« Judas and the Black Messiah » / L’hommage poignant aux Black Panthers

On ne manque pas le film de Shaka King qui débarque directement sur Canal+.

Chicago, 1967 : Judas s’appelle Bill et le Messie est Fred Hampton, le leader du Black Panther Party de l’Illinois. Bill est un truand à la petite semaine que le FBI enrôle pour infiltrer le cercle de Fred. Considérés aussi extrémistes que le Klu Klux Klan, les Black Panthers sauront-ils défendre leur cause et leurs méthodes controversées ? Quel est le prix de nos idéaux ?

50 ans plus tard, le combat des Panthers pour la justice sociale a-t-il pris fin ? Un rapide coup d’œil à l’actualité suffit pour avoir la réponse (négative). Alors que le mouvement Black Lives Matter fut plus fort que jamais en 2020, trois œuvres sont venues simultanément nous rappeler les combats d’hier et une époque (la fin des années 60) où les luttes ont convergé : Les Sept de Chicago (qui retrace le procès de Bobby Seale, le leader des Panthers), Small Axe (la lutte de la communauté afro-caribéenne du Royaume-Uni) et donc Judas and the Black Messiah.

Après son premier long-métrage Newlyweeds (croisement improbable entre la romcom et le stoner movie, invisible chez nous), le réalisateur Shaka King signe ici une deuxième œuvre très réussie. Il décrit avec précision et réalisme un système américain qui s’applique à mater chaque début de rébellion, voire broyer chaque individu dans sa volonté d’émancipation, peu importe sa couleur. C’est ainsi que Roy, le flic blanc qui engage Bill, se retrouve soumis à la pression de ses supérieurs du FBI. Et on se souvient que le patron du FBI lui-même, J. Edgar Hoover (joué ici par Martin Sheen), était présenté comme un homme queer dans le biopic de Clint Eastwood en 2011. Ce qui laisse entendre qu’il subissait également une chape de plomb sociale.

« If you dare to struggle, you dare to win »

Quand arriverons-nous à nous affranchir de ces systèmes qui placent le statut et l’argent au-dessus des considérations humaines ? Devant l’œil du chef opérateur Sean Bobbitt (que Shaka King a d’ailleurs piqué au réalisateur de Small Axe), les contrastes sont d’autant plus criants : un monde blanc feutré et opulent face à une communauté noire emmurée vivante qui tente de survivre en prison ou dans les locaux assiégés des Black Panthers.

Dominique Fishback

Si le film fonctionne si bien, c’est que sa construction est libre et tendue comme un thriller, et non comme un biopic classique dont on voit venir les virages scénaristiques. Je ne connaissais rien de la vie de Fred Hampton et j’ai été happé par son personnage, ses discours et ses ambiguïtés. J’apprécie également beaucoup la place laissée aux personnages féminins : ils sont rares les films de cette trempe et situés à cette époque qui passent avec succès le test de Bechdel. Celui-là le fait en un souffle.

« It don’t seem fair that that’s his legacy. »

La place et le rôle des femme noires dans ces combats sont soulignés par une interprétation impeccable : je pense à Alysia Joy Powell qui joue la mère d’une des Panther et vous embarque le cœur en une scène. Discrète mais impériale, Dominique Fishback interprète la femme de Fred Hampton, porteuse d’espoir mais pas dupe des dangers fous qu’elle encourt en l’aimant. Elle est magnifique.

On parlera évidemment beaucoup de LaKeith Stanfield & Daniel Kaluuya. Souvenez-vous, les deux comédiens jouaient déjà ensemble dans Get Out. Intenses et habités, les voilà tous les deux nommés à l’Oscar grâce à ce film, mais dans la catégorie « second rôle » ! Alors qu’ils interprètent respectivement Judas et le Messie dans un film intitulé … « Judas & le Messie ».

LaKeith & Daniel dans « Get Out » (2017)

Peu importe ces considérations terre-à-terre, le film nous emporte au-delà et souligne le travail de toute une équipe dont l’énergie et l’abnégation ont payé et trouvent ici tout leur éclat. Au scénario, c’est King lui-même avec Will Berson, Kenny Lucas et Keith Lucas. À la production, on retrouve Ryan Coogler : le cinéaste fut révélé par la mise en scène de Fruitvale Station qui retraçait la dernière journée du jeune Oscar Grant, abattu par des policiers de San Francisco lors du Nouvel An 2009. Un meurtre qui avait résonné dans la société américaine, 10 ans déjà avant celui de George Floyd. Coogler a ensuite débarqué au rayon blockbuster avec Creed puis le triomphal Black Panther. En produisant Judas… en 2020, on ne peut qu’imaginer sa réaction face aux évènements politiques qui ont marqué l’année.

Les producteurs de « Judas & the Black Messiah » : Shaka King, Charles King (pas de la même famille) et Ryan Coogler

En 92 ans, les Oscars n’ont couronné qu’un seul film au casting noir (Moonlight). Pour la première fois, ils ont nommé ici un film dont l’équipe de production est intégralement afro-américaine. Quoi qu’il arrive à l’issue de la cérémonie de dimanche, l’Histoire est déjà écrite et nous avons gagné une grande œuvre.

« Judas and the Black Messiah » est disponible à partir du samedi 24 avril sur Canal+.

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