WHISKY COCA #2 / BASIC INSTINCT (1992)

Les années 90 ont vu émerger un nouveau type de femme fatale dans le cinéma américain. Sliver, Harcèlement ou encore Basic Instinct font partie de ces longs métrages qui ont réinventé le genre même du protagoniste féminin dans le thriller. Elles s’appellent Demi Moore ou bien Sharon Stone. Iconiques, elles incarnent l’érotisme dans un nouveau format de « film noir ». Toutefois, qu’en est-il de l’image de la femme elle-même ? Ce traitement serait-il encore envisageable à l’époque du hashtag « meetoo » ? Vaste débat pour un Whisky Coca consacré dans cette chronique au Basic Instinct de Paul Verhoeven…

Interprété par un Michael Douglas au sommet de sa forme, Nick Curran est inspecteur de police à San Francisco. En compagnie de son fidèle équipier Gus Moran (George Dzundza), Nick enquête sur un meurtre où la victime a été assassinée de trente et un coups de pic à glace. Le premier indice est le suivant : l’homme était en train de faire l’amour au moment du crime. Il était de même, et visiblement, en plein coït. Très rapidement, Nick apprend que la victime fréquentait Catherine Tramell (Sharon Stone), une riche et brillante romancière. Au cours de son enquête, Nick s’aperçoit que les parents de Catherine sont morts dans un accident suspect. De même, le professeur de psychologie de Catherine a été étrangement assassiné dix ans plus tôt. Or, l’arme du crime était là-aussi un pic à glace…
Plus le film se déroule, et plus l’étau se resserre autour du personnage de Catherine qui devient le suspect numéro 1. Mais la romancière est une séductrice redoutable : elle parvient à charmer Nick qui succombe peu à peu au jeu de la séduction. Nick devient ainsi l’amant de Catherine alors qu’il enquête clairement sur elle…

De par son voyeurisme et son côté érotique, Basic Instinct a provoqué un certain scandale à sa sortie. Il a vivement fait parler de lui, provoquant de nombreuses critiques assez éparses. Entre autre, ce polar suscite de nombreuses interrogations quant au traitement du personnage incarné par Sharon Stone. Quid de l’image de la femme ? Le propos de Paul Verhoeven est ambigu, voire controversé.

Sous l’angle d’un premier niveau de lecture, Catherine Tramell apparaît comme une femme manipulatrice et tueuse. Derrière le regard masculin – voire machiste – de Paul Verhoeven, elle apparaît comme dominante dans un rapport de force avec Nick. Femme pécheresse, Catherine semble avoir de nombreux vices. Tout en soumettant Nick à sa propre volonté, Catherine semble libérée dans ses relations : en qualité de femme fatale, elle brise avec les convenances et les rapports traditionnels en ayant une seconde relation homosexuelle avec Roxanne Hardy (Leilani Sarelle).

Une séquence de sexe entre Nick et le personnage secondaire d’Elisabeth Garner pose notamment question. L’image de la femme – et de son rapport à l’homme – y semble dégradante. On y voit en effet un Michael Douglas sauter sauvagement sur Jeanne Tripplehorn en lui arrachant son chemisier et son soutien gorge. Au départ, la jeune femme semble apprécier cette bestialité. Mais Nick la retourne pour la plaquer violemment contre un fauteuil et pénétrer en elle de façon animale. Elisabeth ne semble plus apprécier la tournure des préliminaires : elle exprime visiblement un revirement quant à son consentement…

En clair, nous assistons presque à un pseudo-viol. Gêné, le regard du spectateur n’assiste plus à un moment d’intimité. Il y voit au contraire le symbole de la domination masculine (Nick) sur la femme-objet (Elisabeth).

La question est de savoir si Paul Verhoeven pourrait tourner le même type de séquence aujourd’hui sans s’attirer les foudres du mouvement #balancetonporc. Dans Basic Instinct, un premier niveau de lecture peut nous conduire à penser l’image de la femme comme étant négative. Tantôt manipulatrice, tantôt soumise, la femme nuit en fait à l’intégrité de l’homme et le détourne d’un « droit » chemin…

Que nenni ! Et si, à contrario, Basic Instinct était en fin de compte un film visionnaire qui inverse les rapports de force. Bien au contraire, ce thriller peut être vu comme précurseur dans le mouvement féministe…

Le simple fait que la femme soit le sujet central du film confère à Basic Instinct un traitement féministe. Ici, les femmes ont le pouvoir. Elles mettent au pas les hommes et le modèle patriarcal. Peu importe la – ou les – manière(s) d’y parvenir. C’est bien Catherine Tramell qui domine et soumet Nick à ses désirs. C’est elle qui sort gagnante à la fin du film puisqu’elle n’est pas inculpée. Narrativement, elle devient petit à petit la tête d’affiche devant Curran. Par ailleurs, c’est bien Sharon Stone l’actrice principale du film. Dans l’histoire du cinéma, la femme est trop souvent restée au second plan (mis à part quelques exceptions comme La Féline de Tourneur ou bien Lolita de Kubrick…).

Au delà de la manipulation et de la séduction, Catherine Tramell incarne un nouveau type de femme moderne qui casse avec les codes du modèle traditionnel. Elle est libérée pendant que Nick est « vieux-jeu », voire binaire ou animal dans ses rapports. Catherine brise les tabous sociétaux en mettant en avant sa bisexualité à travers sa relation avec Roxanne.

De la même manière – et à l’inverse – c’est bien Nick qui devient « l’objet d’étude » des femmes dans ce polar. En effet, Nick est obligé (comprenez : contraint) de voir fréquemment Elisabeth parce qu’elle est sa psychiatre avant d’être une proie sexuelle. Au final, Elisabeth représente la dominante car elle étudie le caractère et la psychologie de l’inspecteur…

En fait, Basic Instinct de Paul Verhoeven est un véritable pied-de-nez au puritanisme américain et au classicisme du thriller d’antan. Son réalisateur a toujours marqué par son côté provocateur et ses choix controversés. Dans une époque « casse gueule » post chute du Mur, Basic Instinct vient témoigner d’une nouvelle société qui émerge. Désormais, les femmes prendront le pouvoir et tiendront les hommes par la queue. Au delà d’être des « prédatrices », elles sont aptes à gouverner dans les rapports de force et dans la négociation. Définitivement, c’est là un schéma de pensée politique et féministe qui reste à méditer, notamment dans un monde où le trop plein de testostérone masculine nous conduit au chaos…

J.M.

Basic Instinct de Paul Verhoeven (avec Sharon Stone, Michael Douglas et Jeanne Tripplehorn)

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