darling

Catherine. Darling. Ça se ressemble un peu. C’est la même personne, avec deux vies différentes. Enfin pas vraiment. L’une est merdique, l’autre est catastrophique. Dans l’une elle se fait insulter par ses parents, subit des mauvais traitements. Dans l’autre elle se fait traiter de tous les noms, se fait prendre n’importe comment. La seule chose qui change, c’est que c’est juste avec la voix. Mais pas pour longtemps.

Ç’aurait pu être une histoire typiquement dramatique, le père violent, la mère aveugle ou feignant de l’être. Et les deux frères toujours absents, qui n’auraient même pas soupçonné l’horreur qui se jouait au sein du foyer. Mais non. Tout le monde savait, surtout Catherine. Il ne faut jamais oublier la date anniversaire de son père. Et il ne faut jamais louper l’abattage de la truie du premier coup. Au risque de trébucher dans ses intestins. Et puis l’un des frères devint fou, enfin, définitivement. Et l’autre, encore épargné par la génétique, eut un accident.

 

Il faut dire, Catherine, sur le point de naître, d’un malheureux coup de pied dans le ventre de sa mère provoqua une émeute bestiale, un vrai vaudeville laitier, qui brisa quelques côtes, et fit quelques dégâts, au village. Un curé est mort, quelques années plus tard, alors qu’elle entrait dans une église. La destinée sans doute. Si jeune et déjà responsable de tant de dégâts. Évidemment elle est affreuse. Il n’aurait plus manqué que ça, qu’elle soit jolie. C’eût été vraiment trop de gâchis. Elle avait un rêve, cela dit. Se faire embarquer par un routier, un des nombreux qui passaient sur la route, devant la Barberie. Et c’est parce qu’elle est moche, qu’elle fait appel à sa voix. Elle apprendra enfin à compter, pour aller travailler en boulangerie, loin de chez elle, toute la semaine. Elle pourra s’acheter une C.B., et devenir Darling, une voix de standing pour des 33 tonnes éméchés, et/ou en rut.

 

Et puis arriva Roméo, dans son camion doré. C’est son pseudo, bien sûr. Mais elle, c’est pas Juliette. Elle ne mourra pas pour lui, non. Même si ç’aurait mieux valu, peut-être. Non elle a préféré cumuler les galères, Darling. Elle les cumulait tellement que sa vie pathétique en devint presque grotesque, et, pire, risible. Roméo l’emmena, loin de chez ses parents, mais pas loin des emmerdes. Encore un peu plus près qu’avant. Oui, c’était possible, tout était possible avec Cath/Darling. Il la culbutera avant même d’arriver à destination. Livraison de bétail. Comme sa mère. Engrossée un jour de saillie. Le destin, j’vous dis. Alors ça ira de mal en pis, évidemment. Pendant qu’un fils de bonne famille s’échouera, lentement, sur le tas de fumier, devant chez ses parents, à elle, pendant que ses organes s’échoueront aussi, un à un. Les lois de la gravité. Elle ne voulait pas devenir paysante, Darling. Elle le paiera cher.

 

Et c’est à Jean, qu’elle raconte tout ça. Pauvre Jean. Choqué. Puis consterné. Finissant par ne plus être étonné des épreuves qui échelonneront la vie de cette « pauvre » Darling. Comme si elle le faisait exprès, comme si elle cherchait après. Mais il l’écoute, il note. Il note cette vie si pitoyable, si vulgaire, qu’il finit par en émaner une certaine mélodie. Un brin de poésie. Oui, c’est un peu ça. Quelques grammes de poésie dans cette tragi-comédie bétaillère. Enfin, quelques grammes. Une petite centaine de milliers de grammes. Car, au fond, Catherine, c’est tout un poème. Que Jean nous récite.

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