Devs : Analyse & critique de la série (avec et sans spoilers)

Alex Garland déploie sa SF contemplative en série, et c’est une totale réussite.

En 2015, Garland passait pour la première fois derrière la caméra, après une carrière de romancier et scénariste, notamment chez Danny Boyle. Ex Machina était un quasi huis clos retors, aux accents de Philip K. Dick, où un robot androïde échappait peu à peu à son créateur. Trois ans plus tard, il signait Annihilation, une odyssée féministe avec Natalie Portman, adaptée de Jeff VanderMeer. Bancale mais ambitieuse, l’oeuvre n’a connu une sortie en salle que dans une poignée de pays. Elle est disponible chez nous sur Netflix.

Devs est le nom d’un laboratoire top secret où l’on suit Sergei, un jeune informaticien. C’est sa première journée chez Amaya, un géant du big data niché dans les forêts autour de San Francisco. Le moins qu’on puisse dire, c’est que son intégration ne se passera pas comme prévu (quoi que ?). Sa petite amie Lily va alors mener l’enquête pour éclaircir les sombres agissements d’Amaya.

Lily, take another walk out of your fake world

Certains reprocheront à la série son rythme lent: je le trouve au contraire parfaitement distillé sur les huit épisodes, avec la bonne dose de révélations et de cliffhangers, et les passages obligés explicatifs. Sonoya Mizuno est une révélation dans le rôle de Lily. Loin d’être maniéré, son jeu posé et réfléchi traduit parfaitement les tourments d’une héroïne à la fois monstre de cérébralité et cœur battant de l’intrigue. Dans le rôle de Forest, PDG d’Amaya et démiurge brisé, Nick Offerman est formidable de retenue. Un véritable anti-Ron Swanson, son rôle culte de Parks and Recreation.

La série prend un malin plaisir à tancer les géants de la tech, aux commandes d’un pouvoir inimaginable il y a ne serait-ce que quelques années. Nos doubles numériques prennent peu à peu le pas sur nos corps de chair et de sang. Nos identités digitales se détaillent au point où nous ne pouvons plus nous séparer de nos smart téléphones, servant nos moindres parcelles d’information à des serveurs toujours plus puissants et voraces. En gros, on devient tous des bits. Et après ?

Attention: on entre dans la zone spoilers, après ce GIF de Sonoya qui danse avec Oscar Isaac (dans Ex Machina).

Devs

Enter The Matrix (spoilers)

Le cliché de « l’enfant dont la mort cause une quête existentielle » a déjà surgi à de nombreuses reprises: Premier Contact, Gravity, First Man de Damien Chazelle, pour ne citer que des exemples récents. Dès le deuxième épisode de Devs, on apprend que la fille disparue de Forest est partout: c’est elle qui a donné son nom à l’entreprise, et c’est pour elle qu’il tente à tout prix de décoder le monde. L’impossible deuil d’un enfant, ce mètre-étalon de la douleur, est la barrière ultime contre laquelle viennent s’échouer nos rêves de toute-puissance.

Car un tel évènement semble résulter d’une aberration, d’une branche qui n’a pas poussé correctement. La série explore ouvertement la théorie des mondes multiples d’Everett, mais aussi l’influence de l’observateur lors des expériences de physique quantique. Garland traduit superbement ces idées à l’écran, par un travail sur la bande-son (signée Ben Salisbury & Geoff Barrow de The Insects) et des VFX qui jouent avec les régimes d’image (des plans truqués qui trahissent leurs créateurs, une séquence jouée à l’envers, …)

La réalité c’est ce qui continue d’exister lorsqu’on cesse d’y croire / Philip K Dick

Face aux algorithmes des GAFA qui font tout pour prédire nos choix, et la théorie que nous vivons déjà dans une simulation, un futur à la San Junipero dans Black Mirror se précise chaque jour. Une simulation si avancée qu’elle serait impossible à discerner. Un peu comme l’Oracle de Matrix, ou la Psycho-histoire de La Fondation d’Asimov. Alex Garland s’amuse avec ce postulat en plein milieu de la série, avec un épisode presque entièrement composé de visions made in Devs. Mais qui pilote vraiment la machine ?

sense8 (saison 1, épisode 11) de Lana & Lilly Wachowski (2015)

L’avenir est faussé, le ver est dans la pomme, tout est foutu, monde de merde. Garland nous prévenait dès son premier livre, La Plage, où l’éternel Éden de l’île perdue n’était qu’un mirage. Il ne reste que l’espoir inéluctable, la volonté d’une dernière chance, jusqu’à l’ultime twist que chacun interprètera selon son désir. Comme cette critique, ces mots, que vous avez choisis de lire ou non, une fois arrivé à l’avertissement spoiler. C’est tout l’art de ce cinéaste, d’avoir ramené in fine les questionnements de l’Univers à l’échelle d’un cœur.

Je vous laisse, prenez soin de vous. Moi, je vais prendre des nouvelles de mon pote qui fabrique un ordi quantique chez PsiQuantum.

La saison 1 de Devs est disponible sur Hulu et MyCanal.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *