[Blu-Ray/DVD] « Annette » : la force de l’art enchanté

Parfois ardu mais finalement emballant, le film de Leos Carax mérite une séance de rattrapage sur nos petits écrans.

En vérité, Annette est le fruit de l’imagination de trois artistes vénérés. Tout d’abord, les frères californiens Ron et Russell Mael du duo pop/rock « Sparks ». Puis le cinéaste français Carax, dont c’est le sixième long-métrage.

Carax a derrière lui près de 40 ans de carrière, depuis Boy Meets Girl (1984) en passant par Holy Motors en 2012. Quant aux Sparks, ça fait un demi-siècle qu’ils éclaboussent nos oreilles avec leur pop vive et réfléchie aux liens déjà forts avec le 7e art, comme en témoigne leur « comédie musicale » radio The Seduction of Ingmar Bergman (2009).

C’est à Cannes en 2012 que les deux musiciens ont présenté leur nouveau projet musical « narratif  » à Carax. Pour la première fois, le cinéaste accepte de s’embarquer sur un projet dont il n’est pas l’initiateur, mais pas de panique : sa patte est partout.

Annette suit le parcours de deux amoureux : le comédien de stand-up Henry McHenry (Adam Driver) et la chanteuse d’opéra Ann Dufresnoux (Marion Cotillard). Il est aussi obtus et impétueux qu’elle est douce et ravissante. Cette alliance « contre-intuitive » va donner naissance à une fille, la petite « Annette » du titre dont il convient de ne rien révéler. (Saluons la bande-annonce qui là-dessus fait un choix judicieux)

La séquence d’introduction est absolument géniale et m’a donné les poils, comme on dit dans The Voice. C’est qu’à ce moment-là, tout est encore possible ; on embarque pour un voyage fou et, mine de rien, ça faisait longtemps qu’on attendait ça, retourner au cinéma pour voir un spectacle total. Très vite, les qualités plastiques du film sautent aux yeux. La photographie de Caroline Champetier est incroyable : elle doit composer avec des atmosphères très travaillées et, dans le même temps, suivre l’intensité du moment dans la scène, car les comédiens interprètent les chansons en direct sur le plateau.

Aidé par le montage de Nelly Quettier, Leos Carax fait tourbillonner le récit tout au long des 2h20 quasi-intégralement chantées du long-métrage. Parfois trop long, quand les mélodies et les talents vocaux ne sont pas à la hauteur folle promise au début. Il y a un double tranchant dans ce « parlé-chanté » à la fois écorché et maniéré, et si vous êtes allergique, disons, aux films de Jacques Demy, vous allez certainement ronger votre frein.

Néanmoins, le gros avantage d’Annette est de ne pas s’endormir sur ses lauriers esthétiques. Après l’avoir vu, je me suis surpris à repenser à ses thèmes. Les questionnements du film ont les deux pieds dans la modernité : faut-il être un gros connard pour avoir du succès ? Les femmes doivent-elles virginales ou sur le point de mourir pour nous émouvoir ? Le public ne se moque-t-il pas un peu de ses idoles ?

Si Holy Motors mettait déjà en scène la figure de l’artiste maudit, c’était sous la forme d’un film « à sketches » avec son héros décadent et sa série de travestissements. Ici, cette revisite est beaucoup plus grand public avec ses clins d’œil à la presse people. Adam Driver apporte une intensité épatante (mais n’est-ce pas le cas dans tous ses projets ?) et on le remercie d’avoir utilisé ses cachets de Star Wars pour co-produire ce film. Marion Cotillard est assez juste dans un rôle franchement casse-gueule. Et celui qui m’a bluffé, c’est Simon Helberg (Howard de The Big Bang Theory) : l’acteur s’est investi au point d’obtenir la nationalité française, permettant ainsi à la production de décrocher des fonds réservés aux films avec un casting européen. Bingo : dans son rôle de chef d’orchestre, il a droit à la scène de l’année.

Parfois « trop » mais jamais boursouflé, Annette est un festin pour les yeux et les oreilles, un drame musical au cœur noir. Se plaindre de sa surenchère, c’est comme critiquer Mamie qui vous ressert de l’île flottante au dessert. Le film est reparti du Festival de Cannes avec le prix de la mise en scène et celui de la meilleure bande originale, ce qui est la chose la plus logique de toute cette année 2021.

Annette est disponible en DVD & Blu-Ray depuis le 17 novembre.

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