Métaphysique du rock #3 Dylan et ses visions poétiques

Une quarantaine d’albums studio, moult lives et 15 bootlegs. Voilà plus ou moins la discographie de Bob Dylan après 60 ans de carrière. Le sujet Dylan est vaste, incroyablement vaste. Aussi, il serait odieux de réduire Bob à une chanson. Soyons odieux.

On trouve chez Dylan un aspect clivant incontestable. Par exemple, derrière l’image du sale con complètement imbu de sa personne se cache le meilleur des songwritters. Bon, il y a peut-être ici causalité. Quoi qu’il en soit, ce qui fascine chez Dylan, c’est sa capacité à ne laisser personne indifférent.

Dylan a obtenu le Nobel « pour son profond impact sur la musique populaire et la culture américaine, à travers des compositions lyriques au pouvoir poétique extraordinaire ». Pour s’en rendre compte par soi-même, il suffit d’écouter sa meilleure chanson (« Visions of Johanna ») qui se trouve, hasard ou non, sur son meilleur album (Blonde on blonde).

Pourquoi cette chanson est-elle si incroyable ? Parce qu’il s’agit d’une alchimie parfaite où le texte est une poésie sublime. La musique ne saurait mettre davantage les paroles en valeur, spécialement dans la version live de 1966. Qui plus est, une chanson n’a de valeur que par son interprétation et celle de Dylan est ici époustouflante.

Pour la pochette de Blonde on blonde, Dylan s’est fait tirer le portrait plusieurs fois. Il a choisi la seule photo floue du tirage. De flou, il en est justement question dans cette chanson. L’ambiguïté est présente dès le titre : est-ce Johanna qui offre ses visions ou bien le canteur (narrateur de la chanson) a-t-il des visions de Johanna ? Concrètement, on ne sait pas vraiment de quoi parle le morceau. Malgré tout, il est visuel au possible. Les mots de Dylan se mettent au service de la narration. Les expressions et les images donnent une dimension onirique intense.

album blonde on blonde

Certes, il s’agit des paroles d’une chanson. Seulement, si l’on considère le texte intrinsèquement, c’est un poème (à ce propos, un rapprochement a déjà été fait entre les « visions » et un poème de Keats). La frontière entre texte poétique et texte de chanson est de toute façon poreuse. Il n’empêche que « Visions of Johanna » est un poème écrit pour être chanté sur de la musique, que dans le cas présent l’entité chanson est le poème.

« But Mona Lisa musta had the highway blues / You can tell by the way she smiles »

On peut en revenir au sens du morceau. De quoi est-il question donc ? À vrai dire, on s’en fout pas mal. Avoir une explication, ce serait délimiter une chanson qui permet de se perdre dans les méandres de l’esprit. Expliquer cette chanson, ce serait la cloisonner. Or, les rêves n’ont pas de prison.

Il est possible de lire le texte ainsi que sa traduction française ici.

2 commentaires

  • Dandy Warhol
    Dandy Warhol

    Dylan est-il un poète ? La réponse est sans doute oui . Mais la vraie question est : » est-ce que le rock a besoin de poètes ?
    Les textes sont-ils plus importants que la musique ? Personnellement je ne pense pas. L’essence du rock c’est le riff , la mélodie qui te donne envie de bouger !!!
    D’ailleurs le génie des Ramones tient-il des textes de Joey …
    Et pourtant le plus grand génie du rock a écrit des textes si sublimes …
    Alors oui monsieur Bowie ,le rock n’a peut-être pas besoin de poètes mais de grands auteurs.

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    • Pigi
      Pigi

      Je ne sais pas si le rock a besoin de poètes mais il est certain que le rock ne serait pas ce qu’il est sans poésie. En revanche, le concept même de poésie est complexe puisque personne n’en a la même définition. Seule certitude, poiesis en grec ancien signifiait « créer »…
      J’ai tendance à penser que les textes sont aussi importants que la musique. Il existe dans le rock une dualité qui provoque un ressenti davantage corporel ou intellectuel selon qui on écoute (j’en parlerai dans un prochain article). Avec les Ramones on est évidemment dans le corporel.
      Pour Bowie,à mon avis, ses chansons qui donnent envie de bouger sont loin d’être les meilleures. Par exemple, « Five years » n’est-elle pas une chanson bien plus grandiose que « Let’s dance » ?
      Le genre chanson est pratiqué de manière très différente entre Bowie et les Ramones. Le choix des thématiques de Bowie, son écriture et sa démarche globale en font inconstestablement un grand auteur. Et pour moi un poète.

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