[Interview] Estelle Faye et Fabien Legeron pour leur court-métrage « Tout ce qui Grouille Sous la Mer »

Le duo de créateurs nous livre les clés de leur film fou et fantastique.

Un univers beau et inquiétant pour un pitch intrigant : un jeune homme revient sur l’Île en quête de ses souvenirs. Il y rencontre une femme mystérieuse. Pourquoi se cache-t-elle ? Notre héros devra-t-il percer le secret de l’océan pour trouver la vérité ? Faudra-t-il affronter le vieux Père, terrible et brutal ?

Vous le savez : chez AOW, on soutient toute la culture, en particulier quand elle est fragile, forte, fantasque et fidèle à ses idées ! C’est pourquoi c’est une joie de vous parler du film d’Estelle & Fabien.

Estelle Faye

Diplômée de la FEMIS, Estelle Faye est entre autres auteure de nouvelles et de romans. Son univers a également été porté en BD. Mon fils adore Les Aventures d’Alduin et Léna ; perso, j’ai dévoré Un Eclat de Givre. Auteur d’une quinzaine de courts auto-produits, Fabien Legeron a monté sa structure Point Vu Point Pris et réalisé en son sein plusieurs clips pour Blair, Sérieyx, bra!n/suc#er et son propre projet électro Pixel Prurit.

Tout ce qui Grouille Sous la Mer est leur premier court-métrage en commun. Boulimiques de travail, les deux artistes se sont accordés sur ce film à l’univers si fort, désireux de fouiller dans les profondeurs mythiques. Porté par une interprétation intense des comédiens Grégory Corre, Julie Meunier et Bernard Pinet, le film bénéficie aussi d’un travail intense sur le design sonore.

Le film est diffusé en ligne par le festival FLICKFAIR jusqu’à fin novembre. Prêts à plonger dans les profondeurs ?

AOW : Quand avez-vous ressenti que cette histoire serait un film ? Des prolongements sous forme littéraire ont-ils été pensés ou prévus ?

Fabien Legeron : L’idée de base à toujours été un script de court-métrage lancé par Estelle. C’était un squelette de ce qui est à l’écran : il y avait la rencontre, la maison vide, la mer, l’idée que la jeune femme est plus qu’humaine et l’amnésie partielle du protagoniste.

Lorsqu’on a commencé à se dire qu’on allait chercher à produire le script et en être officiellement co-auteurs, l’ensemble des dynamiques entre persos et éléments mythologiques sont venus étoffer le matériau : une vision plus précise d’êtres protéiformes, le père et le fait qu’il ait eu commerce avec ces êtres, la mise en place de la cave et de la caverne qu’elle cache, et la variation explicite sur les mythes de Chronos dévorant ses enfants et de l’histoire de Mélusine. Il y a eu de multiples réécritures au fil des évènements de la vie mouvementée du projet (ça a duré 7 ans, sur trois boîtes de production successives…), et quand on s’est retrouvés à vraiment faire le film, on s’est rendu compte qu’on avait, narrativement, plutôt un tiers de long qu’un court à cause de tout ce qui s’était greffé… Beaucoup d’éléments de caractérisation ou de mythologie se retrouvent du coup évoqués via des éléments d’accessoires et de décor, comme le poisson cloué à la porte par exemple.

Tout ce qui Grouille Sous la Mer

À un moment donné, on a développé l’idée d’une déclinaison de l’univers sous forme d’une série, à la demande d’un prod, mais c’est tout ce qu’on a envisagé. Personnellement, je pense que la déclinaison naturelle serait plutôt un long-métrage qui permettrait de développer l’île, les créatures, leurs rapports avec le père, etc. . On a une idée assez précise de la mythologie en place.

Estelle Faye : Le tout premier synopsis a été écrit pour répondre à une demande d’un producteur, qui voulait un format court sur le thème des métamorphes, mais comme le dit Fabien ce n’était qu’un squelette d’histoire, en fait. Ensuite, cette histoire a pris son envol et son indépendance, au fil des discussions avec Fabien. Et heureusement. Si cet univers n’avait pas pris autant d’ampleur, ç’aurait été plus difficile de tenir au long des galères de production.

Par ailleurs, sur le rapport entre l’écrit et l’audiovisuel, pour l’instant j’écris surtout dans mes livres des histoires que je ne verrais pas forcément (ou pas facilement) en film, et inversement.

Quand je commence à penser à une histoire, je sais déjà quelle forme elle va prendre.

Mais j’aimerais bien aussi développer davantage les liens entre les différents médias dans l’avenir…

AOW : Chaque projet fantastique français semble se heurter à une complexité supplémentaire. J’en parlais ici avec le producteur du moyen-métrage Blood Machines. Avez-vous ressenti cela, lors d’une étape du processus de fabrication en particulier ?

FL : Faire un film c’est toujours plus ou moins un cambriolage, on commet une effraction sur au moins un élément contraire : ça peut être le temps, les financeurs, la censure, les emplois du temps, le climat, le matériel, la bonne vieille malchance, les producteurs ou simplement les lois de la physique…

On ne sait jamais à l’avance quel démon on devra affronter au juste, mais on y va quand même parce que ça vaut le coup.

Ceci dit, il y a bien une complexité supplémentaire à faire de l’imaginaire en France, mais c’est surtout le produit de vieux impensés et d’idées et valeurs forgées, depuis deux siècles, dans notre rapport aux cultures populaires et aux cultures élitaires… Pour résumer, on a depuis longtemps une méfiance pour l’imaginaire en France, notamment en termes de politiques culturelles publiques – ce qui se répercute sur l’ensemble d’une industrie sur le long terme, puisque du coup on souffre fatalement d’un manque de « formation » à la production d’imaginaire et de « genre » dans le cinéma français… Bref.

Photographies de tournage par Jacques Collin

Après, c’est clairement ce qui nous a posé le paradoxe de nos financements : on a à Paris un système public de financement du cinéma très centralisateur, et à l’époque plutôt méfiant envers l’imaginaire en général, mais du coup (peut-être un peu par esprit de contradiction girondin) les régions sont beaucoup plus bienveillantes envers des projets de Genre. Grâce à ça, on a pu obtenir deux fois de suite une subvention de la région Aquitaine (puis Nouvelle Aquitaine) pour Grouille, les deux fois où on est allés les voir.

Tout ce qui Grouille Sous la Mer

En revanche, ç’a été plus mouvementé au niveau des producteurs, parce que certains profitent justement d’un rapport offre/demande très asymétrique dans le Genre pour avoir des pratiques pas forcément éthiques, ce qui nous est arrivé avec le tout premier, sous la bannière de qui on a obtenu la subvention une première fois, et qu’on a dû quitter à quelques jours du premier coup de manivelle : on a du attendre ensuite trois ans pour récupérer nos droits, retrouver un producteur, et ré-obtenir la subvention (merci mille fois à la région). Cette prod-ci a tourné financièrement à la chasse au dahu (plutôt un souci de méthode pour le coup), ça a duré un peu trop longtemps : on allait perdre la subvention pour motif de délais, et on a du trouver une troisième structure afin de faire le film pour pas trop cher, en adaptant de notre côté, entre autres, notre politique de décors.

EF : Fabien a dit l’essentiel, je crois : le cinéma de genre, en France, c’est toujours j’ai l’impression un peu la même histoire : beaucoup d’incompréhensions, de difficultés, et heureusement de belles rencontres et des gens prêts à aider pour compenser et rendre malgré tout le film réalisable.

Tout ce qui Grouille Sous la Mer

AOW : Avec le recul, quels sont vos meilleurs souvenirs de l’expérience Tout ce qui grouille sous la mer ?

FL : Après une préprod et un tournage un poil mouvementés, les circonstances ont fait qu’on a dû finir le film de notre côté pour pouvoir le livrer dans les délais, mais finalement, personnellement, certains de mes meilleurs souvenirs de fabrication datent des reshoots et de la postprod, qu’on a assurés quasiment entièrement à deux : le décor du sous-sol avait été complètement loupé, les prises de vues inutilisables, et j’ai donc refabriqué l’ensemble de ce décor dans un box de garage souterrain tout au long d’un été, un peu tout seul, en bricolant les effets, les trompe-l’œil, les patines… ça a eu un aspect « atelier créatif au fond du jardin » agréable. Gérer la composition musicale, les enregistrements, le montage et le mixage, a été aussi une expérience franchement gratifiante. Et puis, bien entendu, le cast a été formidable et la rencontre à été vraiment enrichissante avec Bernard Pinet et Julie Meunier (on se connaissait déjà avec Gregory Corre), en plus de l’équipe. Dans mes souvenirs personnels, il y a aussi les lamproies vivantes qu’on a eues sur le plateau, qui sont des bêtes magnifiques.

EF : Au niveau des belles rencontres, je rajouterai aussi le maquilleur, Philippe Mériau, qui s’est révélé un véritable couteau suisse, capable aussi bien de créer un faux tatouage que de maquiller des prises électriques, tout en assurant au fil des prises la continuité du teint des acteurs… tout en prenant soin des comédiens qui tournaient dans des conditions parfois difficiles (froid, humidité, etc…)

Il y a eu également ce frère et cette soeur déjà âgés qui nous ont prêté gracieusement la maison de leur enfance, pour tourner des extérieurs…

Enfin, de mon côté, j’aime beaucoup pouvoir me servir des lieux et des lumières naturelles, tourner en extérieur, raconter des histoires avec des morceaux de vrai monde, et nous avons pu faire cela aussi avec Grouille

Tout ce qui Grouille Sous la Mer

AOW : Depuis sa sortie, le film Tout ce qui Grouille Sous la Mer a gagné plus d’une quinzaine de prix : félicitations ! Il fait actuellement le tour des festivals, notamment FLICKFAIR où chacun peut le visionner en ligne. Avez-vous d’autres pistes de diffusion pour la suite ? Imaginez-vous déjà de nouveaux films ?

FL : Alors d’abord, merci. On est très heureux que le film ait pu toucher des gens dans autant de pays différents.

On est sur des pistes pour de la VOD sur une ou deux plateformes, et il y a déjà eu d’autres VOD ponctuelles lors de certains festivals qui nous avaient programmés – en général on en parle sur le site du film quand il y a quelque chose. Le film est bien entendu en ligne mais pour le moment avec un code de visionnage tant qu’on n’a pas clarifié la distribution. On est sur le coup. D’ailleurs, on pourrait sortir le film aussi sur support physique, l’authoring DVD et BluRay est déjà prêt, c’est techniquement disponible en tous cas.

Quant aux projets, évidemment qu’il y en a quelques uns, mais ça c’est encore une autre odyssée qui prend du temps…

EF : D’accord avec tout sur Fabien, pour le coup. Le fantastique est un langage universel, et j’espère que bientôt nous trouverons le temps d’emmener Grouille encore plus loin.

Encore merci pour l’interview !

AOW : Avec plaisir. Merci à vous deux !

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