Conte moi en zic #1

Quand le patron du blog m’a proposé d’écrire, j’ai eu envie de suite de créer une fiction à base de musique. S’imprégner d’une chanson, se reposer sur son ressenti, et y adjoindre des mots comme un réalisateur collerait des images à une BO. Seulement l’exercice semblait presque trop simple… Pourquoi ne pas envisager les choses en plus grand et en faire un véritable conte musical, des textes qui se suivent, forment une histoire cohérente, avec à chaque fois une chanson comme inspiration pour l’élément narratif ?C’est là que vous intervenez, lecteurs du blog. A chaque épisode, vous pourrez proposer dans les commentaires le morceau qui inspirera le suivant. Et donc influer sur l’histoire. Sans vous, pas de suite… Évidemment pour que le propos reste cohérent, il faut une certaine filiation entre les morceaux. Lisez, soyez inspirés, proposez!

© @Yelling_

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Les pieds nus dans le ruisseau, godillots envoyés valser au loin. De bonnes chaussures de marches, solides. Moches mais … Faudra que j’en rachète. L’eau est glaciale, elle en brûlerait presque. Ça devrait limiter l’hémorragie. Je suppose. J’en sais rien. Finalement, ce serait presque une belle fin au milieu de tout ce sordide, crever comme un con la gueule dans une eau glacée, au milieu d’arbres noirs. L’air est lourd. Fin d’été. Ce mélange poisseux entre les désirs qu’exsudent  les corps dénudés croisés un peu partout, les fleurs empuantissant l’air de leurs dernières senteurs, et le graillon des barbecues.

Tout semble hurler: laissez moi encore un peu vivre, encore jouir à l’arrière de la bagnole. Sueurs acides et sperme. Je suis sûr que pour certaines ça coule encore entre leurs cuisses. Serments d’amour dégueulasses. Et puis les gens, la rue. Des arbres maigres le long de façades mornes. Des trottoirs à moitié défoncés.  Des gamins plein de morve sur des vélos branlants. Et les ados. Les pires. Des petites furies, toutes ces gosses tétons à peine formés qui se jettent sur vous, chemisier largement déboutonné, chaloupant comme les dernières des pouffes r’n’b. J’ai toujours eu horreur de ces insignifiances, heureusement. Quoique j’imagine parfois à quel point un poing s’enfonçant dans la chair tendre… La marque des doigts sur leurs ventres, le petit craquement des côtes si fines qu’elles se briseraient comme celles d’un poulet… Seraient ils si coupants ces os de petites pouffes mal nourries?

Quoi qu’il en soit, je préfère éviter la  « ville”. Même si ce petit bled de carte postale n’est rien qu’un autre trou puant oublié des guides routiers, tout le monde ici parle de “la ville” dès qu’on arrive à la concentration comprenant le snack, l’épicier-vendeur de journaux-dealer non officiel, et deux trois magasins de biboleteries plus ou moins de mauvais goût.

Mon pied n’est qu’une plaie. Le trou creusé par la balle qui je pensais serait net, est en fait une sorte d’éclatement anarchique de peau… Comme si on l’avait tordue, à dessein. J’ai du tirer de trop près.

Je ne sais pas ce qui m’a pris. Je crois que c’est quand j’en ai eu fini avec elle. Que je me suis senti tellement vide. Désincarné. Je n’ai pas ressenti cette espèce de joie intense, ce truc un peu fou qui faisait éclater mes cellules, me faisait planer. Je n’ai pas pris mon pied. C’est le cas de le dire. Elle m’a volé mon orgasme. Connasse. Elle m’aura eue jusqu’au bout. Je savais bien que quelque chose clocherait.

Si je n’en avais pas vu d’autres, je m’évanouirai bien là. J’arrive à me détacher de ces chairs sanguinolentes, de cette douleur là. Heureusement. Ce n’est pas moi. Moi est mort il y a longtemps. Quelque part, des centaines de kilomètres plus au sud. New Hampshire. Je suis mort dans le New Hampshire, il y a vingt sept ans.

Finalement ça ne fait pas si mal de mourir. Administrativement je veux dire. Je n’ai pas eu grand mal à quitter des amis que je n’avais pas. Mon boulot ne m’intéressait plus depuis longtemps. Être comptable dans une de ces métropoles grouillantes, à faire les comptes d’abrutis blanchisseurs ou de familles munies de break et de ribambelles de mômes. A quoi bon? Et puis le Maine, c’est parfait. Des bois. Beaucoup. La possibilité d’avoir une paix royale. D’installer mon coin tranquille. Un vieux tas de planches abandonnées, des clous, un peu de sueur, et le voilà mon home sweet home.

Le fric, c’est pas un problème. Y a toujours une clôture à réparer, ou un enclos à peindre. Des petites réparations en forme d’argent de poche qui paient les clopes et le rhum. Quand je veux un extra, y a toujours moyen. Un mec de ma stature trouve toujours de quoi s’occuper.  Les hivers sont durs. Froids. Longs. Mais je suis solide. Pas encore assez vieux. Je sais les trucs pour garder au chaud. Pas loin de ce petit ruisseau qui quelques kilomètres plus loin  se jette dans le Penobscot. Avant, j’aurai eu à me cacher davantage sans doute. Beaucoup de trafic, les industries du bois, la papeterie… Déclin, comme partout. Maintenant il n’y a plus que quelques plaisanciers et encore ils ne sortent qu’aux beaux jours. Autant dire que c’est peinard.

L’eau a quasi anesthésié mon pied. Je n’arrive plus à bouger mon petit orteil. Peut etre ai je touché un nerf, un tendon? Je n’ai pas de connaissances anatomiques assez précises pour le dire. Enfin, j’en ai vu des chairs écartelées, des nerfs à vifs, des tendons glaireux, des veines pisseuses comme si elles contenaient du sang pour plusieurs personnes. Des peaux calcinées d’impact de balles, quand le canon est presque au corps au corps.

Je me suis fait mal, exprès, comme ça… Sans réfléchir. Je crois que cette absence de plaisir après elle, ça m’a… Je me suis senti, comment dire? Dépossédé. Ça ne m’était plus arrivé depuis si longtemps. J’ai tellement fait pour que ça n’arrive plus. Il semblerait qu’à la fin, on y revient. Je ressens la douleur, mais de tellement loin. Je crois que ce n’est même plus mon corps. Une sorte de règne établi malgré moi, Je me rappelle de tout. Trop bien. Ni la douleur, ni le plaisir n’effacent l’empire de l’immonde.

Une sirène s’essouffle au loin. Rentrer. Je claudique bien un peu, mais dans l’ensemble, ça va. Plus que quelques mètres quand soudain…*

6 commentaires

  • mafaldah71
    mafaldah71

    Il se dit que la gare n’est pas loin.
    Il doit partir d’ici.
    La nuit va tomber.
    La nuit il ment 😉

    Du bashung en inspiration ?

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    C’est vraiment une super idée, j’attends vivement la suite!

    Pour contribuer j’ai deux chansons à proposer, selon l’orientation du récit, plutôt calme et sur le thème de la douleur morale Bridge of sighs de Robin Trower (mais je préfères la version d’Opeth)

    Autrement vers quelque chose de plus rythmé je pense à All along the watchtower de Bob Dylan (je trouve juste que ça s’enchaine pas mal, en restant dans des sonorités acoustiques)

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  • cedric
    cedric

    Vite, une suite ! Je propose un titre d’at the drive in : « invalid litter dpt »

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  • So_boogiest
    So_boogiest

    pour ma part, je propose Hank Williams avec Move It On Over. (bravo pour l’idée, j’ai hâte de lire la suite!!)

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  • ninasheffieldtw
    ninasheffieldtw

    C’est brillant comme concept ça !

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  • dudu7822
    dudu7822

    Pour ma part, je te proposerai Leonard Cohen : Everybody knows : http://youtu.be/q63plx5NClI

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