Echappée

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Elle avait agi sans réfléchir.

Elle était partie sur un coup de tête, tout doucement, alors qu’il venait juste de s’endormir. L’horloge digitale indiquait minuit pile, quatre gros zéros rouges et scintillants. Elle avait eu ce sourire, presque imperceptible, en pensant que c’était précisément à cette heure-là que les princesses tiraient leur révérence. Et il était temps qu’elle tire la sienne.

Elle avait donc revêtu son trench-coat par-dessus sa nuisette de satin, avait attrapé les clés dans la coupelle de l’entrée et avait démarré la voiture. Celle-ci s’était éveillée sans broncher, ses yeux lumineux s’étaient ouverts et les pneus avaient glissé sur l’asphalte, en silence, complice de l’évasion.

Il avait commencé à pleuvoir lorsqu’elle était entrée sur l’autoroute quasiment déserte. Elle n’avait pas pris la peine de regarder les directions. Elle allait, c’était tout, guidée par l’instinct. Et l’endroit où elle arriverait à la fin du parcours lui importait peu.

Cela faisait deux heures qu’elle roulait, accompagnée simplement du ronflement du moteur, du crissement des essuie-glaces usés sur le pare-brise et de la pluie féroce qui martelait la carrosserie. Elle remarqua que le paysage avait changé : on devinait à présent la forme noire de quelques arbres sur le bord de la chaussée.

Elle ouvrit le cendrier du bout du doigt et alluma une cigarette. Il détestait qu’elle fume dans la voiture, il ne cessait de répéter que l’odeur allait s’infiltrer dans les sièges et que le tableau de bord serait sali par la cendre. Alors, lorsqu’elle aspira la première bouffée de nicotine, elle ressentit une énorme satisfaction à l’idée d’emmerder le monde. Oui, je fume dans ta putain de bagnole. Sans ouvrir la fenêtre.

Tandis que la voiture continuait d’avaler les kilomètres, elle repensa à tout ce qu’elle laissait derrière elle. A tout ce qu’elle était en train d’abandonner, ou plutôt de fuir, les deux mains sur le volant et le pied en chausson sur l’accélérateur. Ses terreurs, ses angoisses les vrais soucis ou les broutilles. Son appart’, son mec, ses amies, son boulot. Le chat, aussi, la seule chose qu’elle regretterait peut-être. Et un seul but : toujours plus loin, jusqu’à ce qu’il soit impossible de faire demi-tour. Pour ce voyage, elle n’avait pris qu’un aller.

La panique l’attrapa à la gorge ; elle serra le volant plus fort, griffant le cuir de ses ongles manucurés. Bientôt, elle ne distingua plus la route, les yeux plein d’eau et de fard coulé : étaient-ce la pluie ou bien les larmes qui lui bouchaient ainsi la vue ? Elle lâcha le volant et enfouit son visage dans ses paumes en étouffant un sanglot.

Les sapins furent aimables et arrêtèrent la voiture dans sa course folle.

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