socialement, en attribuant de manière non négociable la fonction de reproductrices aux Servantes. Ce sont les dernières femmes dans cette dystopie à ne pas être stériles. La survie de l’espèce dépend donc des Servantes.

En fin de compte, la question est de savoir ce que Margaret Atwood place comme valeur étalon : cette survie de l’espèce humaine doit-elle être privilégiée au détriment de la condition de la femme ? Et quid de la vision féministe que prône Margaret Atwood ? Sans être réactionnaire, l’auteure canadienne s’est montrée récemment très critique vis-à-vis du mouvement #meetoo. Elle ne prône pas tant l’émancipation, la libération ou la révolte des femmes. A titre d’exemple, elle a alerté l’opinion publique en Janvier 2018 sur les possibles excès et les dérives de la « justice populaire » de « #balancetonporc » ; justice dont les méthodes pourraient conduire à opérer ce qu’elle appelle un « lynchage solidifié » envers les hommes que nous « balançons » à travers des listes anonymes…

 

Ce serait donc une erreur de croire que le seul propos de La Servante Écarlate se cantonne à défendre les valeurs féministes, car les convictions de Margaret Atwood sont bien plus mesurées. Bien que la narration se focalise sur l’emprisonnement d’une femme dans un huis-clos étouffant, c’est tout un monde qu’il nous faut observer à la loupe. La stylistique huilée de Atwood conduit le lecteur à fantasmer un extérieur que nous voyons si peu dans le livre, conférant au Hors-Champ une certaine puissance d’imagination. Or, et dans ce monde, les hommes – eux non plus – ne sont pas tous mis sur le même pied d’égalité. Mis à part les Commandants, certaines castes inférieures sont traitées comme de vulgaires esclaves. Nous pensons notamment aux Gardiens qui sont les sous-fifres des classes dominantes : ces hommes célibataires sont de pauvres « factotum » à qui les Commandants laissent miroiter l’éventualité de se marier un jour…

En fin de compte, toute la force de l’écriture de Margaret Atwood parvient à perturber les rigoristes dans leurs propres convictions : féministes (parfois) radicales comme (anti) religieux convaincus. En modérant son jugement, l’auteure a le mérite d’éveiller notre sens critique sur le monde qui nous entoure. Elle nous alerte sur un avenir proche, en mettant en scène des visions tranchées de l’humanité au sein desquelles elle pèse le pour et le contre. Au risque d’être controversée dans son propos, Margaret Atwood a également le mérite de mettre en balance les valeurs sociétales dans un danger permanent. Elle pose ici-bas les questionnements nécessaires à la (re)construction d’une société égalitaire, une société dont les fondations resteront solides si nous réfléchissons à un rapport d’égalité véritable entre les hommes et les femmes.

J.M

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