Rencontre avec Kintanojara, le rock indie des bois de Bolivie

Je t’emmène en Amérique du Sud pour parler musique, mais aussi théâtre et cinéma. Le nom de notre groupe du jour se prononce comme leur musique s’écoute : calmement, mais intensément. C’est aussi simple à dire que « Smashing Pumpkins » !

Le trio Kintanojara mélange des accents rock & pop avec une touche d’électro et d’authentiques sons boliviens. Siguiendo un río, leur premier EP, t’offre 5 titres pour respirer et t’évader. Assez psychédélique et rythmé, le morceau Sideral t’invite dans une réalité fragmentée avec son clip en images fixes.

Plus langoureux, Me voy pal bosque (Je pars dans les bois) te donnera envie de te lover avec l’être aimé sur de la mousse fraîche au pied d’un arbre.

Et puis il y a ce nom mystérieux, rempli de sons et de voyages. « Kintanojara », comme une version hispanisée de « Quentin O’Hara », un héros fantasmé d’aventures fantastiques. Une manière aussi de reprendre en main un imaginaire. Bref, il me fallait en savoir plus.

Skype nous emmène vers cette ville au nom si beau : La Paz (la Paix), la capitale la plus haute du monde à près de 4000 mètres d’altitude, à la rencontre de l’auteur/interprète Cristian Mercado (à gauche sur la photo).

Kintanojara

Kintanojara (Cristian) : Merci AOW car je te jure qu’ouvrir des portes et réussir à atteindre les gens, c’est très difficile depuis ici, la Bolivie. Et encore plus pour moi qui ne suis pas très « cyber ». Je vis hors de la ville et du coup je suis assez isolé. [Il tourne son écran et me montre par sa fenêtre un décor majestueux de montagnes] C’est la pandémie qui m’a amené sur les réseaux. On va dire qu’elle a eu ses côtés positifs [rires]

AOW : Je t’en prie, on est ravi de vous avoir. Kintanojara a commencé avant la pandémie ?

K : C’est ça. Après des années avec mon précédent groupe, je cherchais des musiciens plus jeunes et portés sur plusieurs instruments à la fois. Et puis boum, le virus, la « fin du monde » ! Il a fallu passer sur un format vraiment réduit, même si moi j’aime bien le groupe, la patota (le « gang »). En Bolivie c’était la folie, on a été confinés longtemps, je dirais même « enfermés » avec l’armée qui surveille. Tous ces mois seul à la maison, ça me déprimait. Il fallait faire quelque chose, pour nous, pour la caméra, pour la montagne, en espérant que ça arrive jusqu’à quelqu’un…

AOW : Réussir à « toucher » quelqu’un malgré la distanciation sociale ! D’ailleurs, quel est votre parcours musical ?

K : Personnellement, je suis un musicien totalement « empirique ». Quand j’étais petit, il n’y avait pas d’instruments à la maison car on avait ces préjugés sur les musiciens : des bohémiens, toujours bourrés. [rires] On écoutait quand même des tangos, boléros… J’ai fait du chant à l’église, mais on m’a viré car ma voix n’allait pas.

Quand tu es de classe moyenne en Bolivie, il y a une certaine inertie sociale. Tu dois aller à l’université et faire les carrières typiques : docteur, avocat, ingénieur, architecte… Il n’y a pas beaucoup d’autres options. Je suis sorti perdu de la fac et, par chance, il y avait un atelier de théâtre où m’a embarqué une amie. Je vais te dire, cet atelier c’était la première fois de ma vie que j’allais au théâtre. C’est là que j’ai connu la troupe « El Teatro de los Andes » et j’étais fasciné. Une épiphanie ! Ils jouaient de la musique incroyable pendant leurs pièces.

Je les ai rejoint et on a fait des tournées de plusieurs mois dans toute l’Amérique du Sud. Je n’osais pas encore chanter, j’avais honte de ce qu’on m’avait dit plus jeune. Mais cette période m’a encouragé à travailler ma voix.

Je me sens proche d’un Bob Dylan, Lou Reed, Leonard Cohen… ces chanteurs qui parlent presque.

C’était le milieu des années 90 et, sans Internet ni YouTube, on a dû expérimenter. Puis j’ai quitté la troupe pour devenir assistant d’espagnol en France, à Saint-Nazaire. C’était une année vraiment super avec plein de concerts : Les Têtes Raides, Les Négresses Vertes, M, Arthur H ! J’ai eu la chance de participer à un atelier de musique électro-acoustique. On nous demandait de jouer avec les sons de Saint-Nazaire, qui est une ville portuaire. J’ai bien accroché et du coup j’ai enregistré mes premières compositions en France.

AOW : J’avais un pote à Saint-Nazaire. Si ça se trouve, on s’est croisé.

K : Franchement, je serais bien resté en France si on ne m’avait pas proposé alors de rejoindre une autre compagnie de théâtre qui préparait un gros projet au Mexique. Je suis arrivé avec mes chansons, on a gravé quelques CDs pour les amis. Mes copains musiciens plus chevronnés m’ont alors proposé de monter un groupe : ça a donné Reverso.

AOW : Avec Reverso puis Kintanojara, quelle est ta motivation musicale ?

K : On veut trouver un son très « visuel », un son d’ici ! Le folklore de Bolivie est incroyable, mais dans les années 80, il a voulu ressembler à la chanson romantique, la ballade latina sentimentale … ça me tue ! [rires] On a perdu nos origines autochtones, « primitives » dans le bon sens du terme. Nous voulons retrouver le son authentique des années 70 comme Wara ou Gerardo Yañez. Et dans le même temps, s’éloigner un peu des clichés des instruments folk : la quena, la zampoña, le charango… Bref, trouver cette authenticité à partir d’un format plus blues band.

Ces contraintes nous limitent et, en même temps, nous libèrent. C’est comme trouver l’harmonie par des chemins de traverse.

Reverso

AOW : Comment s’est terminée l’aventure Reverso ?

K : On a tenu plus de 10 ans et fait 5 disques ensemble, dont un en live. Travailler avec les musiciens, ça revient à diriger un acteur, créer une structure dramatique. Avec les comédiens, et au théâtre en particulier, ce qui fonctionne avec l’un ne fonctionne pas avec l’autre, ce qui se passe mal le matin peut mieux se dérouler l’après-midi, etc. Ce n’est pas toujours facile de partager, c’est un peu comme un mariage. Beaucoup de groupes doivent apprendre à survivre à ça. Et puis on avait une grande amie, María Teresa Dal Pero, qui a beaucoup œuvré pour le théâtre et la musique en Bolivie. C’était comme notre mentore et, quand elle est décédée d’un cancer récemment, on a ressenti comme un « bam », fin de Reverso. Passé le choc, je me suis remis à écrire de plus en plus de chansons.

AOW : Tu écris toutes les chansons seul ?

K : Oui, je compose d’abord la musique, puis j’ajoute quelques mots. Tout ça vient s’ajouter aux phrases que j’ai pu enregistrer avant. C’est sans prétention, comme un besoin de respirer.

AOW : Le titre de votre album Siguiendo un río signifie « En suivant un fleuve ». On ressent un côté « retour à la nature ».

K : C’est parti de là. Et en plus du contexte sanitaire, je sortais d’une période où je venais de divorcer. Avec ce nouveau groupe, on avait envie de partir loin, un peu genre « allez vous faire foutre ». [rires]

AOW : Tu parlais d’un son très « visuel ». L’album joue pour moi comme une série de 5 courts-métrages.

K : Avec un ami vidéaste, on a tourné deux clips en mode « guérilla ». Pour celui de Sideral, mon pote s’est mis là, clic clic clic, il a pris une série de photos pour voir ce qui surgit. Et quand Kintanojara s’est réuni fin 2020, on s’est dit qu’on allait filmer notre concert, même sans public. C’était presque un documentaire sur l’art en temps de pandémie.

Je ne sais pas si vous vous en êtes rendus compte en France, mais on sort de temps très durs en Bolivie. Après le coup d’État et les tueries causées par l’armée, il y a eu des manifestations et de nouvelles élections. Mais c’est comme si on était revenu au parti politique antérieur. La culture n’est pas dans leur agenda, ça ne les intéresse pas. Du coup, il faut suer sang et eau pour la faire vivre. En même temps, cette crise politique et sanitaire t’amène à te questionner. De nouvelles propositions surviennent. On lutte pour ne pas mourir enfermés, effondrés sous toutes ces questions.

AOW : Pour toi, cette résistance passe par tous les arts : musique, théâtre, cinéma…

K : Oui, je continue de mettre en scène au théâtre et de jouer dans des films. Avec Reverso, on avait composé la bande originale d’un long-métrage : Hospital Obrero. Et là je vais m’y remettre pour le court-métrage expérimental d’une réalisatrice bolivienne basée en Colombie. Le théâtre est un art très mental tandis que le cinéma peut t’attraper d’un coup, avec une seule image. La musique c’est encore plus viscéral, on réfléchit moins durant certaines étapes créatives. Quoi qu’il arrive, je suivrai mon intuition.

Siguiendo un río est aussi disponible sur Deezer et Spotify.

Traduction des paroles « Me Voy Pal Bosque » : Je pars dans les bois / La pluie m’accompagne sur mon chemin / Je n’ai rien ni personne, je suis vide / Je pars chercher un nouveau, un ancien chant / (refrain) Peut-être que je ne suis pas celui que tu imaginais, peut-être que je ne suis pas celui que j’imaginais / Je pars dans les bois / Dans le monde où habitent mes dragons / Je pars enterrer mon ancien nom / Là où la nuit est noire et silencieuse

« Vuelve » (« Reviens ») : Merci de venir ici / Vers moi / Je crois que ce voyage ne dure qu’un temps, pas plus / Cependant, je ne peux éviter de ressentir la douleur / L’amour / La douleur / L’amour / Reviens / Reviens

« Ya No Soy » (« Je ne suis plus ») : Je ne suis plus celui que j’étais / Je me suis échappé de cette stupide lumière / Je me suis lassé de suivre / La chanson du gagnant / Je peux entendre ta voix / Qui rallume mon moteur / Je me suis perdu / Je me suis retrouvé / J’ai profité / Je me suis perdu de nouveau / J’ai compris la raison de grandir puis je l’ai oubliée

« Voy Cayendo » (« Je tombe ») : Tant de fois je t’ai menti / Tant de fois j’ai fait naufrage / Il n’y a plus rien à dire / Simplement, je suis là / (refrain) Je suis en train de tomber lentement, je veux être avec toi, avec toi / Et très tard j’ai compris / Que je ne devais pas t’aimer / Car maintenant je pense à toi / Plus qu’hier / Beaucoup plus

« Sideral » : Voyager lentement / Abandonner la peau et naviguer sans peur jusqu’à la fin / Distances / Je veux seulement m’éloigner de tout / Regarder vers l’intérieur / Laisser ces rituels et transformer l’ennui en un lieu brillant / Tes mots mutants me poussent à continuer / Faire glisser doucement un poignard de métal / Mes pupilles se dilatent / Jusqu’à me faire éclater / Comme un flash / Mes sens s’étirent / Tout commence à vibrer / Ta silhouette resplendit / Dans le vide sidéral

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