Sonic Youth, jeunesse éternelle ? Michel Drucker n’en parlerait pas mieux.

Alors comment dire ? Je vais tâcher de faire preuve d’une totale objectivité même si je suis un fan absolu de ce groupe que j’ai eu la chance de voir 14 fois en concert. Je ne compte plus la thune dépensée depuis les années 90 pour acquérir les 17 albums officiels, des lives, des vinyles, des K7 audio, des tee-shirts, des magazines, des biographies, des DVD, des K7 vidéos, des posters … Bref, tout l’attirail qu’un fan rêve de posséder, au grand désespoir de ma femme.

Passons aux choses sérieuses. Sonic Youth a été formé à New-York au début des années 80 et le groupe est resté assez stable dans son line-up à l’exception des batteurs, qui ont changé à 2 reprises et le renfort d’un ou deux amis sur quelques albums. On a donc : Kim Gordon (basse, chant) et Thurston Moore (guitare, chant), couple mythique dans la galaxie Rock et fondateur du groupe, Lee Ranaldo (guitare, chant) et Steeve Shelley (batterie). Voici donc un retour sur la carrière d’un groupe arty, précurseur, fondateur du Noise Rock et surtout grand influenceur. Culte, forcément.

sonic youth

Le pépin dans la grande pomme

Tout démarre à New-York qui dans les années 80 connaît comme tout le monde la vague Punk et Post Punk mais aussi, voire surtout, l’émergence d’une scène avant-gardiste, la No Wave. Le fer de lance de cette mouvance No Wave (en résumé, un style très expérimental et bruitiste avec des accordages de guitares peu orthodoxes) est Glen Branca qui composera des symphonies à plusieurs guitares. Parmi les guitaristes, on retrouvera Thurston Moore et Lee Ranaldo. L’année 1981 rime avec la fin de la fulgurance No Wave et les débuts de Sonic Youth qui souhaite s’appuyer sur des dissonances tout en apportant une dimension plus Rock. Les dissonances et les accordages non conventionnels, qui sont voulus, resteront à jamais comme la marque de fabrique de leur musique, de fait très singulière.

1982-1985 : des débuts prometteurs …

En 1982, paraît leur premier album éponyme de 5 titres (le seul album avec des guitares accordées normalement). Le disque reçoit un bon accueil critique et tout le monde attend la suite. Leurs premiers concerts sont furieux et il n’est pas rare de les voir partir dans des magmas sonores. Lee Ranaldo branchait régulièrement une perceuse sur un amplificateur. Ambiance …

Extrait : « The Burning Spear »

En 1983, leur deuxième album « Confusion Is Sex » sort et dégage clairement des influences Punk/Hardcore. Les mélodies sont alambiquées, voire confuses, soutenues par une ligne de basse puissante et des voix hurlantes ou a contrario posées. Cet album est à mon sens totalement sous-estimé. Les anciens fans comprendront.

Extrait : “Inhuman”

En 1985, « Bad Moon Rising ». Le disque est plus calme que son prédécesseur, beaucoup plus sombre aussi. Les titres s’enchaînent les uns aux autres dans des directions différentes. C’est le temps du premier vidéo clip et Sonic Youth commence à se faire un nom dans la sphère américaine du Rock Alternatif. Quelques pépites sont devenues des classiques comme « Death Valley 69 » (évoquant clairement Charles Manson) ou « I Love Her All The Time ».

Extrait : « Death Valley 69 (with Lydia Lunch) »

1986 – 1988 : ZE trilogie

En 1986 paraît « Evol » (Love à l’envers) avec le nouveau batteur, Steve Shelley qui restera jusqu’à la dissolution du groupe. L’album est pour le coup plus Pop et optimiste mais on a tout de même ce sentiment de déguster des bonbons acidulés. C’est bon, très bon même. Le groupe s’essaie même à une reprise : « Bubblegum » de Kim Fowley. A l’arrivée, cet album propose des morceaux incontournables comme « Tom Violence », « Shadow Of A Doubt », « Star Power » ou encore « Expressway To Your Skull ». Neil Young dira d’ailleurs que ce dernier morceau est le plus grand morceau composé pour être jouer à la guitare. Question de goût.

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Extrait : « Star Power » :

En 1987 c’est au tour de « Sister » de sortir dans les bacs Même si cet album ne bénéficie pas d’un son extraordinaire, il n’en reste pas moins l’un des meilleurs de la discographie, de mon point de vue. Il dégage une tension, une violence sous-jacente et certains de ses titres ont été joués plus de 300 fois en live, preuve que cet album compte.  « Schizophrenia, « Stereo Sanctity » et « White Cross » sortent du lot.

Extrait : « Schizophrenia »

1988, leur premier double album « Daydream Nation » est une création majeure pour le groupe et la musique alternative. C’est avec cet album (juste énorme) que Sonic Youth rentre dans le patrimoine sonore américain et signe sur une Major par la suite. Il est juste une prouesse artistique de haute volée. Dans ce disque, les accordages non conventionnels sont poussés à l’extrême mais le tour de force est que cela dégage une cohérence globale incroyable. De là sortent des morceaux juste devenus cultes comme « Teenage Riot », « Silver Rocket » (en hommage à Andy Warhole), « Cross The Breeze » ou « Trilogy » (trois morceaux en un …). Bref, ce disque est rentré au Panthéon américain : il figure d’ailleurs parmi le top des 500 disques qui comptent.

Extrait : « Cross The Breeze »

1990, l’arrivé chez GEFFEN

En 1990, fort de son succès critique et commercial, Sonic Youth produit l’album « Goo ». Généralement, on « rentre » dans l’univers Sonic Youth par ce disque, qui est le plus accessible. Les collaborations vont bon train puisque Chuck D de Public Enemy chantera aux côtés de Kim Gordon sur « Kool Thing ». Cet album est le tournant plus « pop » pris par le groupe même si les fondamentaux Noisy demeurent. Quelques titres deviennent des classiques en plus de « Kool Thing » comme « Dirty Boots », « Disappearer », « Mote » « Mildred Pierce » (instrumental avec une ligne de basse surpuissante et s’achevant sur des cris stridents » « Titanium Exposé » (présent sur la BO du film « Pump Up The Volume », avec Christian Slater, qui évoque les débuts des radios indépendantes aux Etats-Unis. Très bon film d’ailleurs).

Extrait : « Kool Thing »

1992, c’est un virage plus commercial qui est pris avec « Dirty ». Au début des années 90, c’est la vague Grunge et plus largement le Rock Indépendant qui dominent les débats, tuant pour un temps le Metal. Sonic Youth a d’ailleurs joué un rôle important dans le développement de la carrière de nombreux groupes de cette période comme Nirvana, Dinosaur Jr, Mudhoney, Pavement, Babes In Toyland, … L’influence du groupe est là. Avec cet album, Sonic Youth rentre dans une autre dimension, passe en boucle sur MTV, en France aussi (sur NPA). Des titres emblématiques apparaissent tels « Sugar Kane », « Drunken Butterfly » ou « 100% », qui passait même en boîte, c’est dire. Cela reste dissonant mais la production est beaucoup plus léchée, moderne et les chansons sont plus courtes également, favorisant les passages en radio. Avec « Dirty », Sonic Youth obtient (enfin) la reconnaissance du grand public.

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Extrait : « Drunken Butterfly »

Décidemment toujours aussi en verve, Sonic Youth sort « Experimental Jet Set Trash and No Star » en 1993. Moins commercial que « Dirty », on le sentiment que le groupe souhaite revenir vers plus d’expérimentations même si le titre « Bull In The Heather » est une nouvelle fois un carton commercial. La maturité est proche, Kurt Cobain se suicide la même année, le Grunge connaît ses dernières étincelles …

En 1995, c’est au tour de « Washing Machine ». Sonic Youth connaît un tassement des ventes et en profite pour revenir sur un terrain plus dissonant et des titres plus longs également. Pour preuve, « The Diamond Sea » dure près de 20 minutes. La performance est juste magique. Je retiendrai la chanson « Skip Tracer » chantée par Lee Ranaldo (qui ne chantait pas sur le précédent album) et qui reste pour moi l’une des meilleures compositions du groupe. Tout y est : riff entêtant, voix posée, tension.

Extrait : « Skip Tracer »

Fin de siècle et retour aux expérimentations.

En 1998, le groupe concocte « A Thousand Leaves », basé sur des expérimentations instrumentales. Sonic Youth cherche clairement un nouvel élan même si le titre « Sunday » donne l’effet inverse et obtient quelques bonnes couvertures radio et TV.

Extrait : « Sunday »

En 1999, Sonic Youth est victime d’un vol et tout le matériel (guitares customisées, pédales bricolées, …) du groupe disparaît. C’est donc la fin d’un cycle qui s’annonce avec la sortie en 2000 de « New York City Ghosts & Flowers » mais aussi l’opportunité de repartir à zéro. A cette occasion, le groupe accueille un cinquième membre et ami de longue date : Jim O’Rourke à la guitare et/ou à la basse, ça dépend. L’album est plus sombre, les structures sont complexes et l’ambiance est éthérée, voire inquiétante. C’est l’un des albums les plus complexes et difficiles d’accès du groupe mais la chanson éponyme de l’album est juste une merveille de spleen sur laquelle la voix mélodieuse de Lee Ranaldo dresse les poils.

Extrait : “New York City Ghosts & Flowers”

2002, « Murray Street ». Le choc du 11 septembre est passé par là, les membres résidant à New York ont été choqués (comme tout le monde) par l’attentat du World Trade Center. L’enregistrement de l’album a été chahuté et cela se ressent un peu. Ils sont là sans y être même s’il contient d’excellents morceaux comme « Rain On Tin » ou « Karine Revisited ». Plus ouvert et moins sombre que son prédécesseur, il offre un visage plus Pop, plus optimiste. Certains considèrent « Murray Street » comme un très bon album, une espèce de renouveau mais le vieux fan que je suis reste dubitatif.

Extrait : « Karine revisited »

En 2004, Jim O’Rourke fait toujours partie de l’aventure et le groupe sort « Sonic Nurse ». Les mélodies sont aussi complexes qu’envoûtantes, les guitares incisives et la voix de Kim Gordon aussi fragile que mélancolique. De très bons titres : « Pattern Recognition » et « Dude Nurse Ranch » sortent du lot pour ma part. Une excellente surprise après les deux productions précédentes qui laissent un avis mitigé.

Extrait « Pattern Recognition »

En 2006, avant dernier album du groupe : « Rather Ripped ». Le groupe se retrouve à quatre, Jim O’Rourke l’ayant quitté. Que dire sur cet album ? On sent le groupe vieillir et cela tourne un peu à vide. On a davantage à faire et de l’Indie Pop correcte (mais sans plus) et les vieux fans comme moi commencent à se dire que ça sent le sapin …

Extrait : « Jams Run Free »

2009, « The Eternal » signe la fin de l’aventure avec GEFFEN et il s’agit du dernier album de Sonic Youth.  Comme le rappel lors d’un concert, ce disque renoue avec l’ardeur et l’esprit originel du groupe. Mark Ibold (ancien bassiste de Pavement) prend la relève de Kim Gordon qui se concentre sur la guitare et le chant. L’album est une espèce de clin d’œil avec des références un peu planquées partout. « The Eternal » est un bon album de conclusion. La boucle est bouclée.

Extrait : « Anti-Orgasm »

30 ans putain !

En 2011, j’arrive au taf un beau matin et j’apprends la dissolution du groupe (pour l’essentiel liée au divorce de Kim Gordon et Thurston Moore). Inutile de vous dire que j’étais en deuil et qu’il ne fallait pas me casser les rouleaux ce jour-là. Sonic Youth m’a accompagné pendant plus de 20 ans dans les moments les plus tristes comme les plus joyeux de ma vie. Il n’y a pas un jour qui passe sans que je n’écoute leur musique. J’espère qu’a contrario des Pixies, Sonic Youth ne se reformera jamais, ce n’est pas leur style de toutes façons. Aujourd’hui, chacun des membres suit sa carrière solo avec plus ou moins de succès.

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Alors que retenir de Sonic Youth ? des créateurs avant tout.

C’est juste l’aventure, la connivence et la fusion de quatre personnalités très éloignées, toutes passionnées de musiques et d’art en général au service de leur idées anticonformistes. Un talent créatif hors du commun, un esthétisme certain, une capacité incroyable à creuser et à faire émerger des nouveaux sons, une envie constante de décloisonner, une ouverture d’esprit indéniable, le souci d’aider les autres et de collaborer, la ferme volonté de sortir des sentiers battus et d’ouvrir de nouveaux terrains de jeux. Sonic Youth a créé un grand nombre de vocations et inspiré des artistes qui aujourd’hui ne font pas (ou plus débat) chacun dans leurs styles : PLACEBO, RADIOHEAD, INTERPOL, BLONDE REDHEAD, IDLES, NAPALM DEATH, … J’en passe.

Sonic Youth me manque autant qu’une ex peut te coller à la peau et dans la tête. C’est indélébile.

Ressources :

Si tu es guitariste ou bassiste, tu pourras trouver toutes les partoches et les accordages par album et par morceau ici : http://www.sonicyouth.com/mustang/tab/index.html

Le bandcamp du groupe extrêmement animé avec des rééditions et des lives inédits : https://sonicyouth.bandcamp.com/

 

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