Exit Tom Sawyer, Welcome Jack Reacher

Au début de ce film policier, réalisé par Christopher McQuarrie, sorti en décembre 2012 d’après le roman « One Shot » de Lee Child (2005), scène classique : un individu très louche prépare gentiment son fusil à lunette, prend position dans la planque adéquate, la parfaite cabane de chasseur citadin, et se mitonne une petite séance de tir sur cibles vivantes. Le type se fait coffrer suite à une enquête réglée comme du papier à musique mais, plutôt que de signer docilement des aveux, voilà qu’il écrit en grosses lettres capitales un nom…
le vrai, l'unique...
Jack. Reacher. Ça claque comme la Star Spangled Banner un jour de Tempête du Désert ; et si je dis ça, c’est en déformant à peine la réalité puisque notre gus, c’est un ancien de l’armée qui a fait les campagnes d’Irak et peut-être bien d’Afghanistan. Ancien, c’est à dire qu’à la trentaine bien sonnée, il en a soupé de la guerre, de la discipline et des ordres foireux de sa hiérarchie, bref, Jack a raccroché au clou ses médailles – Purple Heart, Etoile d’Argent (sic) et tout le saint-frusquin -, il est à la retraite et pour parfaire ce changement de vie, il est parti se cacher là où personne ne peut le trouver (un indice : il y a des américains, des motels et des strip-teaseuses).

Jack Reacher, c’est l’américain bon ton de la Génération X : il porte une chemise à carreaux, un rasage approximatif, c’est un nomade qui aime se balader en bus Greyhound ou à l’extrême rigueur dans les grosses bagnoles des autres, et il est un peu parano – mais pas antisocial, houlà, non, pour lui c’est plus un genre de hobby. Voilà pour le folklore ; son caractère ? Disons que c’est Leroy Jethro Gibbs jeune. Oui, vous savez bien, le chef charismatique, monolithique, monosyllabique et patriot(iqu)e de l’équipe d’agents télévisuels du N.C.I.S. La comparaison est étrange mais il me semble qu’elle s’impose. Comme lui, il est tireur d’élite et (tiens, tiens) c’est un ancien policier militaire. Je vous vois venir : Jack va devoir reprendre officieusement du service, abandonner gracieusement sa retraite mystique dans l’Amérique profonde où il jouissait paisiblement de sa pension et de sa sécurité sociale pour voler au secours de la belle et de l’orphelin à travers une enquête taillée sur mesure pour ses muscles  talents ? Gagné. Enfin pas tout à fait car ce qui le motive surtout, Jack, c’est un aspect de son caractère que je n’ai pas encore tellement développé : il aime pas qu’on l’emmerde.

C’est la révélation-clé du film : le secret enfoui sous la couche de peinture/camouflage qui le faisait passer pour un émule de Jack Kérouac avec le passé de John Rambo et un look à la Dean Winchester. Il n’a rien contre le Gouvernement, l’Armée ou les représentants de l’Autorité (c’en est un), non, il a juste envie de regarder les matchs de baseball à la télé, que la vieille dame au guichet de la banque lui sourie, et surtout qu’on lui fiche la paix. Alors du coup, quand une belle avocate blonde lui demande de l’aider à innocenter le coupable idéal d’une abominable tuerie de masse, il l’enverrait presque balader d’un coup d’épaule viril et (un petit peu) rustre ; mais qu’on vienne seulement le provoquer dans un bar pour le convaincre à coups de tatane de persévérer dans cette voie, et là, fidèle à la réputation forgée dans son livret militaire, il rue dans les brancards. Et avec classe, et avec répartie ; la plupart de ses adversaires ne marcheront, pour citer l’inspecteur, plus jamais de la même façon…s’ils arrivent encore à marcher.

Parce que Jack Reacher quand il sort de ses gonds, il ne fait pas dans la dentelle, et encore moins dans la galanterie. Il sait donner aux filles des conseils tirés de la sagesse populaire des grands espaces, mais faut pas le chercher non plus. En plus, il est plutôt avare de sa personne, « l’Homme que tu ne trouves que s’il veux que tu le trouves » ; c’est pas James Bond, il ne tombe pas la chemise devant n’importe quelle fille aux grands yeux qui vient lui demander des clopes ou lui vendre des pièces détachées, non. Ou alors c’est parce que justement, il faisait sa lessive, mais vas pas t’imaginer des trucs.
The Man & The Blonde
Et puis après, bon, l’histoire est un peu embrouillée ; notre flic à la retraite bien portante fait de belles déductions, échappe aux flics et à moult machinations ourdies contre sa personne avec une nonchalance toute patriotique au pays de la Ford Mustang et de Walt Whitman, et montre une certaine habileté à taper sur ses adversaires avec tout ce qui lui tombe sous la main. Rusé comme un coyote, il a l’œil de l’aigle (attention, symbole national inside) et, selon la standardiste de l’hôtel, assez de force de tuer quelqu’un d’un seul coup. Les secrets cachés derrière les secrets semblent à mon avis parfois plus petits qu’on ne l’aurait espéré mais bon, ce n’est que mon avis.

Après, tout va bien si tu apprécies le doux cabotinage de Tom Cruise, le jeu sobre et glacé de Rosamund Pyke et le visage buriné de Werner Herzog qui est une vraie bonne surprise ; on peut aussi apprécier le côté très ‘prequel de NCIS’ et se dire que si Gibbs est le nom d’un joueur de baseball qui a connu une gloire éphémère au début des années 30, il y a peut-être anguille sous roche. Une chose est sûre : les nouveaux héros de l’Amérique sont en vitrine, et si t’as l’envie coupable, ignoble délinquant que tu es, de lever la main ou la voix sur ta copine dans un lieu public, fais gaffe que l’un d’entre eux est sans doute caché pas bien loin, et il va te tomber dessus comme le bras de la Justice.

A ceci près que comme il le dit, Jack : « je suis pas un héros […] je crois que je préfère encore te tuer« .

LA BANDE ANNONCE (en anglais, pour profiter du son des Black Angels):

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