Nino Haratischwili : « La Huitième vie » ou le tournant d’un siècle

Aujourd’hui jeudi 19 août, les éditions Folio sortent La huitième vie de Nino Haratischwili. Une gigantesque fresque familiale courant sur tout le 20ième siècle et couvrant 6 générations.

1200 pages haletantes, malgré leur grand nombre qui pourrait les rendre rebutantes de prime abord. Un livre de poids. Le poids d’un secret, le poids d’une famille, le poids d’un siècle au tournant de l’Histoire.

Tout commence en Géorgie, juste avant la révolution russe de 1917, dans le laboratoire d’un chocolatier de génie. Travaillant sur sa recette quasi-magique, il ne sait pas encore à quel point sa descendance, notamment féminine, va subir les affres de la vie, jusqu’à la malédiction.

La huitième vie

Nino Haratischwili est une écrivaine et dramaturge d’origine géorgienne et de nationalité allemande. La huitième vie est son troisième roman. Elle s’est toujours intéressée aux relations intrafamiliales chaotiques et, dans ce livre, celles-ci atteignent leur paroxysme. Mais tout l’intérêt de cette saga réside dans le fait que l’auteure convoque la grande Histoire mondiale du siècle dernier, pour y imbriquer la petite histoire de cette famille déchirée par les évènements autant que par ses convictions divergentes. L’amour, la haine, la mort, sans oublier la folie, les idéaux déçus et les secrets familiaux sont les clefs de voûte d’une fresque intergénérationnelle à taille humaine, noyée dans un monde devenu profondément inhumain.

Le petit arbre généalogique esquissé par Nino Haratischwili en début de livre est indispensable à la compréhension de l’ensemble. Moi qui déteste corner les bouquins, j’ai fait ici une exception pour pouvoir y revenir à loisir pendant ma lecture. Sans quoi c’était compliqué, démonstration : Niza, née en 1973, est la narratrice du roman et elle s’adresse principalement à sa nièce Brilka, laquelle voue une admiration sans borne à Stasia, son arrière-arrière-grand-mère, fille du chocolatier et mère d’un des rares protagonistes masculins du livre Kostia, arrière-grand-père de Brilka de par le fait, qui lui-même est le père d’Elene, la mère de Daria, sœur de Niza et mère de Brilka du coup… Vous me suivez ? J’arrête ici cette description qui ne rend pas hommage à ce récit dans lequel on rentre beaucoup plus simplement qu’il n’y paraît.

 

Tbilisi
Tbilisi

Le roman se décompose en 8 chapitres évoquant chacun la vie des 8 personnages. D’abord Stasia, la fille du chocolatier, dont le rêve de devenir danseuse étoile sera écrasé par son mariage avec un soldat de l’armée rouge et la perpétuelle attente de son retour. Puis vient le tour de Christine, la sœur de Stasia dont la beauté fatale la propulsera dans les bras de hauts dignitaires communistes, avant que la jalousie ne la plonge dans l’horreur. Le troisième chapitre aborde la vie de Kostia, fils de Stasia et rouge convaincu, qui fera carrière dans l’armée en étant aussi dur avec lui-même qu’avec ses proches. Puis l’on traverse la destinée de Kitty, sœur de Kostia, qui la mènera de l’accablement à la gloire en passant par la trahison et la dépression. Arrive ensuite Elene, la fille rebelle de Kostia qui ira aussi loin que possible dans ses projets d’émancipation, que ce soit envers son père ou envers le régime. Puis Daria, la petite-fille favorite de Kostia dont la beauté et le talent n’auront d’égal que la tragédie de son destin. Enfin, dans la septième partie, avec la vie de Niza, tout se recoupe, tout se dénoue, les différentes générations se retrouvent en elle et se superposent les unes aux autres.

Et le huitième chapitre, me direz-vous ? C’est celui intitulé « Brilka », celle à qui ce journal intime familial est destiné, la descendante, la huitième vie. C’est un chapitre vierge, une page blanche que Brilka doit elle-même remplir, un chemin à tracer, un nouvel élan à impulser pour perpétuer la lignée.

Il est un fait que Nino Haratischwili, avec La huitième vie, nous livre un récit dense, un pavé épais et lourd. Mais combien de courts romans nous tombent des mains, nous ennuient jusqu’à l’endormissement ? J’ai pris énormément de plaisir à dévorer ces pages, dans lesquelles les longueurs sont inexistantes et les rebondissements nombreux. Mon appétence pour l’Histoire du 20ème siècle n’y est probablement pas étrangère, car ce livre est très précis, fouillé, finement documenté. En vertu de quoi je vous invite vivement à oublier vos possibles réticences et à vous laisser emporter par la vague enchanteresse, autant que diabolique, de ce magma de vies aux trajectoires sublimes et tragiques.

Nino Haratischwili

« La huitième vie » de Nino Haratischwili est disponible chez Folio.

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