La sorcière enrhumée – Première Partie

Tous les samedis de pleine lune, la vieille sorcière Débouzine préparait ses potions maléfiques. Comme toutes les sorcières du XXIIe siècle, elle avait son propre robot préparateur, qu’elle avait elle-même méchamment programmé afin qu’il l’aidât dans sa vile tâche.

Et cette semaine, il lui fallait préparer le filtre qui-rend-moche-les-tops-model. Elle en avait reçu une commande assez importante, et elle était payée très cher pour ce filtre par les adeptes du Mouvement Brownien, un parti néo-anarchiste. Cela lui procurerait de quoi acheter un nouveau chaudron, et reprogrammer sa PlayStation de manière ignominieuse, afin que tous les personnages de ses jeux préférés bavent.

Les gens ne bavaient plus suffisamment à son goût ces temps-ci.

Elle en était là de ces fascinantes réflexions, quand elle se rendit compte que quelque chose ne tournait pas rond, ou plutôt que quelque chose tournait rond. Mauvais signe. Son robot préparateur clignotait en tournant sur lui-même.

Cela ne l’aurait pas étonnée outre mesure – depuis qu’elle l’avait méchamment reprogrammé, il faisait très souvent des choses qui n’avaient aucun sens – s’il ne s’était en même temps mis à hurler : “ plus de morve –  plus de morve – plus de morve – plus de m… ”.

Agacée, elle lui décocha un monstrueux coup de savate coquée dans ce qui aurait été son tibia s’il avait été humain, ou sorcier. Se sentant mieux de sa mauvaise action, elle se mit à réfléchir : il lui fallait absolument cette morve pour la préparation de son filtre ; il lui fallait absolument ce filtre pour avoir de l’argent ; il lui fallait absolument de l’argent pour faire baver les personnages de sa PlayStation.

La question se résumait donc à “ Où trouver de la morve de jeune sorcière enrhumée par un rayon de pleine lune ? ”. Elle avait trouvé sa précédente cargaison chez le marchand de puces de Tancheville. Mais il était mort depuis longtemps.

Elle se souvenait très bien du jour de sa mort : elle l’avait écartelé parce qu’il avait refusé de se laisser changer en grenouille sous le prétexte saugrenu qu’aucune princesse n’embrassait plus les grenouilles au XXIIe siècle.

Cette pensée lui remonta le moral, mais pas pour longtemps. Où allait-elle trouver de la morve de jeune sorcière enrhumée par un rayon de pleine lune, en cette saison ?

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Solémie Flabigoux de la famille des Flabigoux de Tancheville fêtait aujourd’hui son anniversaire et son entrée dans le monde de la magie blanche. Elle était très excitée : toutes les Flabigoux étaient sorcières de grand-mère en petite fille depuis 1610.

Solémie avait été initiée à la magie dès sa naissance. Chez les Flabigoux, on pratiquait la magie bénéfique uniquement. On laissait la magie noire aux incompétentes. Solémie avait parfaitement passé tous ses examens de magie rose avec les félicitations du jury.

Aujourd’hui l’attendait son premier examen de magie blanche. Elle ne savait pas trop à quoi s’attendre. Elle en avait parlé avec ses cousines, mais il semblait que l’épreuve fut différente pour chacune d’entre elles.

Kramissa avait dû combattre à mains nues et avec la seule magie de l’amour que contenait son cœur, un dragon cracheur de feu. C’était une épreuve redoutable pour Kramissa qui n’avait jamais aimé personne d’autre qu’elle même. Mais elle s’aimait énormément.

Créatine avait du nettoyer une salle immense au lendemain du concours du plus gros vomisseur de nouilles, en moins de trois heures. Ce n’était pas non plus une mince affaire pour une jeune sorcière qui ne savait toujours pas ranger son château à l’aide de sa seule magie. Elle avait pourtant réussi.

Solémie réfléchit à ses défauts puisqu’il semblait tout de même que l’épreuve fut en rapport avec son point faible. Quel était son point faible ? Elle aimait tout le monde, elle était parfaitement ordonnée, et le monde était un endroit charmant rempli de charmantes personnes et de charmants robots. Et tout le monde l’aimait.

Elle se demanda comment trouver plus d’information sur cette épreuve : ce n’était pas vraiment tricher, juste un petit coup de pouce pour lui remonter le moral. Elle décida donc de se connecter sur son interwitchnet pour y chercher des informations à ce sujet. Après une ou deux heures de papotage en ligne qui ne lui apprirent rien de nouveau, sinon que son cousin Chlonyl était très préoccupé par la grosseur de son bras gauche.

Elle se déconnecta et se mit donc à attendre la fête et l’épreuve qui s’ensuivrait avec une fébrilité grandissante, et une crise d’éternuements consécutive.

*****

Débouzine commença à chercher l’adresse de toutes les jeunes sorcières susceptibles d’être enrhumées par un rayon de pleine lune sur interwitchnet. Après quatre heures de recherches, elle finit par trouver ce qu’elle cherchait.

Elle se jeta ensuite sur son programme de panoplies et les passa une par une en revue. Quand elle eut trouvé ce qu’elle cherchait, elle demanda à son robot préparateur de lui fabriquer une potion dont elle programma la recette. Elle était fin prête pour mettre son plan machiavélique en œuvre.

A suivre…

 

 

© Virginie Breham  – 1998

 

 

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