Albane Linÿer : « En guise de pavés, je balance des livres et ça fait mal aussi. »

Il est des personnes enthousiasmantes qui vous poussent à la réflexion, sur votre manière d’être ou de penser, et qui parsèment en vous des idées qui vous rendent meilleur. Albane Linÿer en est une criante. Je l’ai découverte à travers ses écrits, puis j’ai fouillé internet de fond en comble pour en savoir plus, avant d’avoir la chance de m’entretenir avec elle au téléphone. Ainsi, c’est sa plume incroyablement talentueuse qui m’a conduit à découvrir la militante bienveillante mais déterminée qu’elle est. Ce fut pour moi une rencontre importante. Extraits.

Albane Linÿer

Albane Linÿer n’a pas encore 28 ans, mais elle a déjà accompli de grandes choses. Tout d’abord, elle est scénariste d’animation pour la jeunesse.

« Je suis scénariste de séries diffusées sur des chaînes pour enfants. C’est entre guillemets mon vrai métier, même si mon envie de départ était d’écrire des romans. Mais c’est vraiment cool d’écrire de manière différente pour toucher un autre public. »

Je vous avais déjà parlé de son premier livre « J’ai des idées pour détruire ton ego ». Elle vient de publier la suite, intitulée « Et après les gens meurent » aux éditions du NiL. On y retrouve ses 2 héroïnes, Léonie et Eulalie, 10 ans plus tard, dans leurs pérégrinations et leurs découvertes d’elles-mêmes. Et la façon originale qu’Albane a d’aborder ses personnages, comme s’ils étaient des rencontres, m’a beaucoup marqué.

« Je connaissais très bien Léonie après le premier tome alors j’avais envie de découvrir Eulalie dans le second. Léonie, je maitrisais sa façon de parler, d’agir, de réagir, c’est une personnalité très forte. Je savais où je pouvais l’emmener. Eulalie, c’était vraiment une découverte. Je me sens plus proche de Léonie parce que j’ai passé plus de temps avec elle. Mais rencontrer Eulalie était hyper enrichissant et cela m’a permis aussi de me connaitre moi-même à travers ce qu’elle pouvait vivre. Finalement, ce n’est pas tant une question de proximité avec elles, mais une question de compréhension. »

« Quand les parents ne sont pas là, c’est le moment où l’on expérimente des choses, où l’on se construit aussi. »

Dans « J’ai des idées pour détruire ton ego », Léonie partait à la recherche de son amour de jeunesse, avec pour fardeau Eulalie, enfant adoptée ou enlevée selon les points de vue (lisez le livre pour comprendre !). Dans « Et après les gens meurent », Eulalie, devenue jeune adulte, s’escrime à retrouver son père. Cette quête perpétuelle du passé n’est évidemment qu’une sorte d’introspection, d’apprentissage de soi. Et Albane Linÿer en parle comme personne.

« Quand j’ai écrit les premières lignes de « J’ai des idées pour détruire ton ego », j’avais 20 ans donc je ne savais pas grand-chose. J’avais en tête cette première scène de masturbation de Léonie en plein taf de babysitting. Pour moi, le process est toujours le même. Quand j’ai du temps libre, je me raconte une histoire dans ma tête et lorsqu’un passage me plait, je le couche sur papier. Il faut que je prenne du plaisir à écrire une histoire, sinon je ne vois pas comment quelqu’un pourrait en prendre en la lisant. J’avance à l’aveugle, pas à pas. Jusqu’à arriver à la fin du roman que je ne connais donc jamais à l’avance. Comme je me base beaucoup sur mes personnages, je ne peux pas savoir comment ils vont réagir avant de les voir évoluer sous ma plume. »

Il est évident que c’est la liberté qui guide l’écriture d’Albane Linÿer. Ses héroïnes, comme elle, sont toujours dans l’action. Elle puise son inspiration dans sa vie bien évidemment, mais pas que. Ses lectures passées et présentes sont très significatives. Notamment l’œuvre de Virginie Despentes, à qui on la compare beaucoup.

« Il y a des choses beaucoup plus pesantes que d’être comparée à Virginie Despentes, que par ailleurs j’adore. J’espère juste que si elle en a eu vent, cela ne la dérange pas trop car il y a une insistance peu dissimulée de me rapprocher d’elle, que cela vienne de mon éditeur ou des critiques. Dans ma jeunesse, Françoise Sagan fut également pour moi une grosse révélation, j’ai été très longtemps habitée par les choses que j’ai lues d’elle. Mais je ne vais pas prétendre que je n’ai lu que des femmes, ce serait faux. J’étais fan du style de Stendhal et de Stefan Zweig par exemple. »

« Je me demande toujours comment on peut galérer à lire des femmes alors qu’elles écrivent tellement ! »

Comme si le temps était extensible, Albane Linÿer ne se contente pas d’écrire des scenarios et des romans. Elle est aussi la fondatrice de la Bibliothèqueer. L’objectif de cette bibliothèque est de pousser en avant la littérature LGBTQIA+, notamment lors de manifestations queer ou féministes, en mettant à disposition gratuitement des bouquins trop souvent passés sous silence.

« J’ai créé ça en 2018 et en ce moment c’est un peu la folie, j’ai 2 évènements en mars, 2 en avril. Des nouveaux lieux qui développent leur propre étagère. Au début je pensais faire une bibliothèque en itinérance tout en animant en parallèle un compte Instagram ou je donnais quelques conseils de lecture. Puis, la Féministhèque m’a proposé en 2019 de faire étagère commune. Cela a été le premier lieu où il était possible d’emprunter gratuitement les livres. Aujourd’hui, il y a 3 autres endroits avec de grosses étagères où l’on peut lire les bouquins de la Bibliothèqueer, plein d’évènements en itinérance également, principalement en région parisienne mais très bientôt à Angers, et puis j’espère partout en France très vite. C’est un petit projet qui a finalement pris de l’ampleur et j’en suis très contente. »

C’est vrai qu’Albane a de quoi être fière de cette réussite. Faire changer les mentalités pour une cause telle que celle du mouvement LGBTQIA+ n’est malheureusement pas une mince affaire. Et même si sa flagrante modestie la pousse à réfuter l’idée d’être un véritable porte-drapeau, elle assume parfaitement de participer au combat.

« C’est clairement une démarche militante. Tout ce qui relève du fait de vouloir aider à étendre la visibilité LGBTQIA+ est du militantisme. Quand tu veux sortir un petit peu de la norme, ça dérange encore beaucoup de gens en 2022, bizarrement. Comme il n’y a pas beaucoup d’évolution, on ne peut pas parler d’autre chose que de lutte en fait. Mais au lieu de balancer des pavés, je balance des livres et ça fait mal aussi. »

Pour conclure cet entretien, et comme Another Whisky For Mister Bukowski est avant tout un blog musical, je n’ai pas résisté à lui demander ce qu’elle avait dans sa playlist.

« Mon métier, comme tu le sais, est une tâche solitaire. Il est 18h30 et tu es la première personne à qui je parle aujourd’hui alors oui, la musique est très présente dans ma vie. Mes goûts sont variés mais si je dois citer deux artistes, ce serait Sia et Marine Scott. En règle générale, j’écoute la musique qui me fait vibrer et j’aime bien la musique triste. »

Je vous invite à suivre l’actualité de la Bibliothèqueer ici : https://www.instagram.com/bibliothequeer/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *