Junji Ito : de « Tomié » à « Sensor »

Deux oeuvres du mangaka Junji Ito sont sorties à deux mois d’intervalle chez le nouvel éditeur Mangetsu. Retour sur ces deux mangas, le visage à moitié caché sous la couette.

L’année 2021 serait-elle l’année de Junji Ito en France ? En dehors de Tomié et Sensor, le maître de l’horreur en manga a vu La déchéance de l’homme et Gyo publiés chez Delcourt/Tonkam en début d’année, ainsi que Les chefs-d’oeuvre de Junji Ito chez Mangetsu (encore une fois) qui nous fera sursauter d’effroi au mois de novembre.

Quoi qu’il en soit, je me penche aujourd’hui sur les deux premières œuvres éditées chez Mangetsu. Tomié d’un côté, sortie initialement au Japon à partir de 1987 et déjà éditée chez nous par Tonkam en 2004, et Sensor sortie quand à elle en 2019 au Japon et inédite jusqu’à présent en France.

32 ans séparent les deux mangas mais un lien fort les unit. La sortie rapprochée des deux titres permet de faire des parallèles entre les deux œuvres.

TOMIE

Tomié nous raconte l’histoire de Tomié Kawakami, jeune lycéenne qui va trouver la mort lors d’une excursion avec sa classe. Le professeur sur place et ses camarades de classe vont découper la jeune fille et cacher le corps pour ne plus jamais en parler.

Problème : Tomié est présente le lendemain au lycée. La folie engendrée par cette situation va petit à petit grangréner tous les acteurs du drame, pour le plus grand plaisir de Tomié.

Initialement prépublié dans le magazine shojo Monthly Halloween puis sorti en trois tomes au Japon ensuite, Tomié est le premier manga de l’auteur. Le trait marque son âge et le tâtonnement de son auteur encore dentiste.

Malgré cela, l’ambiance où plane l’esprit de cette jeune fille pouvant surgir à chaque recoin reste toujours oppressante. Junji Ito alterne cette tension sous-jacente avec des planches de body horror qui feront sa marque de fabrique. Tout l’univers de l’auteur est déjà présent dans Tomié.

SENSOR

Sensor nous propose de suivre Kyoko Byakuya qui va s’égarer dans un village où la population vénère un évangéliste. Elle sera témoin d’une éruption volcanique tuant tous les villageois présents. Mais Kyoko y survivra par miracle. Mieux, elle transcendera son statut de jeune fille sans histoire pour devenir l’égale d’une déesse pour certains, d’une oracle pour d’autres.

Dans ce manga, l’auteur vient toucher des thèmes comme la cosmogonie d’horreur chère à H. P. Lovecraft et la notion de culte impie et païen.

Cheveux de jais – cheveux d’or

La construction des deux œuvres est semblable :

Tomié donne son nom au manga et son visage orne la couverture. Elle est au centre de l’histoire mais à aucun moment nous la suivons. Elle est le lien entre chaque chapitre et son apparition est toujours le moment de la bascule vers l’horreur.

Et même si Kyoko n’est pas le nom inscrit sur la couverture de Sensor, c’est bien elle en représentation sur celle-ci. Seul le premier chapitre nous la fera suivre. Elle deviendra ensuite, tout comme Tomié, le point de rupture entre la réalité et le fantastique. Le lecteur sera amené à suivre un personnage dépassé par les événements rencontrés et qui servira d’identification pour le lecteur, Kyoko faisant office d’élément perturbateur et déclencheur des différents péripéties.

Les deux figures s’opposent également. Tomié est une jeune fille brune tandis que Kyoko est blonde. Toutes les deux sont des victimes d’un événemens tragique. Tomié devient l’instrument d’une vengeance personnelle, prête à tout détruire en se démultipliant alors que Kyoko tente de réparer et sauver les personnes suite à cet événement.

Pour conclure

La sortie de ces deux mangas par Mangetsu permet de voir le cheminement de Junji Ito entre son oeuvre première et sa dernière réalisation.

Nous passons d’une œuvre noire sans concessions faisant la part belle à la vengeance, à une œuvre plus lumineuse avec un message d’espoir à la clef.

Les éditions des deux mangas sont quand à elles très soignées : couverture rigide, nouvelle traduction et nouvelle couverture pour Tomié, préface (Alexandre Aja pour Tomie, Hideo Kojima pour Sensor). Bref, un travail éditorial très solide et un prix honnête compte tenu des éditions.

Junji Ito gagne à être connu en France. Ces éditions démontrent l’envie de Mangetsu d’offrir l’écrin adéquat à ce maître de l’horreur du manga. À noter également le travail réalisé par Delcourt/Tonkam sur les titres mentionnés plus haut qui marque cette même volonté chez l’editeur de donner accès à l’oeuvre de Junji Ito dans les meilleures conditions.

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