Conte moi en zic #3

Quand le patron du blog m’a proposé d’écrire, j’ai eu envie de suite de créer une fiction à base de musique. S’imprégner d’une chanson, se reposer sur son ressenti, et y adjoindre des mots comme un réalisateur collerait des images à une BO. Seulement l’exercice semblait presque trop simple… Pourquoi ne pas envisager les choses en plus grand et en faire un véritable conte musical, des textes qui se suivent, forment une histoire cohérente, avec à chaque fois une chanson comme inspiration pour l’élément narratif ?C’est là que vous intervenez, lecteurs du blog. A chaque épisode, vous pourrez proposer dans les commentaires le morceau qui inspirera le suivant. Et donc influer sur l’histoire. Sans vous, pas de suite… Évidemment pour que le propos reste cohérent, il faut une certaine filiation entre les morceaux. Lisez, soyez inspirés, proposez!

Les épisodes précédents : http://bit.ly/gciPeR  et http://bit.ly/hDozn2

© @Yelling_

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Passer la porte, enfin. J’ai cru que je n’y arriverai jamais. Un effort, trainer ma carcasse… Un peu comme s’il s’agissait du corps d’un autre… D’une autre. Quoique leurs corps n’ont jamais pesé si lourd entre mes mains, lorsque endormies je les portais sur le lit. Leurs hanches même lourdes, leurs têtes aux chevelures floues, mon bras passé sous leurs cous ployés. Elles étaient comme des poupées. Des poupées grandeur nature, vibrantes silencieuses, endormies. Pleines de promesses. J’arrangeais leurs cheveux sur leurs épaules, je replaçais leurs robe, relevais parfois une bretelle de soutien gorge en cavale. Puis, j’installais mon matériel. D’abord, l’exposition. Quelques spots, de ci de là. De quoi donner une lumière naturelle. Comme au réveil. Un matin doux, ces espèces de lumière jaune des matins d’été, quand les ombres jouent à demi sur les corps, et que les morceaux de peaux embrassés prennent des teintes d’ambre. Un matin vicieux, faisant de leurs dermes des îles sombres et claires. Des archipels qu’il m’aurait plu de dénuder, d’explorer…

Mais patience. Je réglais, minutieux. Quand l’angle me semblait bon, quand je sentais qu’alors mes matins d’éden naissaient, je m’occupais du reste. Disposer des fleurs. J’ai toujours préféré les pivoines, parce que ça me faisait penser à Elle, mais il est difficile d’en trouver à toutes les époques de l’année. Alors j’alternais. Lilas, freesias, lys… et des tas d’autres fleurs chics ou non. Je m’en fiche du prix, tant qu’elles sentent. Une fleur sans parfum, quelle idiotie. Pourtant, c’est bien à ça qu’on arrive. A croiser pour obtenir des floraisons plus longues, des couleurs plus inédites, même les roses ne sentent plus. Je me sens floué par une fleur qui ne sent rien. Un mensonge. J’ai horreur du mensonge.

De la musique. J’ai réussi à dégotter une vieille platine. Parfaite pour mes disques de Jazz. Coltrane… Le saxo qui vrille, tressaute, fend puis caresse. Musique ressentie du plus profond de mes reins à mes hémisphères, en passant par mon ventre. Coltrane et moi… Forcément, dans ces moments là, il fallait que ce soit lui. Personne d’autre.

Et puis, quand tout était presque parfait, je me servais un verre. J’ai toujours préféré le rhum. Chez moi, on s’élevait à grands coups de bourbon et de fumée brune de cigarettes roulées à la main. Je n’ai jamais aimé ça. Un alcool mielleux au premier abord, tout emberlificoté de caramel, tout enflé de maïs, puis brûlant la gueule et la gorge comme la dernière des salopes. Un alcool vénérien. Une pute qui se déguise en jolie fille sage pour mieux vous refiler sa blenno.

Je préfère de loin le rhum. On sait où on va. Qu’on parle des brûlants d’Haiti, des solaires de Madagascar, des éthérés des Barbades, des masculins guatémaltèques, des classiques agricoles. Marie Galante, Guadeloupe, Martinique, j’en ai bravé des mers à tanguer sur les ors voilés des liquides juste rafraichis. J’ai senti des vents salés sur ma peau à humer la canne humiliée, rendue, jouissive. Je me servais un verre de rhum. Indépendamment de la fille: Barbancourt, Mumbacho, Neisson, qu’importait tant que l’alcool adoré remplissait ma bouche de ses amers de feu. Préparer ma bouche à l’alcool. Comme je faisais, sur les bottes de paille, dans le New Hampshire. Dans une autre vie, il semble. Saliver pour éviter de brûler les muqueuses. Certains coupent l’alcool avec un peu d’eau. Je n’ai jamais aimé dénaturer les choses. Qu’elles soient violentes si c’est leur nature. Coltrane jouait, le saxo remplissait toute la pièce, la lumière jaune était calculée, la fille belle, l’alcool sur mes lèvres.

Alors, doucement, je m’approchais d’elle.

Pas pour le bruit. Non. Les barbituriques faisant leur office, de mieux en mieux dosés, je n’avais pas à craindre grand chose de ce côté là. Coltrane poussé à fond, elles n’auraient pas même tressailli. Juste pour le plaisir de jouir un peu de l’instant à venir. Ralentir au maximum, comme un fondu qui n’en finirait plus. La respiration souple soulevant à peine les flancs, les seins gonflés à rythme régulier, leurs gorges blanches.

J’avançais, puis m’arrêtais. Faisais quelques pas, puis me ravisant encore. Tant de beauté douloureuse. J’approchais ma bouche de leur poignet gauche. Y apposais les lèvres. Puis la langue. Je léchais, la peau  fine, sous laquelle transparait si bien les veines. Elles ont toutes un goût différent, ces peaux. Elles ont toutes pour moi une empreinte olfactive et gustative différente et unique. Je pourrais reconnaitre chacune d’entre elles à l’aveugle. Simplement si on me proposait un peu de leur peau comme on donnerait des empreintes à un enquêteur. Ou un cru à un connaisseur de vins.
Je résistais à y planter les dents. J’ai essayé, sur les premières. Cathy. Je me souviens de Cathy. Un mélange de bergamote et de sauge. Elle sentait la fille pas docile. La fille qu’on n’accroche pas comme ça. J’y ai planté les dents, dans son poignet. Echec cuisant. Pas assez de force dans les mâchoires, pas assez coupant. Je n’ai réussi à lui créer qu’une blessure somme toute assez superficielle, en tous cas loin des objectifs et de mes fantasmes. J’ai tenté avec les autres aussi. Helen, Pia, Dolorès… Mais on en est toujours revenu à la méthode la plus efficace, quoiqu’un peu frustrante: le couteau. Coupure nette, précise. Tranchée de laquelle le flot pivoine ne tardait pas à s’écouler. Ma bouche collée à leurs poignets, les lèvres scellées à leur peau, la langue voyageant, avide, dans cette enclave créée de toutes pièces… Le liquide contre mes dents, envahissant mon palais, le fer si chaud. Métallique brûlant. Comme elle. Mon corps n’était plus que plaisir, je sentais leur sang couler dans ma gorge, et c’est comme si c’était lui qui gonflait ma queue, remplissant le peu d’espace laissé par mon jean. Le désir était si fort alors, que parfois je me sentais mouiller comme une débutante. Quelques gouttes, humidifiant mon slip.
Çane faisait que commencer, j’étais encore loin d’avoir fini… Mais le plaisir était tel, déjà…

Je crois qu’elle a bougé. C’est bizarre, pourtant avec la dose que je lui ai mise, elle devrait rester tranquille encore un moment. J’ai un peu trop forcé, parce que définitivement, celle là n’est pas commode. Elle m’a pris des jours, de traque patiente. Mais quelle prise. Une blonde. Mais de ce genre particulier et si rare. Vénitienne. Du coucher de soleil en concentré capillaire.  quand je l’ai vue, j’ai su de suite que je devais l’avoir. Et je l’ai. Maintenant que l’effet des médicaments est moins fort, je vais pouvoir commencer. Je n’ai presque plus mal à ce foutu pied, rien que d’imaginer ce que je vais lui faire, et ce qu’elle va me donner…

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