Fragments d’un homme et une femme brisés / « The Father » & « Pieces of a Woman »

Deux films récents abordent les thèmes de la perte de soi et la reconstruction de notre identité. Ils dialoguent sans même le savoir

Assurément, enchaîner ces deux films ne t’offrira pas la soirée la plus fun de l’année. Mais tu admireras des performances d’acteurs remarquables, une mise en scène réfléchie et de vrais moments d’introspection, ce qui n’est pas si courant dans les médias actuels.

Qu’ont en commun un vieil anglais de 83 ans (The Father) et une trentenaire de Boston qui perd son nouveau-né (Pieces of a Woman) ? Que peuvent-ils bien se dire ?

Géographie du chaos

Un appartement londonien, une skyline américaine… D’entrée de jeu, nous sommes en terrain connu. Terre inconnue ? Les affects de nos protagonistes viennent perturber nos repères. Anthony Hopkins joue Anthony, dont il partage aussi la date de naissance. Ce qui semble être son logement privé se voit envahi par les allées et venues de sa fille Anne (Olivia Colman), puis de son gendre, puis de personnes plus ou moins identifiables. De son côté, Martha (Vanessa Kirby) attend la délivrance : en compagnie de son mari (Shia LaBeouf), elle surveille l’arrivée de la sage-femme qui va faire naître leur bébé, à domicile.

Dans les deux œuvres, des lieux intimes deviennent le théâtre de nos angoisses et de nos déchirures. Dans les deux cas, il s’agit de faire le deuil d’un enfant idéal. La fille de Martha est emmenée aux urgences mais ne survivra pas. Ce sont les premières minutes de Pieces of a Woman, et on est K.O. à genoux. Anthony, lui, souffre d’Alzheimer et ne peut se résoudre à s’abandonner à la garde de sa fille. C’est le point de départ de The Father, et son enjeu jusqu’au bout.

Le metteur en saigne

Dans les deux films, la passion du réalisateur est prégnante et nous embarque sans crier gare. Les deux œuvres sont nées sur les planches et chacune constitue le premier film anglophone de son auteur.

Pour Florian Zeller, c’est même son premier film tout court, lui qui adapte ici (avec Christopher Hampton) sa propre pièce de théâtre multi-récompensée. En transposant l’histoire de Paris à Londres, Zeller gagne peut-être un recul salutaire sur une histoire que l’on sent très intime. De la même manière, Pieces of a Woman est inspiré de la véritable tragédie vécue par la scénariste hongroise Kata Wéber et son mari le réalisateur Kornél Mundruczó. Suite à une fausse couche, Wéber s’isole et couche sur le papier des fragments de scènes pour expurger son chagrin. Le résultat prend d’abord une forme hybride, mi-pièce, mi-installation interactive. Mundruczó, dont plusieurs films ont déjà été en compétition à Cannes, signe la mise en scène de la version cinéma, mais Pieces of a Woman est véritablement un travail d’amour à deux (le film débute avec la mention au générique « un film de » suivie de leurs deux noms).

Je crois entendre encore / Caché sous les palmiers / Sa voix, tendre et sonore / Comme un chant de ramier / Ô nuit enchanteresse / Divin ravissement / Ô souvenir charmant / Folle ivresse, doux rêve / Aux clartés des étoiles / Je crois encore la voir / Entrouvrir ses longs voiles / Aux vents tièdes du soir / Ô nuit enchanteresse / Divin ravissement / Ô souvenir charmant / Folle ivresse, doux rêve / Charmant souvenir / Divin souvenir

Montage surprenant, décors changeants… Dans The Father, Zeller utilise toutes les ressources du 7e art et nous désoriente avec son coup d’essai : coup de maître. Mundruczó est également au plus près de ses comédiens. Il utilise un plan-séquence de 15 minutes pour montrer l’accouchement de Martha : une scène inoubliable durant laquelle vous allez sûrement oublier de respirer.

 

The Tree of Life

La métaphore arboricole qui clôt les deux films n’est pas neuve (dans les deux cas, la caméra finit littéralement dans les feuillages). Mais elle traduit bien le sang, la sève qui coule en nous et qui coulera chez d’autres encore, bien après notre mort. C’est l’histoire de la vie, le cycle éternel… représenté ici par deux acteurs transcendants, tous les deux nommés aux Oscars pour leur performance (Hopkins a même gagné la statuette). Deux affranchis qui sauront renaître et reconnaître la force ultime : celle de sourire face au néant.

The Father est sorti au cinéma le 26 mai. Pieces of a Woman est disponible sur Netflix.

 

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