WHISKY OR NOT WHISKY #42 / THE IRISHMAN

Produit par Netflix, The Irishman de Martin Scorcese vient de sortir le 27 Novembre en streaming. D’une durée monumentale de 3h30, ce long métrage a été réalisé à travers le filtre d’une technique numérique récente, le « de-aging », qui permet de rajeunir des acteurs « séniors » pour les faire jouer des personnages plus jeunes ou leur propre rôle en Flash Back. Bienvenue dans une cure de jouvence vaine et navrante pour un casting ronflant proche de la retraite. Un whisky bien pathétique, avec Robert De Niro, Al Pacino et Joe Pesci…

Adaptée d’un roman de Charles Brandt, je ne m’attarderai pas plus que ça sur l’intrigue. En bref, le pitch nous raconte l’histoire (vraie) de Franck The Irishman Sheeran, interprété par De Niro. Ce dernier, au départ chauffeur-livreur, devient petit à petit un homme à tout faire, doublé d’un tueur à gages, qui gravit les échelons d’une mafia locale. Vers la moitié du scénario, Franck rencontre Jimmy Hoffa (Al Pacino), un homme dirigeant l’un des syndicats les plus puissants d’Amérique : The International Brotherhood of Teamsters. Dès lors, le spectateur assiste à un film de mafieux, où pègre et influence politique s’entremêlent dangereusement (Jimmy Hoffa était notamment connu pour son influence sur les gouvernements Kennedy et Nixon).

Nous avons là un énième film de gangsters dans une histoire du cinéma qui est déjà saturée par le style « Noir ». The Irishman est plat, assez neutre, et ne procure pas d’émotion particulière. Il souffre d’autant plus d’une longueur exaspérante. En fait, il s’agit d’un film qui se contente de faire l’effort formel tout en esquivant le fond. Comprenez : cela a l’odeur et la signature d’un Scorcese qu’on a déjà trop vu, qui plus est dans un genre trop souvent revisité.

Si certes la qualité numérique du « de-aging » est bluffante de réalisme, la technique en dit long sur le cinéma en lui-même. Incapable de se réinventer, nous avons l’impression que le septième Art ne crée plus de mythes, ce qui l’oblige à se reposer sur ses figures tutélaires. Cela soulève d’ailleurs une question brûlante : et si les grands acteurs n’existaient plus, contraignant les réalisateurs/trices à devoir rajeunir des « rocs » déjà existant mais vieillissant ?

Très franchement, Robert De Niro m’a rendu triste dans The Irishman. Pendant près de deux heures, son visage rajeuni – qui ne respire d’aucune expression – nous fait l’effet d’un masque de cire. Il contraste d’autant plus avec la stature momifiée du corps raide d’un homme qui a bientôt 77 ans. Fort heureusement, la prestation sincère d’Al Pacino vient péniblement relever le résultat final. Avec talent, ce dernier demeure crédible dans une justesse d’interprétation qui aborde la mégalomanie des self made men sulfureux.

Je m’interroge d’ailleurs sur les véritables intentions de ce film. Que cherche à nous raconter Scorcese ? A mon sens, The Irishman se complait dans la dédicace à des acteurs qui peinent à retrouver une seconde jeunesse. Du moins, les De Niro et autres Joe Pesci ont l’illusion thérapeutique de se découvrir une nouvelle force de l’âge à travers la magie du cinéma numérique.

En synthèse, The Irishman incarne tout ce que je peux rejeter du cinéma à la Netflix. Il témoigne d’une inquiétante uniformisation culturelle, où l’enjeu est de vendre un nombre gargantuesque de productions tout en jouant sur l’argument commercial de la fibre nostalgique. Ne vous détrompez pas : L’objectif est bien de vendre une certaine image iconique de De Niro, celle de Heat ou encore de Casino. C’est une recette facile pour un spectateur qui binge en continu à la fois tout mais aussi n’importe quoi.

Comme dans Terminator Genesys de James Cameron, le but est donc de faire du « Fan Service ». Mais à la manière d’un joueur lambda de Ligue 1, The Irishman reste un concept sur-côté.

J.M.

The Irishman de Martin Scorcese, disponible actuellement sur Netflix

 

 

7 commentaires

  • Charlie
    Charlie

    Après le concert de louanges qui a entouré sa sortie, je suis content de voir que je ne suis pas le seul à être sceptique ^^ https://anotherwhiskyformisterbukowski.com/2019/12/02/whisky-zap-8-5-series-pour-binger-a-la-fraiche/

    Il vient de remporter les prix du meilleur film de l’année, par les critiques new-yorkais et la National Board of Review. Cela en fait officiellement le favori des prochains Oscars.
    Netflix va pousser à mort…

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    • OPART
      OPART

      J’ai vu the Irishman dans lequel Scorcese nous décrit une page de plus de la petite histoire des etats Unis en l’occurrence les années 60 Castro Kennedy le Vietnam passionnant du rythme je n’ai pas vu passer le temps en compagnie de de Niro et al Pacino dont c’était la première prestation avec Scorcese toujours à son affaire dans le milieu

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  • PM
    PM

    On peut dire que c’est tranchant !
    Je partage clairement pas ce point de vue (on peut en causer si tu veux).
    J’ai juste une question (ou une remarque) : je ne comprends pas bien la conclusion, et notamment la dernière phrase. En effet, le reproche qui est fait au film est sa longueur pas forcément adapté à la consommation habituelle de Netflix. La construction d’une série fait que le climax de la fin d’un épisode te pousse vers le suivant ou, du moins, sa construction en chapitrage te fait avaler toute la série. Pour un film, et en particulier celui-là car c’est le sujet, sa narration est construite sur les 3h30 et donc ne se regarde pas comme une série.
    Je sais pas si je suis clair, mais au plaisir d’en discuter !

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    • J. M.
      J. M.

      Salut PM.

      La dernière phrase est une métaphore footballistique en forme de « private joke » pour le redac’ chef. Elle n’a pas forcément de lien avec le reste.

      Je n’ai pas regardé « The Irishman » comme une série chapitrée mais bien comme un film de 3h30. C’est comme ça qu’il a été présenté à la presse.

      Ce n’est d’ailleurs pas tant la durée du long métrage qui me gêne. Lorsqu’un film est bon, peu importe qu’il dure une heure ou trois et demie…

      En fait, ce que je reproche surtout est que Netflix fait souvent du merchandising et de la vente de produits avant de faire de la qualité. Là encore, je trouve qu’on nous vend avant tout un casting pompeux, un nom et un genre pour ce qu’il est. Les codes du film de gangster sont par exemple étalés parce qu’ils sont simplement des codes du genre et qu’il faut forcément les placer. En revanche, qu’en est-il du sens ?

      J’avais déjà éprouvé la même sensation du type « fan service » avec « Stranger Things », dont l’unique but est de faire de la référence pour de la référence (Ghostbusters, Les Goonies, Le Faucon Millénium de Star Wars…). Dans ce dernier exemple, nous sommes très proches du pur placement de produits.

      Au plaisir d’en débattre avec toi

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      • PM
        PM

        Salut J.M

        Bon déjà je comprends mieux la ref maintenant merci ! Et pour ton explication de commentaire sur le binge.

        Je comprends aussi ton reproche sur la promotion de Irishman. C’était la crainte de mon côté. En gros, Scorsese fait un film sur la mafia avec Pacino, De Niro et Pesci, qu’est-ce qu’il va nous faire ? Va-t-il juste prendre de la tune en faisant un service minimum ?

        Cependant, en y réfléchissant, je me disais que le pari était osé de la part de Netflix : Scorsese s’était vautré au box-office avec Silence, De Niro et Pacino n’avait pas forcément enchaîné es bons films ces dernières années et Joe Pesci, on s’attendait à ce qu’il fasse du Joe Pesci chez Scorsese. Investir là-dedans et en faire la promotion, c’était un véritable pari. Plus risqué que du fan service ou de l’appel à la nostalgie. En effet, je trouve que c’est plus facile de vendre une madeleine de type « on cale des ref à Ghostbusters et aux goonies » plutôt que « Scorsese fait un film de gangsters ». Dans le second cas, on sait que l’homme maitrise son sujet mais on est pas dans le plaisir coupable ou régressif.

        Et ça fait partie d’une des nombreuses qualités du film : le sujet est maitrisé et il nous montre aussi, avec la fin, qu’il en a fini avec ce thème. Scorsese aurait pu jouer la facilité en donnant un rôle de patron à De Niro et un rôle de fou furieux à Pesci. Il a tout pris à revers. Pesci m’a impressionné en mafieux type Corleone, De Niro en homme de main qui ne discute pas. Je dirais qu’il y a que Pacino qui fait du Pacino (il est bon dans son rôle mais ne m’a pas surpris).

        Je pourrais en causer des heures mais je trouve que, certes, on retrouve les codes de film de gangsters mais il en montre tous les côtés : la vie de famille sacrifiée, la solitude, la peur de la mort en fin de vie alors qu’elle est plus présente dans leur vie avant, la vieillesse,…

        Loin de moi l’idée de te convaincre sur le fait d’aimer ou pas le film !!!! Je trouve juste que le pari de Netflix pouvait, a priori, relever du fan service mais Scorsese, comme un vieux gangster, a su filouter et passer outre cette facilité.

        Au plaisir de lire ta réponse !
        PM

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        • J.M.
          J.M.

          Salut PM,

          Tes arguments se valent et j’entends ton point de vue sur le film. Je reconnais que le genre « film de gangster » est d’ailleurs moins commercial que le côté « millenial » de « Stranger Things » par exemple.

          Je pense effectivement que c’est une affaire de point de vue, mais aussi de sensibilité quant à la réception de ce film.

          A contrario, j’ai trouvé que Al Pacino était très bon dans « The Irishman »… Ce que je n’approuverais pas chez De Niro ou encore Joe Pesci dans ce long métrage.

          Comme je l’ai mentionné dans ma chronique, l’effet « de-aging » sur le visage de De Niro m’a fait l’effet d’un masque de cire, incompatible avec la carrure de l’acteur ou encore la démarche qui demeurent celles d’un « sénior ». Une séquence m’a notamment marqué : à un moment donné, De Niro tabasse au sol un mec en sortant d’un magasin. On voit clairement qu’il peine à enchaîner les coups de pied alors qu’il est censé avoir 50 ans (tout au plus) dans ce Flash Back.

          Je conclurai simplement sur le fait que ce film pose un débat qui s’élargira au fil des années 2020 : Netflix fait-il – ou produit-il – « des films de cinéma » ? Au sens plus large du terme, nous pouvons également nous poser la question de savoir si les plateformes de streaming auront raison des salles obscures (films moins chers à produire, merchandising ou continuité commerciale assurée…)

          Il est curieux que « The Irishman » n’ait pas eu le consentement des boîtes de production hollywoodiennes malgré la renommée du casting et du réalisateur. Est-ce une question de budget ? Je ne pense pas… Si certes ce film a coûté relativement cher à Netflix en termes de production, je pense aussi que Scorcese a délaissé le milieu du septième Art « vertueux » pour se tourner vers un concept plus vendeur (et plus sûr en termes de « recettes » ou de retour sur investissement)…

          Mais ça, c’est un autre débat, entre réfractaires traditionalistes férus d’un certain type de cinéma « noble »… Et spectateurs avides de consommer tout et tout de suite de manière individuelle (tout en « bingeant »).

          Dans tous les cas, ton point de vue est très intéressant et bien argumenté. Il se vaut tout autant que mon avis tranché sur la question.

          J.M.

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  • J.M.
    J.M.

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