L’au-delà: une lumière sans étoile.

HEREAFTER – de Clint Eastwood – 2011 – US.

« Il cinema è un’ invenzione senza avvenire »

Louis Lumière


Les films que réalise Clint Eastwood s’enchaînent sûrement, un à un, année après année, et ce depuis plus d’une décennie. Ils sont marqués par une posture de metteur en scène très sombre, carrément dramatique, presque pessimiste. Il est vrai que les derniers films d’Eastwood sont plutôt du genre à mal finir, d’une certaine manière, en contradiction avec la cahiers des charges type hollywoodien. Comment de tels films, purs produits des studios légendaires de l’Amérique peuvent ils voir le jour en total contradiction avec tout ce qui fait, justement, hollywood. Ou plutôt: comment de tels films peuvent-ils encore voir le jour aujourd’hui?

Le cas d’Eastwood, dernier grand classique d’une longue lignée américaine de cinéaste (entre Ford; voir avant; et Leone) est un cas passionnant, forcément. Et force est de constater qu’une époque comme celle qu’il a pu traverser vient se fracasser sur l’époque que nous traversons tous aujourd’hui. Il n’ y a qu’à se remémorer le dernier quart  d’heure de Million Dollar Baby et de Gran Torino pour s’en convaincre. Mais le vrai désenchantement, celui qui ne croit plus en rien, ni en l’idée de nation, ni au pouvoir du cinéma comme mirroir de l’homme, commence plutôt avec Flag of our feathers (Mémoires de nos pères). Ou la démistification d’une image épinale (la fondation de l’Amérique) était dissolue, contredite par la vérité historique rétablie. Une vérité historique rétablie, d’ailleur, par le biais du cinéma. Mais en vain, puisque l’on ne change rien à l’Histoire. On la montre, c’est tout. Et c’est justement le signe du désenchantement littéral d’Eastwood comme réalisateur de cinéma: le pouvoir des images, il y a longtemps qu’il n’y croit plus. Voir n’y a jamais cru. Vous aurez beaux inventer de belles images synthétiques, numérisées d’un au-delà inintelligible, vous ne pourrez jamais rendre compte de l’Histoire exactement. Vous n’en ferez qu’une illustration, et c’était littéralement le sujet de Flag of our feathers, avec le décrassage d’une célèbre photographie de guerre américaine, ainsi que les origines d’une emblématique statue, un emblématique mensonge.

Lorsque Eastwood s’attaque à Hereafter juste avant son grand projet (de cœur, dira-t-on) sur la vie d’Egdar J. Hoover (qu’il tourne d’ailleurs, actuellement, avec Di Caprio), il cherche à faire un tout petit film de transition, à combler une période d’inactivité filmographique par un film vite écrit, vite tourné, vite sorti. On sait que le scénariste Peter Morgan avait présenté le projet d’abord à Spielberg, qui avait demandé maintes réécritures et, selon ses propres dires, l’avait massacré avant de le repasser en douce à Eastwood, dont on sait qu’il aime à se contenter de ce qui est sur la papier. Sauf que voilà: Eastwood y trouve les termes « au-delà », « télévision », « effet de réel » et surtout « Charles Dickens ». Il ne lui en fallait pas plus pour se contrer uniquement sur la dimension métafilmique du sujet et apporter une pierre de plus, et pas des moindres, à son édifice filmographique.

Je n’attendais, il est vrai, pas beaucoup de Hereafter suite à l’annonce et la mise en chantier du film, encore qu’intrigué par la dimension un peu macabre du projet (les portes de la mort pour sujet du premier -dernier?- film d’Eastwood sans sa présence devant la caméra). Et puis l’annonce du casting avait de quoi faire froid dans le dos: Cécile de France pour le côté « français » du film, Matt Damon pour l’autre côté de l’atlantique. Un film « world », dans le plus mauvais goût de cette tradition cinématographique dont les Innaratu et autre Soderberg se font les apôtres. Bref, le Eastwood n’avait un peu près rien pour lui lorsqu’il est sorti en ce début d’année 2011.

Au sortir de la projection du film, un premier sentiment se détache (quel drôle de film, très bizarre, très étrange, presque anachronique dans sa conception) très vite remplacé par un deuxième sentiment: si le film possède une intrigue de qualité relativement médiocre sur le plan dramatique, le sujet métafilmique est en or, et Eastwood ne l’a pas loupé. Sur une trame fantastique et complétement invraisemblable (surtout: parler d’un au-delà après avoir réalisé Million Dollars Baby sans évoquer la religion, ça fait presque sourire), Eastwood multiplie les effets de réel et de vraisemblable.

Il s’agit là de deux choses distinctes: les effets de réel reliant son film à une époque, une continuité historique, le reliant à l’Histoire par des évocations équivoques (Tsunami dans le Pacifique Sud, Plateau de France Télévision, attentats meurtriers dans le métro de Londres) et d’un autre côté, le vraisemblable, le simulacre, c’est à dire les moyens qui sont employés pour traduire les effets de réel. Comme, par exemple, représenter un Tsunami au cinéma en 2011, et juste derrière, interroger l’utilisation des images numériques (tout comme dans Flag of our feather) non pas pour faire « vrai », mais plutôt pour dire: les voici vos images spectaculaires. Le voici votre spectacle sur le mode Hollywood (consommer du film comme on mangerait des pop-corns). L’interaction de cette vraisemblance sur le sujet premier du film, à savoir l’histoire d’un point de vu dramatique, reste à ce jour l’un des plus impressionnant travaux d’Eastwood en tant que réalisateur.

La référence constante à Charles Dickens produit déjà une collusion entre le premier niveau de l’histoire (une intrigue « à la Dickens ») et ses nombreux autres niveaux: le réel (Dickens est non seulement maintes fois explicités, mais avec des manières métafilmiques à chaque fois différentes: par le biais d’un tableau, d’un poste radio, par la récitation d’un célèbre acteur spécialiste de l’écrivain, et ce face-caméra, etc…). De même, concernant le personnage incarné par Matt Damon et son pouvoir d’être lié à l’au-delà. Les effets sont très simples, juste accompagnés d’un son, parfois d’une image. C’est tout. Pour le récit, il faudra en passer par le personnage de Marie Lelay (Cécile de France), sorte de Laurence Ferrarri qu’à priori rien ne semblait lier à cette affaire, et voilà qu’elle apporte des thèses scientifiques (le vraisemblable en plus d’un effet de réel) aux expériences de l’américain.
Bien sûr, tout cela n’est que spectacle de lumière, spectacle de cinéma, voir de pure littérature. Que dire du personnage de l’enfant, insensible aux trucs d’adultes (les divers simulacres de soi-disant médiums auxquels l’enfant répond invariablement « non » en baissant la tête) et qui nous entraîne vers une réalité angoissante: être un enfant, rien de plus à l’image, rien d’idéalisé. Être spectateur de ça, ne rien pouvoir faire, entrer au cinéma comme on entrerait dans cet au-delà décris par le film, se dire que le cinéma n’est pas exactement un don, mais plutôt une malédiction, à l’image exacte du pouvoir qui hante le personnage interprété par Matt Damon. Comme une lumière sans étoile.

Alors voilà: il y a tant de chose à dire ou à décrire, les trois personnages devenant très vite de purs « objets » ou « idées » cinématographiques, que je vous laisse à ces pistes afin d’apprécier pleinement le film. Si il y a une chose de vrai, c’est que le temps de projection du film, est très particulier; son processus de fabrication, la façon dont il est monté font effet bien après la projection. Sans trop en dire, là où la plupart s’arrêteront à l’effet incertain d’un « happy end », je ne cesserais de m’interroger sur l’origine de cette ultime projection mentale (un baisé « de cinéma »?) et je ne pourrais m’empêcher d’y voir là le film le plus sombre et le plus pessimiste de ce très grand réalisateur. L’au-delà est un état du cinéma contemporain, et cette image ultime de baisé qui n’a pas lieu un discours sur notre monde, notre époque.

MG (https://larevueducinema.wordpress.com/)

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3 commentaires

  • vivabarca_3007
    vivabarca_3007

    Ce n’est pas le premier film de lui sans qu’il ne soit devant la caméra, il y a eu Invictus, L’échange, Grace is gone, Mémoires de nos pères et lettres d’Iwo Jima, Mystic River, etc.

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  • Mikael G
    Mikael G

    Oui oui, c’est tout a fait juste comme remarque et je m’en excuse, je me suis mal exprimé! Disons que c’est le premier Eastwood depuis que celui-ci a mis un terme à sa carrière d’acteur. Merci pour cette rectification.

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  • Mikael G
    Mikael G

    Ah au fait: la remarque était sympa, constructive, mais pour GRACE IS GONE, tu repasseras st’e plaît. Faut pas confondre.

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