Métaphysique du rock #6 L’impatient Jake Bugg

Prodige anglais né au milieu des années 90, Jake Bugg a déjà une sacrée carte de visite

Le droit de naissance est un concept qui donne des privilèges grâce à ses ascendants. Merveilleux ? Pas forcément, cela implique également de vivre avec le poids de son héritage. Ainsi, naître au Royaume-Uni n’octroie pas seulement une tolérance fascinante à l’ingurgitation de bières en grande quantité. En effet, se lancer dans la musique implique de passer après les Beatles, Bowie ou bien Coldplay.

Par ailleurs, l’adolescence est par définition une dualité, l’enfance contre l’âge adulte. C’est un moment complexe où les repères sont délicats à trouver. Il s’agit aussi du moment où les goûts s’affirment, musicaux notamment. Vivre l’adolescence au début du millénaire n’a pu qu’accentuer la brutalité de la transition. À l’adulte passionné qui vante les mérites des vinyles des Stones ou de Donovan s’oppose le bon camarade de classe qui clame haut et fort que le MP3 autour de son cou permet d’écouter l’intégral de Tokyo Hotel. Certains se seront perdus en chemin. Heureusement, pas tous. Nonobstant les obstacles, quelques âmes fortes ont tiré leur épingle du jeu.

« So I hold two fingers up to yesterday / Light a cigarette and smoke it all away »

Jake Bugg, met un terme à sa scolarité à 16 ans pour se lancer dans la musique. Avec succès vraisemblablement puisqu’il avait vendu des centaines de milliers de disques avant d’avoir atteint la vingtaine. Succès en studio donc, qui va de pair avec les qualités scéniques du jeune homme.

« Jake Bugg », premier album de Jake Bugg, sort en 2012. La force de ce disque est sa variété. On peut danser sur « Lightning Bolt », s’émouvoir avec « Broken » ou s’imaginer le quotidien de ceux qui vivent dans cette « Trouble Town ». « Jake Bugg » est l’occasion de découvrir une voix nasillarde qui orne une musique aux influences assumées de folk, de blues et de rock. « Le nouveau Dylan » s’exclament alors certains. La pertinence de cette comparaison se discute mais certaines similitudes ne peuvent se nier. En revanche, elle pose problème. Voir ou vouloir faire de Bugg un Dylan 2.0, c’est refuser à un artiste son identité. Chaque génération s’est créée ses figures de proue, il est donc de bon ton de laisser les suivantes faire de même.

Globalement, l’accueil de ce premier disque a été très bon. Il a toutefois subi quelques rares reproches, par exemple sur un potentiel manque de maturité ou à cause de la co-écriture des textes. Chacun son opinion, seulement, qu’une personne de 18 ans fasse un album avec de l’aide ou qu’il y ait présence d’immaturité dans celui-ci ne sont pas des critères objectifs définissant la qualité du LP. L’idée n’est pas de se positionner en tant qu’avocat de l’ami Jake. On a le droit de penser que « c’était mieux avant » ou de voir les nouveaux artistes à travers le prisme de ceux qu’on connaît, d’adorer ou de détester, tant qu’on le fait pour les bonnes raisons.

En bref, le traitement réservé au bonhomme est symptomatique de ce qui a pu se passer pour quantité d’amoureux du rock. Il n’en demeure pas moins que « Jake Bugg » est l’une des réussites de la dernière décennie. Surtout, ce disque est l’émergence d’un artiste extrêmement doué qui aime la musique de la génération de ses aïeux et qui y apporte sa contribution. Et ce n’est pas rien.

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