Fossiles de rêves / Mémoires de jeunesse d’un génie de l’animation

La collection Pika Graphic réédite les premières œuvres du mangaka et réalisateur japonais Satoshi Kon (prononcer « Konn »).

En quatre longs-métrages, Kon était devenu un maître du film animé. Personnellement, je le place au niveau d’un Miyazaki ou d’un Mamoru Oshii (Ghost in the Shell). Comme pour commémorer les 10 ans de sa disparition, Pika Édition ressort l’intégrale de ses histoires courtes dans un bel ouvrage avec une nouvelle couverture illustrée pleine page.

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Durant sa vingtaine, Kon fait ses armes comme mangaka dans divers magazines et remporte plusieurs prix au passage. Déjà il brouille les frontières entre rêve et réalité, sa marque de fabrique visible dans des longs-métrages tels que Perfect Blue ou Paprika. La reconnaissance internationale de ces films sera telle que l’on retrouve leur influence dans des films hollywoodiens comme Black Swan et Inception, respectivement.

Mais ce recueil est aussi l’occasion de rappeler l’éclectisme dont a fait preuve l’artiste, qui n’a jamais souhaité s’enfermer dans la case du « mindfuck ». Il se frotte ainsi à différents genres : comédie sentimentale, histoire de fantômes, bataille de samouraïs, … Tout comme Tokyo Godfathers était un conte de Noël et Millennium Actress l’évocation douce-amère de la carrière d’une actrice. Les cases, Kon les explose, à la faveur d’un rythme toujours soutenu et d’un sens inné du découpage.

Fossiles de rêves

Malgré des premières intrigues inégales ou banalement triviales, son goût du format court se déploie au fil de cette quinzaine d’histoires qu’il écrira et dessinera sur une poignée d’années. L’une d’entre elles se déroule dans le monde d’Akira, le film culte de Katsuhiro Otomo, à l’occasion de sa sortie en 1988. C’est justement avec Otomo qu’il collabore en 1995 pour l’anthologie Memories dont il écrit l’un des trois courts-métrages : Magnetic Rose. Dans ce film saisissant, il est question d’astronautes happés par les souvenirs d’une survivante. On y retrouve ce qui était en germe dans cet ouvrage : la résurgence des mémoires, les émotions fossilisées qui ne demandent qu’à jaillir. Et toujours ce sens du montage : vie réelle/vie rêvée, vie sociale/vie privée, … Cette vidéo (en anglais) illustre cet art bien mieux que je ne saurais le faire.

 

Le tourbillon de la vie

Enfin, si Fossiles de Rêves nous parle encore aujourd’hui, c’est parce qu’il fait écho à notre situation actuelle, enfermés chez nous mais dispersés sur le monde en ligne. C’est un art de la vignette connectée qui culminera dans sa série Paranoia Agent, 13 épisodes de 25 minutes où l’on suit une foule de personnages aux prises avec le surmenage, le carriérisme et la désillusion. Kon y fracasse à coups de batte nos idéaux consuméristes et revendique la logique des rêves pour un manifeste violemment « anti-suicide ». (4 DVD pour 4€, vous pouvez acheter les yeux fermés).

En bonus, le livre s’achève sur un entretien avec Susumu Hirasawa, le compositeur de ses dernières B.O., qui mériterait un article à lui tout seul. Satoshi Kon est mort en 2010 d’un foutu cancer du pancréas, et je le pleure aujourd’hui. Il avait 46 ans, mais il vit encore dans ces pages.

La nouvelle édition de « Fossiles de Rêves » est sortie en librairie le 14 octobre.

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