[Interview] Laurent Pépin, auteur de « Monstrueuse Féérie » et « Angélus des Ogres »

En librairie ce mercredi, sa dernière novella (c’est quand même plus joli que « roman court ») va vous faire voyager au pays des monstres et à la lisière de la folie.

Quand l’art surgit du cœur et des tripes, ça ne peut que chahuter, embarquer, bousculer. Tu as peur de te perdre en chemin. Tu crains de ne pouvoir descendre de ce train-fantôme brinquebalant et pourtant tu donnerais tout pour y rester encore un peu. Car qui sont les monstres ? Comme le dit Julia Ducournau : s’ils ne sont pas nous, les monstres nous observent tout de même droit dans les yeux, et leur regard est un miroir.

Je suis devenu psychologue et je travaille dans ce Centre. Souvent mon boulanger me demande si ce n’est pas trop dur de travailler avec “les fous”. Moi j’ai envie de lui répondre que ce qui est vraiment dur, c’est plutôt ce genre de dialogue, mais je me tais.

Pataphysique des tubes

Laurent Pépin est psychologue clinicien à Saintes. L’an dernier, il publie Monstrueuse féérie, son premier ouvrage. L’auteur s’inscrit dans la mouvement de la « pataphysique » : un pied de nez au terme « métaphysique » employé en philosophie, et qui a pour but de décrire les phénomènes du monde sous un regard particulier, en décalage avec la vision traditionnelle. Un Collège de pataphysique fut créé en 1948 et de nombreux surréalistes y ont appartenu : Alfred Jarry, Raymond Queneau, Boris Vian …

Tous les Monstres rentrent dans toutes les têtes de la même façon : on les y invite.

Au bonheur des ogres

Mercredi prochain, Laurent revient avec Angélus des ogres qui reprend le même procédé littéraire. Son narrateur anonyme évolue dans un univers peuplé de patients volubiles, qu’il appelle ses Monuments. Leur insondable démence fait écho au propre passé familial du narrateur et à sa relation amoureuse avec une Elfe. Nous lecteurs naviguons dans une zone grise teintée de reflets aveuglants, comme si la folie était le prix à payer pour avancer dans la pénombre du quotidien. Je suis ravi d’avoir pu m’entretenir avec Laurent :

AOW : Bonjour Laurent, vos livres m’ont charmé, bousculé, parfois agacé mais toujours interpellé. C’est ce que j’attends de l’art en général.

Laurent Pépin : Merci beaucoup de votre intérêt. Effectivement, comme le disait Antonin Artaud qui souhaitait écrire un livre pour bousculer les hommes, Monstrueuse Féérie peut avoir un côté « attentat littéraire ». C’est un texte multiple, tant dans sa conception que dans son origine : il avait été initialement pensé pour la scène puisque je croyais être en train d’écrire un one-man-show comique (idée vite abandonnée).

AOW : Monstrueuse Féérie est donc réédité ce mois-ci ?

LP : Oui, le livre est initialement sorti l’année dernière, le 15 octobre 2020, une dizaine de jours avant le second confinement, ce qui a peut être contribué à le laisser dans un anonymat (certes relatif), mais ce texte commence à trouver son public.

AOW : Quelles sont vos pistes d’inspiration pour ce conte noir ?

LP : Mes inspirations sont diverses : j’utilise énormément les figures de contes classiques, qui me semblent un réservoir de mythes et de fantasmes indépassable. Mais aussi, ou surtout, je m’inspire des auteurs du Collège de pataphysique, c’est à dire, pour les figures de proue, Vian, Ionesco, Queneau, Prévert, etc. En littérature plus contemporaine, il y a notamment deux livres qui ont marqué de leur empreinte mon texte : L’amour monstre de Katerine Dunn et Couchés ! de David Whitehouse.

Dans L’amour monstre, on suit une famille qui a conçu un cirque d’un nouveau genre : à chaque grossesse, la mère des « monstres » avale, inhale ou s’injecte tout un tas de substances toxiques afin de donner naissance à une créature difforme, unique, fascinante et révoltante à la fois, qui rejoint ensuite le cheptel de créatures à visiter. J’ai un peu conçu l’évolution de plus en plus improbable et inquiétante de la famille du narrateur en écho, non pas à ce livre textuellement mais à la façon dont sa lecture m’avait touché.

Dans Couchés !, on suit le trajet, de l’enfance à l’âge adulte, d’un homme qui décidera de ne plus jamais se lever de son lit, dépassant finalement les 400 kilos, probablement parce que l’existence n’a pas le même goût, une fois les sensations, les découvertes tracées, inscrites, dans le corps et la mémoire. Or, il ne tolère pas cette dégradation, elle n’est pas compatible à son idéal. Au fond, mon narrateur se transformant à cause de son obésité et de son repli, son enfermement en ce qu’il appelle un « être-monde », est un hommage à ce texte.

J’ajouterais également que le récit de l’enfance du narrateur s’inspire quand même un peu, ou en tout cas cherche à lui faire un clin d’œil, du livre D’un château l’autre de Céline. Sauf qu’il n’y a pas de point de fuite de l’Allemagne en flammes chez mon narrateur… Juste une traversée de l’enfance.

AOW : Avez-vous des références visuelles ou musicales lors de l’écriture ?

LP : Je me suis inspiré notamment de la musique de Thomas Bergersen pour l’écriture d’un chapitre : la revisite fantasmatique et horrifique d’Hansel et Gretel lors de laquelle le narrateur enfant, perdu entre ses cauchemars et la réalité, croit tuer ses parents qui ont eux-mêmes achevé leur mutation. À l’époque, je travaillais à Niort. Habitant Saintes, j’avais plus de deux heures de route aller-retour et j’écoutais énormément un morceau en particulier : Eyes Wider, dans l’album Seven. Je n’ai pas vraiment écrit cette scène, si l’on va par là, en fait je l’ai imaginée, émotionnellement et esthétiquement, pendant des semaines avant d’essayer de la coucher sur le papier.

À côté de cela, l’univers que l’on peut trouver chez le réalisateur Terry Gilliam est également une source d’inspiration, disons constante. Dans Monstrueuse Féérie, il y a également de nombreuses allusions à Harry Potter mais elles sont nettement ironiques : ce type qui a un cancer cutané et pense que c’est un horcruxe que lui a implanté sa mère avant de mourir. Ou, plus loin, évoquant ses monstres/souvenirs/hallucinations qui l’assaillent, lorsqu’il répond à ses amis qui ne comprennent pas l’impact de ces manifestations, somme toute imaginaires, sur sa psyché : « Ce n’est pas parce que c’est dans ta tête que ça n’existe pas, Harry. »

AOW : Votre second livre Angélus des Ogres que nous avons pu lire en exclusivité, va paraître ce mercredi 6 octobre.

LP : Oui, et toujours chez Flatland éditeur. C’est également une novella, ou roman court, cette seconde appellation étant à présent privilégiée par mon éditeur. En fait, le point de départ en est la vie de mon narrateur en tant que patient/salarié du Centre. Je m’en sers pour effectuer une certaine critique de l’évolution de la psychiatrie ces 30 ou 40 dernières années, critique évidemment biaisée par le style pataphysique, l’apparence absurde de mon propos, mais que l’on identifie néanmoins très bien.

Ce texte a d’ailleurs été globalement davantage apprécié par mes lecteurs « pilotes » que Monstrueuse Féérie, bien qu’il soit dans la même veine. Disons qu’il est plus drôle, absurde, le récit est plus aisé à suivre : le premiers tiers de Monstrueuse Féérie est évidement difficile à suivre puisqu’il s’agissait de constituer le puzzle qui allait se morceler progressivement afin d’être structurellement comparable à une décompensation psychotique. Les tournures de phrase sont aussi généralement plus courtes. Dans son avancée, Angélus des Ogres nous offrira également son lot de « monstres » mais davantage centrés sur l’énigme de la personnalité du narrateur adulte et sa propre responsabilité.

Enfin, un troisième et dernier livre avec ce narrateur est écrit et paraîtra l’année prochaine, à savoir Clapotille : une petite fille qu’il dessine lui même dans le sable enneigé, au cours d’une longue nuit d’hiver, et qui va prendre vie sous ses yeux.

Merci Laurent ! Vive la littérature de genre, et vive le format court.

« Monstrueuse Féérie » et « Angélus des Ogres » sont publiés chez Flatland éditeur.

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