Flower Boy de Tyler the Creator, du miel pour les oreilles

Tous les deux ans environ, Tyler the Creator sort un disque et cette année, il s’appelle Scum Fuck Flower Boy, poliment raccourci en Flower Boy pour ne pas effrayer les parents exerçant leur contrôle avec zêle. Enfin bref, on s’en cogne un peu, il est temps de parler de ce qui est en toute vraisemblance le meilleur album de notre grand garçon, rejoignant l’avis très favorable des critiques et auditeurs.

Bilan psy-zik du bonhomme

Divertissant, bigrement créatif, insubordonné, Tyler the Creator est un personnage qui fascine, et ce depuis qu’il a débarqué cagoulé avec toute sa bande sur les plateaux TV US avec « Sandwitches » en 2011. Un petit retour sur son évolution et son profil psychologique s’impose. Tyler Okonma est d’un certain point de vue le rejeton caché et très mal éduqué mais légitime de Steve Harvey, pour le côté comique et la légère ressemblance, et Pharrell Williams, son père spirituel sur le plan artistique. Son adolescence est une période à la fois difficile à vivre. Ses hormones de bâtard (nom de son premier essai autoproduit en 2009 alors qu’il n’a que 18 ans) le rendent creepy, très ‘pas bien’ dans sa tête et violent dans ses propos (il se fera facilement taxer d’homophobe), ce qu’on a pu apercevoir sur le foutraque -mais non moins culte- Goblin d’Odd Future, ce crew d’insoumis composé de petits nerdeux aussi zarbis et surdoués que lui (comme Earl Sweatshirt, Syd tha Kyd, le chanteur Frank Ocean, etc…). Et pis ben voilà, le monde a découvert en fanfare ce jeune rappeur-producteur turbulent et son collectif des OFWGKTA, leur une iconographie iconoclaste et un anticonformisme qui a nécessité de recréer des nouvelles frontières dans la musique rap.

Et c’est après que les choses sont devenues de plus en plus intéressantes avec Wolf. On découvre plus distinctement, à travers cet opus bien plus mélodieux, qu’il est un inconditionnel des N.E.R.D (de In Search of à Seeing Sounds), des Neptunes en général, ce qui qui s’ajoute à son attitude de fanboy invétéré de Kanye West. Comme Kanye et Pharrell, il se penche en parallèle sur la mode en créant sa propre marque de fringues et en plus de ça, il réalise des mini-shows humoristiques Loiter Squad pour Adult Swim. Tyler a autant de facettes que de casquettes. Avril 2015 le créateur prend tout le monde par surprise avec Cherry Bomb, un disque contenant son lot de pépites, de titres bâclés au son sur-saturé et de guests de marque (Lil Wayne, Kanye West, Syd Tha Kyd, Charlie Wilson, Leon Ware, ScHoolboy Q…). Voilà ce qui se passe quand son lui foufou et son autre lui plus mesuré et très inspiré se clashent dans sa boîte crânienne, gros foutoir. On sait tous dorénavant que Tyler the Creator est un rappeur à part, qui repousse les limites du genre, avec un style bien à lui, dans sa façon de rapper, d’aborder les sujets, jouer du clavier, choisir ses caisses…

Tyler the Creator

Puis… il y a aujourd’hui Flower Boy, qui marque un curieux changement d’attitude de la part de notre grand garçon depuis que le collectif Odd Future s’est délité, mais pour plus prendre de liberté, devenir… ‘happy-culteur.’

Du miel pour les oreilles

Autant l’annoncer d’entrée : Flower Boy est un enchantement à chaque nouvelle écoute, de A à Z. Qui l’aurait cru de la part d’un gaillard aussi dérangé et dérangeant que Tyler. Dès « Foreword« , jeu de mot pour « forward », il essaie de regarder l’avenir, en grand. Et c’est avec beaucoup d’ampleur que s’ouvre le refrain de « Where This Flower Bloom » en compagnie de son ami Frank Ocean. Parce que oui, Tyler est l’un des rares artistes qui peut faire sortir Frank de sa tannière, lui et Jay-Z. Il laisse aussi Lil Wayne jardiner seul sur le jazzy « Droppin’ Seeds« . Encore une fois, on retrouve la nette influence des Neptunes à travers les prods très travaillées de Flower Boy, que ce soit « See You Again« , « Boredom« , « Glitter » (avec un gars qui fait du Pharrell au chant). Ça donnerait presque envie de se rouler tout nu dans l’herbe, une prairie qui cache des capotes usagées comme sur « Pothole » (avec Jaden Smith au refrain). Sur ce titre, qui se veut une métaphore d’une relation amoureuse ‘insecure’, il utilise un sample de Roy Ayers, les standards de Roy Ayers sont un peu sa madeleine de Proust. Sur la première partie de « I Ain’t Got Time!« , il rejoue l’air entraînant et funky de l’intro de « Groove is in the Heart » d’Indeep.

C’est mélodieux et très inspiré, Wolf en beaucoup mieux, mais pas mielleux non plus. Il est sûr que Tyler a grandi musicalement, mais pas que. Sur le plan humain, il  y a eu du progrès. Il devient adulte on dirait bien. Il évoque les sentiments amoureux qui le bouleversent et le rend un brin sociopathe sur « See You Again » (qu’il déclare être un de ses morceaux préférés, peut-être parce qu’il chante dessus avec Kali Uchis), la souffrance due à la solitude sur le superbe « Boredom » et le groovy « 911/ Mr Lonely« . Le bonhomme devient tout fleur bleue dès qu’il ressent de l’amour pour de vrai. Ce qui est corroboré par l’esthétique de la pochette et du livret (inachevé ! car il n’a pas obtenu les photos à temps alors il a du se démerder avec son smartphone…) et qu’on a pu apercevoir dans de précédents clips (« Perfect » extrait de Cherry Bomb). Sur « Garden Shed« , il attend la dernière minute pour lâcher un couplet relativement flou sur sa sexualité (ambiguë?), chacun ira de sa propre interprétation. « November » témoigne aussi d’un certain manque de sérénité, se référant à une période de sa vie quand les choses étaient plus cool. Attention toutefois, Tyler the Creator peut redevenir une vilaine créature en un tournemain, comme sur le single « Who Dat Boy » (avec son grand copain A$AP Rocky) et « I Ain’t Got Time!« , avec son flow agressif et sa façon de jouer des claviers façon horrorcore, d’exprimer son côté malsain en parlant comme un chartier. Ou alors c’est son alter-ego Wolf qui apparaît avec sa grosse voix comme sur la partie downtempo de « Glitter« .

Si on est un peu maso, on aurait voulu l’entendre plus péter les plombs. D’habitude on préférait qu’il en fasse moins sur ses albums, et là c’est un peu le contraire qui se passe. Cela dit, Tyler ne va pas chercher à provoquer inutilement pour montrer qu’il existe et nous forcer à attirer l’attention sur lui, ceci afin de justement éviter de tomber dans l’auto-caricature, signe évident de maturité. Et pour conclure Scum Fuck Flower Boy, il signe avec « Enjoy Right Now Today » un dernier morceau quasi instrumental. À quand un projet instrumental? Avec un partenariat avec Converse et bientôt une émission télé sur Viceland, où va-t-il s’arrêter?

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