WHISKY OR NOT WHISKY #35 / RACHEL KUSHNER (LE MARS CLUB)

Lauréate du Prix Médicis 2018, Rachel Kushner nous livre un témoignage fictif poignant et féminin à travers le roman Le Mars Club. Dans une inspiration proche d’Orange Is The New Black, l’histoire retrace le parcours de vie de Romy Hall, strip-teaseuse à la vie cassée et sombre, jusqu’à son incarcération dans un pénitencier. Oscillant brillamment entre Flash Back obscurs sur la jeunesse de l’héroïne et quotidien de la prison, ce roman nous livre un parcours de vie brisée par la drogue et les milieux minables. C’est l’histoire d’une mère célibataire jugée à tort dans un univers de domination masculine où, brusquement, la vie bascule de manière dramatique. Un Whisky sec à vous couper le souffle…

Le pitch : Romy Leslie Hall, 29 ans, vient d’être transférée à la prison pour femmes de Stanville, en Californie. Cette ancienne strip-teaseuse doit y purger deux peines consécutives de réclusion à perpétuité, plus six ans, pour avoir tué l’homme qui la harcelait, Kurt Kennedy. Dans son malheur, elle se raccroche à une certitude : son fils de 7 ans, Jackson, est en sécurité avec sa mère. Jusqu’au jour où l’administration pénitentiaire lui remet un courrier qui fait tout basculer

mars club

Profondément injuste, Le Mars Club n’est pas qu’un simple roman qui dresse les constats affligeants de la condition de la femme. Alors que nous vivons des années décisives par le biais du « hashtag » meetoo, le livre met en avant les inégalités de traitement entre nos deux sexes. Au terme d’un procès rapidement plié, Romy – qui doit son prénom à l’actrice allemande Romy Schneider – est trop vite cataloguée comme coupable. Ainsi, le lecteur assiste impuissant à la présumée innocence de l’ex-compagnon Kurt. Pourtant, et à aucun moment, personne ne s’interroge sur les raisons (ou le motif) qui ont poussé la strip-teaseuse à tuer cet homme. Or, et au moyen de souvenirs probants qui nous sont narrés, Kurt n’a eu de cesse de harceler Romy. Elle change de numéro de téléphone, il l’attend à la sortie du Mars Club ou en bas de chez elle… Tout cela, le procès l’élude mystérieusement, s’en tenant à la stricte véracité des faits.

L’aberration de la durée de sa peine est à l’image du traitement que Romy va recevoir. Aux États-Unis, les détenus n’ont que très peu de droits, et on leur rappelle en permanence la raison de leur sort, quelle que soit la gravité du crime commis.

La narratrice, quant à elle, alterne son récit en prison de courts épisodes de sa vie à San Francisco, qui permettent au lecteur de la connaître, et de comprendre comment et pourquoi elle a pu se retrouver ici. Sur son chemin, elle croise beaucoup de femmes comme elle. Dès le premier chapitre, on se lie d’amitié et on s’attache à Conan, le protagoniste transgenre, ou encore à des femmes comme Laura Lipp ou Susan Atkins. Toutes ces femmes ont fini en prison par fatalité plus que par accident de parcours.

En bref, Le Mars Club de Rachel Kushner est un roman foisonnant où les personnages sont abrutis par leur sort et par l’univers destructeur de la prison. Il n’y a rien de caricatural : les personnages comme les situations sont toujours complexes, faisant au passage le portrait féroce d’une Amérique pleine de contradictions. Bien plus qu’un simple roman sur l’univers carcéral et le sens de la justice, Le Mars Club nous parle des perversités d’un pays où règne l’image du self-made-man. C’est un roman prenant, bien écrit et qu’on ne lâche pas avant la fin. Le genre de livre qui sait mettre en avant une marge que nous avons trop tendance à oublier.

J.M.

Le Mars Club de Rachel Kushner (Stock, Paris, Septembre-Novembre 2018)

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1 Comment

  • Sylvie Schneiter
    Sylvie Schneiter

    Quelle belle et intéressante critique de ce livre! Un bémol, cependant : Rachel Kushner l’a écrit en anglais, et je l’ai traduit en français. Peut-être n’auriez vous pas lu son roman sans mon travail. Je suis donc un peu triste que vous n’ayez pas précisé traduit pas… Sylvie Schneiter.
    Merci pour la prochaine fois.

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