WHISKY OR NOT WHISKY #43 / LA CHUTE DE(S) SKYWALKER

Personnages sous-exploités, faiblesse scénaristique, incohérences narratives… En Décembre, l’ascension de Skywalker est venue conclure péniblement la postlogie Star Wars. Derrière le prisme de Disney qui en a racheté la licence il y a quelques années, la magie n’opère pas. Plus que jamais, la faute incombe à un J.J. Abrams qui fait voler en éclats un univers étendu dont la richesse et la diversité auraient mérité une toute autre fin. Chronique d’une mort diégétique et aux spoilers nombreux…

Dans les mécanismes de narration, la diégèse d’un film est le fait de raconter des choses, en opposition à la mimesis qui est celui de montrer. C’est l’univers d’une œuvre, le monde qu’elle évoque et dont elle représente une partie. Le fait de raconter implique forcément un point de vue, subjectif, qui est celui du réalisateur. La diégèse qu’il nous donne à voir se nourrit alors d’un partage que le réalisateur propose aux spectateurs, ces derniers participant à la construction de cet univers de par leur imaginaire (ou leur réception du film). C’est un univers fictionnel aux règles strictes qui s’édifie progressivement dans ce que la caméra nous donne à voir, et dans ce qu’elle suggère à travers le Hors Champ (le Hors Champ impliquant notre imagination ou notre représentation de cet univers).

Avec Star Wars, l’histoire du cinéma s’est gorgée de l’une des diégèses les plus riches et les plus extensibles du septième Art. Entre l’Empire, Le Nouvel Ordre et la Résistance, c’est toute une panoplie de protagonistes, de droïdes et de peuplades que nous avons suivie, tout ceci dans un genre que l’on appelle le Space Opera. Pendant près de quarante ans, LucasArt et Disney nous ont dépeint un monde qui s’étend à l’infini, et cela à la manière de l’espace intersidéral qui demeure l’unité de lieu de la saga. C’est d’ailleurs l’univers le plus propice aux cross over et aux spin off. En bref : c’est sans limites et c’est sans fin, Georges Lucas ayant crée la possibilité de s’intéresser à des milliers de personnages et à des milliers de planètes.

Malheureusement, tout a été gâché avec ces trois derniers épisodes, et d’autant plus avec cette « ascension » qui reflète plutôt une implacable chute. Littéralement, J.J. Abrams a détruit toute cohérence symbolique et scénaristique à cet univers. Par définition, il a brisé la diégèse même de l’épopée, en la réduisant notamment à des rapports manichéens clichés et basiques, mais aussi en l’essoufflant par des redites narratives dénuées de toute originalité.

Les ficelles utilisées sont grossières, les cliffhanger putassiers et les sous-intrigues bâclées. Il est d’ailleurs dommageable que ce monde infini se limite (au final) à la répétition d’un même schéma dramatique. Dans l’épisode 5, nous apprenions que Luke et Leïa étaient les enfants de Dark Vador. Dans le 7, c’est Kylo Ren qui s’avère être le fils de Leïa et de Solo. Dans le 9, Rey est donc… la petite fille de Palpatine. C’est creux et déjà-vu. Je dirais même que c’est douteux. C’est l’astuce même du scénariste sans inventivité qui ne sait plus comment conclure.

Dès les premiers crédits, le pitch se discrédite par un pitoyable « les morts parlent ! ». Cela disqualifie J.J. Abrams qui ne sait plus comment réinventer Star Wars. Il s’appuie alors sur des facilités qui sont à la limite du plagiat de Game Of Thrones : pour cet épisode 9, nous allons faire revivre les zombies, Palpatine et la flotte de l’Empire. Pour ne pas voir qu’il s’agit des « marcheurs blancs », on appellera ça le Dernier Ordre, dont la renaissance est le fruit du clonage… Pathétique revival d’une fable qu’on nous a déjà contée…

Le fameux texte écrit en jaune témoigne donc, et à lui seul, de la médiocrité du film. Tout y est survolé, à l’image de la romance totalement éludée entre Rose et Finn qui deviennent de simples PNJ propres aux jeux vidéo.

Pire, J.J. Abrams a fait exploser cet univers en le truffant d’incohérences et d’absurdités qui brisent la logique même de la diégèse à laquelle nous avons contribué. Quid de la dimension politique de Star Wars et de la réflexion sur la genèse des totalitarismes ? Qu’en est-il de la dimension philosophique et spirituelle de la Force ? Il n’y a plus aucun sens dans l’ascension de Skywalker, où tout est affaire de « Fan Service » et de magie féérique.

Alors que la Force était un concept – voire même une idée – mystique et philosophique lié à un certain équilibre depuis la prélogie, c’est désormais une sorte de baguette magique qui fait apparaître des objets d’un lieu à un autre : la Force est donc devenue un sort qui permet aux objets de traverser les espaces temps. Nous le voyons notamment à la fin du long métrage, où Rey invoque la Force pour faire apparaître un sabre laser dans les mains de Kylo Ren.

En fin de compte, la Force était un simple super-pouvoir de plus, annihilant toute recherche spirituelle – et quête initiatique – qui constituaient le chemin de croix des Jedi depuis huit épisodes (et donc l’essence de la diégèse de toute une saga…).

SKYWALKER

Les exemples de sous-exploitation du sens de l’univers, de son immensité et de transgression de la diégèse sont trop nombreux dans ce dernier Star Wars. Il est purement impossible d’en dresser une liste exhaustive. De la même façon que les personnages secondaires inutiles se multiplient, les séquences s’additionnent dans une logique cassée, aseptisée et truffée d’inepties. Tout est énuméré dans un automatisme sans fond.

Palpatine s’auto-électrifie pour mieux se suicider, Rey ne doit pas tuer Palpatine (à cause du « côté obscur ») mais contribue finalement à le tuer en repoussant la Force… Quant à Kylo Ren, il délaisse subitement son caractère sombre en entendant par télépathie la voix de sa mère qui se meurt (le simple mot « Ben » suffit à le faire changer radicalement)

En définitive, cet ultime épisode nous fait l’effet d’un Star Wars 7 « bis », où J.J. Abrams aurait fait abstraction de l’épisode 8, et de ses intentions. Par exemple, où est donc passée la volonté de créer un anti-stéréotype de l’héroïne féminine ? Je pense notamment à Rose qui se fait voler la vedette par une amazone d’un ancien temps (sexiste), et cela aux yeux d’un Finn qui, comme de par hasard, était comme elle un ancien stormtrooper.

SKYWALKER

J’aurais également pu parler du come back de Lando, pur placement de produit pour satisfaire les nostalgiques, de l’hologramme numérisé de Carrie Fisher ou encore du caméo de Harrison Ford qui ressurgit de l’au-delà pour parler à Ren. Nous pourrions aussi nous attarder sur le faux Mac Guffin de la dague pour trouver l’orienteur Sith... Toutefois, ce ne serait que donner du crédit à une production qui s’est contentée d’un triste minimum syndical.

Il est juste pitoyable que les deux derniers réalisateurs de cette saga n’aient pas un minimum bossé ensemble sur le script d’une mythologie cinématographique. Cette conclusion, elle nous fait l’effet d’un immense gâchis, d’un vaste gaspillage de moyens et d’argent pour un résultat sans goût. Cela en dit long sur l’avenir du cinéma numérique et des productions des chaînes de streaming qui respecteront majoritairement un format standardisé : le format Disney.

J.M.

 

 

 

5 commentaires

  • Dukon
    Dukon

    Déjà on dit JJ Abrams et non pas Abrahams.
    Ensuite les critiques comme vous j’aimerais bien les voir écrire et réaliser des films, même mineurs. Je crois qu’on rigolerait bien.

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  • Dukono
    Dukono

    Euh quel blog et génial ?? Le vôtre ?? MDR il est pitoyable mais bon, vous vous en rendrez compte peut-être un jour, allez savoir.

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    • Charles Chinasky
      Charles Chinasky

      Merci à vous pour ce commentaire bienveillant. Je vous souhaite une excellente fin d’année

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  • J. M.
    J. M.

    Bonjour Dukon,

    Faire une critique, c’est avoir le droit d’aimer un film et de ne pas aimer. Du moment qu’il y a des arguments et un débat d’idées.

    En plus, je précise bien qu’il s’agit dans l’ensemble d’une très bonne saga. J’ai simplement été très déçu par ce dernier épisode, ce qui est expliqué.

    Je m’excuse quant à la faute d’orthographe pour le nom du réalisateur.

    Au fait, Dukon, ça s’écrit Ducon (définition du Larousse). Un nom qui semble si bien vous aller à la vue de la pertinence de votre commentaire…

    J. M.

    Les goûts et les couleurs, c’est propre à chacun.

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  • J.M
    J.M

    Re-bonjour Dukon,

    Suite à votre retour constructif quant à l’article que j’ai écrit, j’ai donc corrigé la faute d’orthographe qui s’était glissée sur le nom du réalisateur.

    Cela rend donc votre commentaire caduque. Toutefois, et parce que nous sommes respectueux de la liberté d’expression et de pensée sur notre Blog, nous le laisserons tel quel.

    En vous souhaitant une bonne année, j’ai hâte de lire votre réponse, voire votre éventuelle argumentation sur ce film « majeur » (dont la place de cinéma m’a coûté 12,80 Euros… Ce qui me donne le droit de le critiquer).

    J.M.

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