L’acédie

Elle pose la télécommande. Rideaux tirés, lumières éteintes, elle est au milieu de son canapé, genoux contre sa poitrine, bras autour de ses jambes. C’était prévisible. Ce jour là, seule, c’était mieux de regarder la neige de leur écran pas encore plat que de se regarder dans un miroir.

Trois ans de fac, quelques jobs d’été, et un superbe contrat à la clé. A durée indéterminée. Un travail qui promet, une vie de famille sûrement sur de bons rails. Premier enfant à 25 ans, une petite fille mignonne, blonde aux yeux verts, qui porte les chouchous de sa mère avec autant d’élégance – déjà. Deuxième à 27 ans, on dit que deux ans d’écart c’est parfait. Mariée à 30 ans, sa robe blanche immaculée lui allait à merveille, elle était si jolie, si fantastique, elle se sentait si parfaite ce jour-là.

Quelques mois après, c’était un docteur, puis un second, un troisième et enfin sa mère, qui lui annoncèrent de but en blanc ce mot qui fait si mal. On l’entend à la télévision, on l’entend dans les conversations, on sait qu’il nous suit toujours un peu, mais on se dit que cela n’arrive qu’aux autres. Et au fur et à mesure, on perd tout. Les formes, à force de répéter que l’on n’a plus faim. Le moral. Le goût pour les choses. La libido. Le sourire.

Elle sent déjà que tout ce qui l’a rendue heureuse lui coule entre les doigts, comme des vagues qu’elle n’arriverait jamais à rattraper. Elle sent son coeur devenir un peu comme une passoire, criblé de trous et de cavités, comme des vides qu’elle n’arrivera plus jamais à combler.

Elle n’a plus envie de se battre, déjà, elle renonce. Les petits n’en sauront rien, elle sourira en remontant la commissure des lèvres, comme une manoeuvre mécanique commandée par son rôle maternel. Elle tire sa révérence.

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