Métaphysique du rock #5 L’influent Jack Kerouac

Kerouac a écrit comme il a vécu, intensément.

Sur la route est l’histoire d’une bande de types qui baroudent à travers les Etats-Unis, d’est en ouest et inversement, à la fin des 40s. Le pitch n’est pas révolutionnaire. Et pourtant, il fonctionne. L’important en littérature comme ailleurs, ce n’est pas tellement l’histoire qu’on nous raconte mais la façon dont on nous la raconte. Ici il est surtout question d’un état d’esprit, notamment de celui des protagonistes. Kerouac le clame haut et fort, il faut vivre. Ardemment, passionnément. Comme si tout le monde se devait d’être un Icare, à la différence qu’il est chaudement recommandé de s’approcher du soleil.

Le plaisir immédiat est le leitmotiv des personnages, alter-egos de l’écrivain et de ses proches. Le rythme de l’écriture sert le propos. Il faut aller de l’avant, toujours et sans perdre de temps. « Compose de façon sauvage, indisciplinée, pure, puisant dans l’inconscient de la façon la plus démente possible » conseille-t-il à qui veut écrire. Il est aussi à préciser que Kerouac aimait profondément la musique. Son écriture a souvent été rapprochée du jazz qu’il appréciait tant. Les lignes suivantes illustrent le propos :

« Eh bien, mon pote, cet alto-saxo de la nuit dernière avait le it, dès que ça a mordu, il l’a tenu bon; je n’ai jamais trouvé un type qui le tenait si longtemps. » Je voulais savoir ce qu’était le it. « Allons bon – Dean rigola -, voilà que tu m’interroges maintenant sur les choses im-pon-dé-ra-bles, hum. Voilà un gars et tout le monde autour, hein ? C’est à lui de mettre en forme ce qui est dans la tête de chacun. Il attaque le premier chorus puis il étale ses idées, bonnes gens, bien sûr, bien sûr, mais tâchez de saisir, et alors il se hausse jusqu’à son destin et c’est à ce niveau qu’il doit souffler. Tout à coup, il part au milieu du chorus, il ferre le it ; tout le monde sursaute et comprend ; on écoute ; il le repique et s’en empare. Le temps s’arrête. Il remplit le vide de l’espace avec la substance de nos vies, avec des confessions jaillies de son ventre tendu, des pensées qui lui reviennent, et des resucées de ce qu’il a soufflé jadis. Il faut qu’il souffle à travers les clés, allant et revenant, explorant de toute âme avec tant d’infinie sensibilité la mélodie que chacun sait que ce n’est pas la mélodie qui compte mais le it en question… » Dean ne pouvait pas continuer ; il suait en faisant ce discours. »

portraits auteurs beat

Et le rock dans tout ça ?

L’état d’esprit incontestablement. De plus, la production littéraire de Kerouac a eu un impact considérable sur la musique. Dylan n’a jamais caché que sa découverte de Kerouac a été marquante (ce qui est déjà quelque chose compte tenu de la personnalité de Bobby). Dylan était également pote avec Ginsberg, le Groucho Marx de Sur la route, autre fondateur du mouvement beat. Ginsberg apparaît dans le clip de « Subterranean homesick blues » et les deux bonhommes se sont rendus ensemble sur la tombe de Kerouac déclamer de la poésie. L’œuvre de Kerouac a également était fondamentale pour les Doors. En témoigne les propos de Ray Manzarek : « Je suppose que si Kerouac n’avait pas écrit Sur la route, les Doors n’auraient pas existé. Ce livre ouvrit grand les vannes et nous lûmes tout ce sur quoi nous pûmes mettre la main ».

Il existe une critique livrée à la beat generation comme quoi les fers de lance n’avaient finalement pas grand chose en commun. Pour Bukowski par exemple, Ginsberg est un ersatz de hippie mystique, Burroughs un pauvre junkie et Kerouac un écrivain qui a dénaturé Neil Cassady. En somme que le mouvement beat n’est ni plus ni moins qu’une construction fictive. Mais cela a-t-il vraiment de l’importance ? La littérature qui résulte de ces écrivains a eu un impact sur tout un tas de gens et d’artistes. Si un bouquin comme Sur la route a permis à quelques idéalistes désabusés de s’en aller arpenter le monde armé d’un sac à dos ou aux Doors d’exister, alors c’est déjà pas mal.

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