L’Attaque des dauphins tueurs, de Julien Campredon

L’Attaque des dauphins tueurs, un recueil de nouvelles mordantes et très inventives pour se moquer des dérives de notre société.

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Bonjour et bienvenue dans « un dernier livre avant l’apocalypse nucléaire », la chronique littéraire bimensuelle pour bien choisir ses lectures en attendant la mort dans d’atroces souffrances.

Les missiles russes tombent sur la Pologne et vous ne savez plus quoi lire ?

On est à un geste malheureux du déclenchement de la 3ème Guerre Mondiale et vous êtes en quête d’un bon bouquin ?

L’escalade atomique est enclenchée (enfin pas trop non plus, on attend quand même la fin de la Coupe du Monde, hein…) et vous ressentez le besoin d’une lecture solide, puissante, et réconfortante ?

Pas de panique, nous sommes là pour ça. Cette semaine : l’Attaque des dauphins tueurs de Julien Campredon.

dauphin tueur
photo par Alessandro Caproni

Il a été prouvé scientifiquement qu’il était impossible de résister à l’envie de lire un bouquin dont le titre est aussi évocateur et puissant que l’Attaque des dauphins tueurs (C’est véridique, toutes les preuves ont d’ailleurs été déposées chez un huissier ; si jamais il venait à m’arriver quelque chose, sachez qu’elles seraient immédiatement rendues publiques, afin que la vérité éclate au grand jour). Bah si, forcément, c’est obligatoire. Sinon, c’est que tu as oublié ton âme d’enfant, que tu as perdu toute joie de vivre, ou que tu es un robot reptilien sans sentiment à la solde de l’ultra-libéralisme qui veut « remettre la valeur travail au centre du débat », ce qui revient au même (ouais j’avoue que c’est un peu catégorique et réducteur).

Moi par exemple, rien qu’avec ce titre, j’imagine direct une armée de dauphins qui attaquent l’humanité en rigolant*(« iiik ! iiik ! iiik ! iiik ! »), pour nous faire payer l’affront d’avoir osé utiliser leur image pour vendre du Galak sans leur reverser des royalties ; des mammifères marins camés jusqu’à l’os, modifiés génétiquement et améliorés avec des yeux lasers, des hélices à propulsion nucléaire, des lance-missiles sur les nageoires et des jambes robotiques comme le pantalon électronique autonome dans l’épisode de Wallace & Gromit avec ce manchot de malheur déguisé en coq (désolé pour le spoil); des marsouins kamikazes bardés d’explosifs qui se font péter au milieu du grand aquarium de Saint-Malo, qui torpillent des congés payés allongés sur la plage de la Baule, ou qui snipent des jet-setters cokés dans leurs piscines privées dont l’eau finit avec une jolie teinte rouge vermillon façon les dents de la mer ou Scarface.

(*pour être parfaitement rigoureux, en réalité les dauphins ne rigolent pas, qu’ils exterminent l’humanité ou non. Généralement ils cliquettent. Parfois ils gloussent. Ils grincent, à l’occasion. Ou ils sifflent de temps en temps. Et c’est tout).

Et c’est là qu’on voit que je manque cruellement d’imagination : à peine capable de pondre un énième scénario de film de série Z (pour Zantrop) limite nanardeux, c’est pas brillant.

Car ce n’est absolument pas la direction que choisit de prendre Julien Campredon. Il est beaucoup plus subtil et astucieux que cela. Pour le plus grand bien de l’humanité, des dauphins, et de la littérature.

« Tu vois Zantrop, le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont une plume, et ceux qui creusent. Toi, tu creuses ».

En réalité, c’est un recueil de cinq nouvelles diaboliquement malines, légèrement surréalistes et délicieusement caustiques, teintées d’une pointe de surnaturel, qui se cache derrière cet assaut d’assassins cétacés.

Cinq courts textes aux titres à rallonge plutôt allusifs et franchement réjouissants (à tel point que la liste qui va suivre pourrait aisément passer pour la tracklist du nouvel album d’Hubert-Félix Thiéfaine), dont je vous laisse imaginer les intrigues grâce à quelques briques comme dans le jeu Pyramides (Mironton ou Barjabulle – toi-même tu sais – quelqu’un a des nouvelles de Laurent Broomhead ?) :

Diablerie diabolique au clubhouse :  un étrange pacte faustien, un médecin golfeur, une doctorante esclave, et, on ne le dira jamais assez, l’importance de la police Times New Roman

La Vengeance du livre uruguayen : Un livre aux propriétés folles (qui aurait certainement eu sa place dans la Collection très particulière de Bernard Quiriny), un déménagement, un accouchement

La coulée de béton infernale :  Un sorcier-exorciste, la bétonisation du paysage, les mères des copains

L’Attaque des dauphins tueurs : de dangereux hippies gauchistes subversifs naturistes, une vie sexuelle débridée, une passion pour les anagrammes.

M., M.M., D. & M. : Un ancêtre maori, un camping-car et le grand dessein de Dieu.

(Tu vois quand je te disais que c’était impossible de  résister à l’envie de lire).

Chaque nouvelle est une petite fable écrite sur un ton quasi-sarcastique, et avec énormément d’imagination. L’auteur emprunte des chemins insoupçonnables pour faire prendre à ses intrigues des tournants inattendus et pour le moins surprenants.

Les thèmes qu’il aborde sont multiples et se recoupent selon les nouvelles (la nature, l’artificialisation des terres, la gentrification, le tourisme, le consumérisme, …), mais pourraient être regroupés sous la bannière plus générale de la critique de notre société occidentale et de nos modes de vies décadents.

Je ne dirais pas que c’est un livre qui provoque de francs éclats de rires, mais on ressent tout du long un humour grinçant, subversif, quelques fois absurde, proche des loufoques, du burlesque, et poétique.

Un court ouvrage qui peut se déguster tranquillement, par petite touche, moi par exemple j’ai lu une nouvelle par soir, pour être sûr de faire de beaux rêves pendant une semaine complète. C’est toujours ça de pris.

Un livre à lire avant l’apocalypse nucléaire ; mais tardez pas trop quand même à le commencer …

 

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L’Attaque des dauphins tueurs, Julien Campredon, Ed. M. Toussaint l’Ouverture, 2011.

Allez l’acheter chez votre libraire du village. Et s’il n’y a plus de librairie, c’est simple : ouvrez-en une.

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