WHISKY OR NOT WHISKY #41 / LES MISERABLES

Lauréat du Grand Prix du Jury à Cannes, Les Misérables de Ladj Ly vient de sortir dans les salles obscures ce mercredi. Doté d’une fin à couper le souffle, ce long métrage témoigne de l’abandon de nos quartiers populaires et des banlieues dans un climat social au bord de l’explosion. 25 ans après La Haine de Mathieu Kassovitz, les choses n’ont guère évolué, le whisky étant devenu encore plus fade et toujours plus indigeste…

Ce long métrage est fort, à tous les niveaux. Il se fait la voix des oubliés. De notre France des banlieues dont nous ne parlons pas assez. L’espace médiatique francophone étant sur-occupé par les actes des « Gilets Jaunes », on en oublierait presque que les REP + sont muettes alors que la colère est palpable.

Ce film, c’est un cri d’urgence, la nécessité de dire que le soulèvement est imminent. La révolte des banlieues est proche. A coups surs, cette « révolution » fera de nombreux dommages collatéraux si nous ne réagissons pas maintenant.

Dans une fibre proche du documentaire, la réalisation de Ladj Ly excelle dans un réalisme bluffant. Avec une justesse maîtrisée, le réalisateur met en scène une énième bavure policière qui provoque un embrasement à Montfermeil. Loin des clichés (ou des sentiers battus), nous sommes transportés dans ces bâtiments délabrés, derniers témoins d’une utopie collective qui n’a jamais fonctionné.

S’il faut retenir un message, c’est bien l’idée que la France des diversités et de la mixité culturelle ne respire plus la joie. La séquence d’ouverture nous met d’entrée de jeu dans le bain : bien que la France ait remporté la Coupe du Monde 2018, l’effervescence « Black Blanc Beur » n’est plus (vingt ans se sont écoulés depuis 1998). Bien au contraire, Ladj Ly filme de manière brute et efficace une France où la mixité sociale a disparu, créant une colère sourde dans ce que nos gouvernements successifs ont contribué à « ghettoïser ».

A l’heure où les années 2010 s’achèvent, il est venu le temps d’un bilan cinglant sur notre monde. Partout, les peuples descendent dans les rues, contestant une société qui ne peut plus continuer sur cette voix-là. Santiago de Chile, Hong Kong, Moyen-Orient… La décennie avait commencé par les « printemps arabes » et s’achève sur un véritable soulèvement des foules au niveau international. Pourtant, les populismes autoritaires gouvernent, de Trump à Bolsonaro en passant par Orban ou encore Salvini.

Je garde néanmoins espoir car le cinéma n’a jamais été autant politique que cette année. De Joker de Todd Philipps à Sorry We Missed You de Ken Loach, tout est question de renverser un ordre libéral qui nous conduira à un effondrement certain. Plus que jamais, les théories « collapsologues » sont là, que ce soit dans la littérature comme dans l’univers des séries (The Handmaid’s Tale, Years and Years…).

Là où Ladj Ly est doué, c’est qu’il n’a nul besoin de passer par la dystopie pour nous alerter sur un état sociétal proche du Chaos. Dans Les Misérables, le naturalisme se suffit à lui-même pour mettre en avant ce que nous refusons de voir. Pire encore, ce que nous considérons souvent comme étant à la marge de notre monde progressiste est bel et bien le monde réel et vivace. C’est celui là-même qui se doit d’être au devant de la scène plutôt qu’à l’écart des médias.

J.M.

« Mes amis, retenez ceci, il n’y a pas de mauvaises herbes (…) il y a juste des mauvais cultivateurs » (Victor Hugo)

 

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