Le cinéma de Steven Soderbergh : réflexes, rencontres & idéaux

Nos amis de Playlist Society frappent encore un grand coup, avec un petit livre qui m’a donné envie de te parler de sexe et de cinéma.

Je règne sur le cinéma américain, je suis un boulimique de travail, j’ai à peine fini un film que j’en ai un autre sur le feu, mon patronyme est Steven S., je suis, je suis ? Spielberg, c’est non. Steven Seagal, non plus.

Oui, c’est bien moi, Steven Soderbergh ! Natif d’Atlanta mais vite délocalisé à Bâton-Rouge en Louisiane, le jeune Steven se fait la main sur les bancs de montage. Précoce, il l’est à plus d’un titre et nous y reviendrons, tout juste peut-on signaler qu’il a seulement 24 ans quand il reçoit sa première reconnaissance de l’industrie : une nomination aux Grammy Awards pour son documentaire rock sur le groupe Yes.

Il y a de grandes chances que vous ayez déjà vu un film de Steven : ne serait-ce que la trilogie des Ocean’s (11,12,13), Magic Mike, Erin Brockovich avec Julia Roberts ou encore la série The Knick. L’homme est prolifique, nous l’avons vu, et arrive toujours à capter au vol quelque chose de son époque et à le retranscrire en images, qu’il s’agisse de notre côté voyeur (The Girlfriend Experience), notre parano (Paranoïa, Piégée) ou l’emprise des géants pharmaceutiques (Effets secondaires et ce qui reste le film du moment : Contagion et sa pandémie mondiale).

cinéma de Steven Soderbergh

Sorti cette semaine, l’ouvrage de Pauline Guedj Steven Soderbergh, anatomie des fluides est un condensé de la logique du cinéaste. La connaissance intime du cinéma US par l’auteure (elle vit aux États-Unis) permet de confronter le regard de Soderbergh à une industrie parfois atone, qu’il arrive souvent à prendre de court. Également monteur de la plupart de ses films (sous le nom de Mary Ann Bernard) et directeur photo (avec le pseudo de Peter Andrews), la méthode Soderbergh pourrait sembler assez mécanique voire autiste si Steven n’avait cette capacité à savoir s’entourer des meilleurs. Et en particulier de ses amis comédiens George Clooney (6 films ensemble), Matt Damon (9) et Benicio del Toro qu’il mènera à un Oscar (Traffic) et à un prix d’interprétation cannois (Che).

L’idéal de Soderbergh serait donc cette vision à la fois démiurgique et démocratique du plateau de cinéma : un espace de pur intellect mais au service de la voix des autres (ça fait 20 ans qu’il n’écrit plus ses films). On s’en est rendu compte cette année avec la cérémonie des Oscars dont il était l’un des producteurs : élégante et feutrée pour cause de Covid, la grand-messe américaine n’avait plus rien du show grandiloquent qu’elle a pu être auparavant. Je maintiens que l’entrée en scène de l’actrice Regina King est un des meilleurs plans d’introduction jamais tourné.

Et cette cérémonie, Soderbergh la connaît bien puisqu’il en fut le héros il y a 20 ans quand il était nommé deux fois pour Meilleur Réalisateur (pour Traffic et Erin Brockovich). Persuadé de saboter ses propres voix avec cette double nomination, et face au duo Ang Lee (Tigre et Dragon) / Ridley Scott (Gladiator), le cinéaste est convaincu de n’avoir aucune chance. À chaque coupure pub, et Dieu sait qu’il y en a beaucoup, il file au bar de l’Académie et s’enfile des vodkas-cranberries. Du coup, stupeur et tremblements quand Tom Cruise ouvre l’enveloppe.

De peur de mélanger les noms de ses proches et collaborateurs, Soderbergh ne remercie personne en particulier et tout le monde en général : tous ceux qui consacrent un moment de leur journée à créer, qu’il s’agisse d’un roman, une pièce de théâtre, une peinture, un morceau de musique. C’est le plus beau discours de remerciements de l’Histoire.

Elle est peut-être là la fantaisie Soderbergh : cette capacité à embrasser large et ne jamais s’arrêter. Comme ces listes annuelles qu’il publie sur son blog et où il recense tous les livres/séries/films qu’il a lu/vu durant les 365 jours précédents. Et comme ce coup de bluff, coup de génie, le meilleur scénario qu’il a jamais écrit : Sexe, Mensonges & Vidéo.

4 personnages, 5 décors. John couche avec Cynthia qui est la sœur de sa femme Ann qui a elle-même le béguin pour un ami de son mari, le ténébreux Graham. Ça pourrait être une sitcom, c’est une leçon de mise en scène. Ç’aurait pu être graveleux, c’est toujours juste, pudique et émouvant. La Palme d’Or 1989 est la preuve qu’il ne faut pas grand chose pour faire un grand film. Sexe… est disponible sur iTunes et restera probablement le meilleur film de Steven Soderbergh, en tout cas à jamais son premier.

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