
John Waters est quelqu’un de cool, une figure importante du cinéma et un féministe convaincu. C’est lui qui est à l’origine de la citation ci-dessus, qu’on retrouve un peu partout, sur des timelines Facebook ou Twitter, des Tumblr ou des fonds d’écran : « We need to make books cool again. If you go home with somebody and they don’t have books, don’t fuck them » Dit comme ça, de prime abord c’est classe et distingué. Sauf que. Ça m’embête un peu, parce que cette déclaration n’a pas vraiment de sens, pour rester poli.
LA BILLY DES VANITES
On peut très bien avoir une tonne de livres chez soi et n’en avoir lu aucun. Le premier cas est celui de la personne qui achète à chaque fois qu’un livre lui fait envie et se retrouve avec une pile de vingt bouquins sur sa table de chevet en n’en ayant lu qu’un seul. C’est classique. Plus tordu est le mec (j’en connais un) qui achète des bouquins d’occasion en gros chez Gibert pour gonfler sa bibliothèque, qu’il considère comme un élément de décoration et non de stockage. Le stade ultime du vice étant d’acheter des faux livres, des blocs vides entourés de fausses reliures. Pour la déco donc.
On peut surtout très bien avoir lu une tonne de livres sans en avoir un seul chez soi. Le cas typique, c’est la personne qui va à la bibliothèque. Il ou elle peut maxer sa carte de membre en prenant cinq romans par semaine sans en conserver un seul à la maison. Plus moderne, le livre électronique. En un an j’ai acheté deux livres papiers et une cinquantaine numériques. J’ai lu des dizaines de fois plus que la moyenne annuelle française mais rien pour le prouver chez moi. Si mon étagère Billy déborde, c’est uniquement de livres achetés avant.
La citation de Waters est nulle parce qu’elle se concentre sur la représentativité, l’étalage de culture. De la même manière qu’une fille laisserait dépasser son string, il faudrait que nos livres débordent de nos tiroirs pour séduire intellectuellement. On reste dans le vieux fantasme de la muséification de la littérature, la mise en scène de ses propres accomplissements. Et quelque part je comprends, puisque moi-même j’ai eu du mal à admettre le fait que tout ce que je lirai sur ma tablette restera sur ma tablette, que je ne pourrais pas le montrer au monde, et surtout pas aux gens qui passent chez moi, quand bien même ça pourrait m’aider à coucher.
Puis tu finis par comprendre que ce qui compte avec un bouquin, c’est qu’il soit à l’intérieur de ta tête, bien plus qu’à l’extérieur, à trôner sur une bibliothèque. Waters encense, malgré lui, le culte des apparences. On se contrefout des bouquins, ce qui compte c’est la littérature. Et si vous voulez rendre la littérature cool à nouveau, discutez-en avec celui ou celle à qui vous pensez vous offrir. Et s’ils n’ont rien à vous dire, ne les baisez pas.
Mais là, tout de suite, c’est effectivement un peu plus compliqué que jeter un œil à un appart’, même si beaucoup plus gratifiant.